samedi 28 juillet 2012

Le mot magique

C'est assez curieux, l'effet que l'utilisation d'un mot ou d'une phrase sur un blog peut exercer sur la fréquentation de celui-ci. Il n'y a pas tellement longtemps, j'ai rédigé un article au titre apparemment assez racoleur pour attirer quelques dizaines de visiteurs supplémentaires. Vous trouverez cet article là-bas, sous le titre « J'écris des histoires de cul... mais j'ai honte ».

Vous remarquerez que je n'ai pas écrit en titre « ... mais ne le répétez pas ». Donc, ça peut se répéter. Et puis, si je ne voulais pas qu'on en parle, si je voulais que tout ça reste pudiquement dans l'arrière-boutique, je n'en aurais même pas fait mention.

Ce qui est fait est fait. Je n'ai pas de regrets – on ne vit pas avec des regrets – concernant cet article, mais ça laisse quand même rêveur qu'un titre comprenant les mots « histoires de cul » puisse générer autant de clics de souris. J'imagine les gens, fiévreux devant leur écran, la langue pendante, anxieux peut-être à l'idée que quelqu'un puisse avoir vent de leur vice, et tapant sur leur clavier les mots « histoires de cul ».

Alors, ils le font, et ce ne sont sûrement pas les choix qui manquent. D'ailleurs, je vais tenter l'essai, là, tout de suite, de taper ces mots magiques dans mon moteur de recherche...

Et voilà : « Environ 2.980.000 résultats ». Ça laisse rêveur.

Et si j'avais intitulé mon article « J'écris des histoires de sexe... mais j'ai honte » ? Essayons avec « histoires de sexe »...

« Environ 5.580.000 résultats ». Tudieu ! Si j'avais utilisé le mot « sexe » au lieu du mot « cul », ma page aurait été encore plus noyée dans la masse !

J'ai remarqué que personne n'arrive sur mon blog en ayant tapé « J'écris des histoires de cul ». Et si je fais ça, qu'est-ce que ça donne, dans le moteur de recherche ?

Bon, là, ça ne fait que 134.000 résultats, même si c'est avec ma page en tête de rayon. Mais de toute façon, personne n'est arrivé chez moi en encodant cette phrase, donc c'est sans impact.

Mais enfin, quand même... Près de trois millions de résultats rien que pour « histoires de cul », ça me scie. Ce qui me scie, surtout, c'est le nombre de visites – sans doute aussi furtives qu'agacées – sur cette foutue page où il n'y a pas la moindre image, pas le moindre mot équivoque sinon dans le titre, pas de grivoiseries, rien.

J'ai écrit un bouquin avec des histoires de cul et j'en parle un peu sur mon blog. Oui, je sais, j'ai honte, mais c'est comme ça. J'avais concocté quelques récits un peu chauds, avec de l'humour et tout et tout, et j'ai pensé que ça pourrait toujours être un bon souvenir de les éditer dans un recueil. De toute façon, sur la couverture, je n'ai pas mis mon vrai blaze. J'ai mis « Ludovic Mir ». Désolé de décevoir ceux qui pensaient que je m'appelle vraiment comme ça.

J'ai mis le lien vers le livre, à tout hasard, parce qu'on ne sait jamais.

Eh bien, croyez-le ou non, ça n'a pas dopé mes ventes ! Pourtant, si chaque personne atterrissant sur ma fameuse page décidait de m'acheter un bouquin, le fameux bouquin avec des histoires de cul, mes ventes seraient vachement bonnes ; mais ce n'est pas le cas. Et je suis sûr que ce sont bien des personnes différentes qui y viennent. Parce que quand on y vient pour y lire directement des « histoires de cul », on est tellement déçu qu'on se tire sans doute fissa en jurant, comme le corbeau de la fable, de ne plus y être pris ! Donc, ce sont des tas de gens qui veulent lire des histoires de cul... mais sans bourse délier – si je puis m'autoriser l'expression.

Vous savez quoi ? Les gens sont radins, en plus d'être obsédés par le cul. C'est d'un navrant !

Bon, je dis ça, je ne dis rien, hein ! Si vous avez honte qu'on puisse savoir que vous avez acheté un bouquin avec des histoires de cul, je vous comprends, finalement. Moi non plus, je n'en achète pas. En tout cas pas beaucoup. J'aurais trop honte que Chérie le sache.

C'est déjà bien suffisant qu'elle sache que j'en écris !

vendredi 20 juillet 2012

Une minute de figuration

Nous avions « le profil ». Quel que soit l'emploi pour lequel vous posez votre candidature, son obtention nécessite de correspondre au profil recherché. Et cette fois-là, nous avions « le profil ».

J'écris « cette fois-là », mais en réalité il n'y en a pas eu d'autres, ni avant, ni après. Simplement, un pote qui avait déjà fait ce genre de chose nous avait tuyautés, Chérie et moi, et nous avions dit « pourquoi pas ? » et y étions allés, rien que pour le fun.

Il fallait un jeune couple, avec une fillette ; et c'était ce que nous étions à l'époque. Comme en sus on n'exigeait pas d'être beaux ou intelligents – ou même les deux à la fois –, nous avions estimé avoir nos chances. Et ce fut le cas.

Le jour dit à l'heure dite, nous nous présentons donc tous les trois à l'endroit convenu. Accueil sympa, on nous emmène dans un bistrot voisin et on nous offre un verre « en attendant » le début du tournage. Pas chien, je demande une bière d'abbaye – mais pas une Westvleteren pour les raisons évoquées dans cet article – et Chérie fait pareil parce qu'elle aime bien ça aussi et que sur le compte des autres il n'y a pas de raison de se priver. On bavarde avec les mecs pendant que la petite trépigne en flûtant sa limonade.

L'attente est brève, au cours de laquelle on nous explique le topo : on est assis sur un banc, Chérie et moi, et on bavarde innocemment pendant que la gamine déguste un cornet de crème glacée. Rien de bien compliqué. Peu importe ce qu'on raconte, l'important est qu'on soit là assis et qu'on bavarde. Je comprends d'ailleurs du premier coup ce qu'on veut de moi, preuve que ça doit être fastoche.

Pendant qu'on est là à tailler une bavette et la petite à lécher son « ice-cream », une comédienne sort d'un bistrot voisin – ne me demandez pas qui c'était, je ne la connaissais pas et j'ai oublié son nom – et passe devant nous pour des raisons que j'ignore en interprétant un rôle dont je ne savais que dalle. De toute façon, nous aurions demandé d'autres explications qu'on nous aurait sans doute poliment envoyés péter.

On essaie une fois « à sec », et le chef nous rappelle illico à l'ordre : « vous bavardez, vous ne vous occupez pas du reste ». Ben oui, on avait bêtement regardé la nana sortir du bistrot ; et ça, ça n'allait pas. Donc on la refait (la scène, pas la nana) et ça se passe bien. On peut donc attaquer pour de bon.

Avant d'aller plus loin, il faut quand même que j'explique quelque chose. Au cinéma, mais surtout au théâtre, on voit souvent des gens qui causent même s'ils n'ont rien à dire. Dans la réalité aussi, d'ailleurs, mais c'est un autre débat. Mais au théâtre, par exemple, c'est très fréquent : deux personnages parlent à voix haute, mais les deux autres qui se trouvent en scène au même moment ne sont pas supposés écouter ce qu'ils disent, donc ils font semblant de causer ensemble. Au cinoche, ça arrive avec des figurants, généralement.

J'ai écrit que c'était fastoche, mais faire semblant de causer, ce n'est pas évident. Il faut avoir l'air naturel, et souvent on n'a pas l'air naturel. La seule manière d'y parvenir, c'est de vraiment parler. Il faut donc le faire à voix basse, tout en ayant l'air de le faire normalement. Dans ces cas-là, on se raconte une histoire à la con, ou on parle du boulot, des vacances...

Donc, là, le chef donne le signal et, pendant que la petite gambade derrière nous entre les bacs à fleurs en dégustant son cornet de crème glacée, Chérie et moi, on cause :

— Tiens, je t'ai déjà raconté l'histoire du mec sur l'échelle ?
— Celui qui peint ?
— Ben ouais.
— Tu viens de me la raconter, là.
— Maintenant ?
— Ben ouais. Y a pas deux minutes, quand on a fait l'essai.
— D'accord, mais ici, c'est pour de vrai, alors je te la raconte. C'est donc un mec qui est sur une échelle, et qui repeint le plafond...
— J'la connais, tu sais.
— C'est vrai ? Bah ! Ça fait rien, je te la raconte quand même.
— T'es pénible !
— Ouais. J'suis trop vieux pour changer, alors faudra m'user comme ça. Donc, comme je te le disais, c'est un mec qui est sur une échelle...
— Tu te répètes.
— Si tu m'interrompais pas tout l'temps, aussi ! Bon. Donc, le mec, il est sur son échelle...
— Abrège !
— C'est toi qu'es pénible, cette fois-ci.
— Bon, il est sur son échelle, le mec. Et il repeint son plafond. Tu l'as dit, je le sais. Et après ?
— Ben, après, tu sais aussi, hein !
— Ah bah ?
— Ben oui, puisque je te l'ai déjà racontée...
— Très drôle. Bon. Tu la finis, ton histoire ?
— Donc, le mec...

« Coupez ! »

Ben oui, sur les entrefaites, la nana est sortie du bistrot et a fait ce qu'elle devait faire, donc le chef il demande qu'on arrête. Nous, évidemment, on n'a pas vu ce que la nana faisait, mais on suppose qu'elle a fait comme la fois où on l'avait regardée alors qu'il ne fallait pas.

Le chef explique qu'on va la refaire. Chérie fait oui de la tête. C'est vrai qu'il y a toujours au moins deux prises. Je fais oui aussi. Pas le moment de me faire remarquer. La gamine prend un air très « pro », fait une pirouette de vedette et reprend sa place près des bacs à fleurs.

Moteur !

— Tiens, puisqu'on en parlait, là, tout récemment, quand on nous a interrompus. On pourrait reprendre l'histoire du gars qui repeint son plafond...
— Avec l'échelle ?
— Non, avec le pinceau. C'est avec un pinceau, qu'on peint. Pas avec une échelle.
— Oui, mais il est sur l'échelle.
— Qui ça ? Le pinceau ?
— Ben non, le mec. Fais pas ton malin. Bon, écoute, cette fois-ci, c'est moi qui la raconte, sans ça on n'y arrivera pas.
— Tu la connais ?
— Tu m'prends pour une gourde ? Bien sûr que je la connais.
— Bon, ben, dans ce cas-là, je vois vraiment pas pourquoi je me casse le cul à te la raconter.
— Justement ? Tu te casses pas le cul, parce que là, c'est moi qui raconte. Donc, tu la boucles et tu m'écoutes.
— Je te rappelle qu'on doit parler.
— Certainement. Donc, le mec, il est debout sur une échelle.
— Quel mec ?
— Ben, celui de tout à l'heure.
— Ah ! Oui, c'est vrai. Il peint le plafond.
— Si tu racontes à ma place...
— Non, non, vas-y.
— Le mec est sur son échelle, donc, et il peint le plafond.
— Quelle couleur ?
— On s'en fout ! En blanc, si tu veux.
— Latex ou acrylique ?
— Synthétique spécial plafond. De la peinture qui ne coule pas et y a intérêt parce qu'elle coûte la peau des fesses.
— T'énerve pas.
— Et l'échelle est en alu. Deux fois huit marches. Avec plateau et courroie de sécurité. T'es content ?
— Heu... J'en sais rien. Et puis j'm'en fous, hein ! C'est quand même pas moi qui peins !

« Coupez ! »

Apparemment, ça s'est bien passé avec nous, mais le chef veut qu'on la refasse, parce que quelque chose a dû foirer avec la gonzesse qui sort du bistrot. Je me dis que ce n'est pas grave, qu'on est assis, et qu'avec une ou deux prises de plus, on arrivera peut-être au bout de notre histoire de mec, d'échelle, de peinture et de plafond.

La gamine soupire. Le chef la regarde, puis fait la moue : le cornet de glace n'a plus très bonne mine. « Va en chercher une autre », ordonne-t-il à un assistant. La boutique est là tout près, ça prend juste deux ou trois minutes – le temps de répéter mentalement mon texte – avant que la petite ne se retrouve avec une nouvelle glace à deux boules.

Tout le monde en place et on reprend...

— Donc, c'est l'histoire d'un mec qui est sur une échelle et...
— T'en as pas une autre ?
— Une autre échelle ?
— Une autre histoire. Je la connais, celle-là.
— C'est vrai ? Bon, alors, raconte-la-moi, parce que j'ai oublié la fin.
— Pas possible.
— J'te jure.
— Ça alors ! J'l'aurais jamais cru ! Bon, alors, donc, un mec est perché sur une échelle, et avec son pinceau, il peint le plafond.
— Il repeint, tu veux dire.
— Hein ?
— Ben oui, parce que depuis le temps, c'est sûrement bien la deuxième couche.
— Si tu veux connaître la fin, ne m'interromps pas, s'il te plaît.
— OK, OK.
— Donc, le mec, il est debout sur son échelle, une échelle en alu à deux fois huit marches avec plateau et courroie de sécurité, et...
— C'est le début, là. Je te demandais la fin.
— Oui, mais moi, j'ai besoin de mes repères, quand je raconte...
— On n'est pas rentrés.
— Donc, il est là sur son échelle, avec son pinceau et son pot de peinture synthétique blanche garantie qui ne coule pas et y a intérêt parce qu'elle coûte la peau des fesses...
— Et...
— Et ?
— Ben, pourquoi tu t'arrêtes ?
— Je croyais que t'allais m'interrompre.
— Mais non, voyons !
— Donc, le mec est là sur son échelle avec son pot de peinture et son pinceau, et un autre mec s'amène. Un collègue qui fait aussi de la peinture.
— T'es sûr de ça ?
— Absolument. D'ailleurs, ils ont le même modèle de salopette blanche et la camionnette de la firme est stationnée devant la porte de la maison.
— Tu me l'avais jamais dit, ça !
— Tu m'as jamais laissé le temps de te le dire.
— La bonne excuse ! Alors, comme ça, tu changes l'histoire à ta guise, et...
— Pas du tout ! Je brode. Je romance.
— Mais c'est pas ce qu'on te demande !

« C'est bon, là »

— Et pourquoi je pourrais pas broder ? C'est moi qui raconte, non ?
— Je connais l'histoire aussi bien que toi.
— Tu dis ça, mais tu viens juste de me dire que tu ne connaissais plus la fin.
— C'était pour meubler.
— Ben voilà. Toi tu meubles et moi je brode. Le monde à l'envers !
— Ça te ferait du bien de te mettre à la broderie, tiens !

« Heu... C'est fini, là », insiste le chef.

— Oups ! Heu... Excusez-nous. On était dans notre rôle...

Pendant que les assistants replient le matériel pour l'emmener plus loin sans doute, le chef nous ramène au bistrot. Il nous offre un autre godet ; alors, moi, comme sur le compte d'autrui je me ferais péter, je m'enfile bientôt une nouvelle bière trappiste. Chérie, plus raisonnable, se contente d'un café-crème, tandis que la petite cherche un endroit où se débarrasser des restes de son second cornet de crème glacée.

Avant de prendre congé, le chef nous serre la louche en nous remerciant. Je fourre dans ma poche les billets qu'il m'a discrètement refilés dans le mouvement, puis nous vidons tranquillement nos verres et les lieux.

Plus tard, en comptant les billets, Chérie et moi on s'est dit que c'était bien payé pour ce qu'on avait fait. Moi, avec les deux bières trappistes, j'aurais déjà été content. La gamine n'aimait pas trop la glace, parce que deux, même sans tout avaler, c'était beaucoup. Surtout vanille/fraise alors qu'elle préfère au chocolat.

Par contre, le film, je ne sais pas ce que c'était. Une petite production, à l'évidence, et sans grandes vedettes. Mais c'était quand même amusant et bien payé si je prends en considération les efforts qu'on a dû fournir.

Par contre, j'ai un petit souci : l'histoire du mec qui repeint le plafond, je ne sais plus très bien comment elle se termine.

vendredi 13 juillet 2012

Tour de France et café des sports

— Ginette, tu nous remets ça ?
— Ça marche !
— Hé, Jeff ! Pas pour moi, hein ! J'conduis !
— Ben, moi aussi, j'conduis !
— Justement.
— Un dernier pour la route.
— OK, OK. Mais c'est bon pour une fois...
— Sûr. Qu'est-ce qu'on s'est emmerdés, aujourd'hui !
— Ça, tu peux le dire. Et au bout du compte, même pas une victoire française !
— On s'habituait, faut dire. Pinot, Voeckler, Rolland...
— Ouais, mais aujourd'hui, la merde. Et qu'est-ce que c'était pelant, comme étape ! La plus longue, diffusée en entier, et pour voir quoi ? Rien. Pfff... Allez, santé !
— Santé !
— C'était plus marrant hier.
— Ah, ça !
— Et j'dis pas ça pour la victoire de Rolland, hein !
— Ben non, j'avais compris.
— Mais enfin, c'était intéressant, comme étape, quoi ! Des attaques, du suspense...
— Des attaques... Pas celle d'Evans, quand même !
— Au moins, il aura essayé. Et les autres aussi. Nibali, Van Den Broeck...
— Trop forts, les Sky.
— Ouais. Trop forts. Tu trouves pas ça bizarre, toi ?
— Qu'is sont trop forts ?
— Ouais.
— Ça arrive, des trucs comme ça.
— Ouais. Festina, USPostal... Ils étaient forts aussi. Mais tu sais quoi, hein !
— Bah ! Faut pas accuser sans preuves.
— Non, non, j'accuse pas. Je dis juste que c'est bizarre. T'as vu qu'à un moment, presque la moitié du groupe « maillot jaune », c'était des Sky. Alors, un ou deux au-dessus du lot, je dis pas, mais la moitié de l'équipe qui pète le feu...
— Ouais. Sont forts. Sont bien entraînés. Bien préparés. Un grand tour, ça se prépare, si on veut gagner.
— Sûrement !
— Moi, ce que j'ai vu, c'est que le Froome, là, c'est le plus fort. Plus fort que son leader.
— On dit ça...
— Ben quoi ? T'as vu comme moi, non ? L'attaque, puis l'oreillette, tout ça. Si son directeur sportif ne l'arrête pas, Chris Froome, il part gagner l'étape et Wiggins l'a dans le fion.
— Ouais, p'têt ben.
— Ça crève les yeux, qu'il se retient, non ?
— C'est ce qu'on dit, oui. T'as les reporters qui disaient encore, il y a un jour ou deux : « je m'demande si le plus fort, c'est pas Froome... »
— Eh ben maintenant, ils sont fixés.
— Oui et non. Froome, c'est un malin.
— Ouais ? Je le trouve un peu con, moi. Il aurait dû foncer et s'en foutre de son patron.
— Non, ça, il peut pas. Y a du pognon en jeu, un contrat, tout ça... Non, si je dis que c'est un malin, c'est parce qu'il sait qu'on dit de lui qu'il est peut-être bien le meilleur. Et il sait que même si c'est vrai, il doit bosser pour Wiggins. Alors, qu'est-ce qu'il fait ? Il désobéit. Mais juste un peu, hein !
— Ben oui, c'est ça qu'est con.
— Au contraire, c'est malin. Je suis sûr qu'il l'a fait exprès. Il savait bien que dès qu'il ferait ça, ça allait gueuler dans l'oreillette. Alors, il l'a fait et ça a gueulé dans l'oreillette. Et il s'est arrangé pour que tout le monde le voie, qu'il obéissait aux instructions. Parce que ça se voyait, hein !
— Ah ! Pour ça, oui.
— C'est ce qui me fait dire qu'il l'a fait exprès. Vraiment exprès pour se faire rappeler à l'ordre devant tout le monde. Et si ça se trouve, il est même pas plus fort que Wiggins.
— Tu crois ?
— Ben tiens ! Il sait que s'il démarre, ce sera pas pour longtemps. Donc il te pète un démarrage canon, mais après, il aurait dû ralentir un peu. On peut pas faire tout à cette allure. Et Wiggins aurait sans doute recollé au train, comme il l'a fait avec Nibali et Van Den Broeck !
— Tu crois ?
— Ben tiens ! Je te dis : par contrat, c'est Wiggins le chef. Froome sait qu'il doit s'écraser, même si tout le monde suppose qu'il est au moins aussi fort que son chef. En faisant ce qu'il a fait hier, tout le monde va croire qu'en fait, c'est lui le meilleur et que ses patrons l'empêchent de gagner.
— C'est pas con, ce que tu dis là.
— Et l'an prochain, tu vas voir le contrat qu'il va se faire offrir ! Il restera pas avec Wiggins. D'autres équipes vont mettre le paquet pour l'avoir, même s'ils doivent racheter son contrat chez Sky. L'an prochain, c'est un des coureurs les mieux payés du peloton. Et si ça se trouve, il est même pas le meilleur.
— Ouais. C'est possible... Hé ! Ginette ! Tu nous remets ça ?
— Hé ! Plus pour moi, hein !
— Pour la route...
— Justement. Déjà que j'tiens plus debout !
— T'es assis pour conduire, non ?

mardi 10 juillet 2012

Tour de France et propos de comptoir


Je vais profiter, cher lecteur, de la première journée de repos des coureurs et accompagnateurs du Tour de France pour dresser, à ma façon, le bilan d’une grosse semaine de course que j’ai trouvée plutôt chiante.

Sans avoir pour habitude de faire ma langue de pute, je dois bien reconnaître qu’à une rare exception près (la victoire française lors de la courte étape suisse), le spectacle est resté, sur le plan du suspense, particulièrement ennuyeux ; les deux seules questions étant de connaître les noms des coureurs faisant partie de la poignée de fuyards qui fausseraient compagnie au peloton dès le premier kilomètre pour se faire rejoindre à quelques bornes de l’arrivée après avoir compté cinq minutes d’avance, et celui du triomphateur de l’emballage final.

Quand j'étais gamin, les images à la télé belge étaient celles de fin d'étape, et l'heure de prise d'antenne dépendait du bon vouloir des organisateurs et du respect de l'horaire par les concurrents. En cas de retard, on voyait une roue de bicyclette sur l'écran, nantie d'une inscription « Tour de France vers telle heure... », et le chiffre parfois était modifié toutes les cinq minutes !

Aujourd'hui, les reportages télévisés sont longs : environ trois heures (quand ils ne couvrent pas l'intégralité d'une étape). Les commentateurs ont bien du mérite ! Heureusement, l’hélicoptère vient fréquemment à leur secours pour leur apporter matière à deviser, survolant tantôt la foule en délire brandissant des calicots, tantôt les assemblages colorés à la gloire du tour et du folklore local et, surtout, l’église Saint-Troufignon si chargée d’histoire avec son clocher du douzième siècle ; quand ce ne sont pas les ruines du château des barons de la Crottaucul, vilainement saccagé par les sans-culottes, les vikings, les troupes du roi de France et autres vandales ayant émaillé l’histoire de leur divertissante présence.

Mais revenons sur terre au vingt et unième siècle…

À un reporter interrogeant quelques personnes dans la foule qui se pressait le long des routes empruntées par le peloton, plusieurs spectateurs ont répondu qu’ils venaient voir… la caravane publicitaire. C’est vrai qu’elle roule aussi vite que les coureurs, mais le quidam peut espérer collecter sur son passage autre chose que des bidons vides et des relents de sueur. Et puis, c’est rigolo. En dehors de ça, par contre…

Bien sûr, il y a eu les deux exercices contre le chrono : les six kilomètres du prologue et les quelque cinquante de l’étape d’hier. D’aucuns pourront trouver ça spectaculaire – voire excitant s’ils aiment les athlètes en maillot moulant, équipés de lunettes de skieur et d'un casque à pointe –, mais côté suspense, une fois encore, nous aurons été chichement servis ; la plus grosse inconnue restant le nombre de minutes mises dans la vue des grimpeurs par les spécialistes de l’épreuve en solitaire.

Les chutes, c’est rarement drôle, surtout pour ceux qui en sont victimes. Et des chutes, nous y avons eu droit. Comme chaque année, dirons-nous ; en précisant cependant que cette fois-ci, aucune voiture d’accompagnement n’a encore pris de part active dans les joies du roulé-boulé dans les barbelés, ce qui n’a pas empêché certains malchanceux de l’édition passée de rempiler lors de l’actuelle.

Andy Schleck n’est pas tombé, puisqu’il n’est pas là. Son absence ne semble toutefois pas avoir donné les coudées franches à son frère, qui nous a offert le spectacle hilarant du cycliste cherchant désespérément après sa bicyclette après une chute collective ayant emmêlé la moitié du peloton !

Quand on songe aux propos de bistrot de juillet 2011, qui prétendaient qu’aucun des deux frangins luxembourgeois ne gagnerait le Tour tant qu’ils courraient dans la même équipe, ça laisse rêveur ! Aujourd’hui qu’il n’y en a qu’un, ça ne marche pas mieux. Leurs partisans les plus indéfectibles rétorqueront que le meilleur, c’est Andy. Soit. C’est vrai qu’il a déjà remporté une fois l’épreuve, mais on ne peut quand même pas déclasser le vainqueur chaque année !

Et tant qu’on est dans les considérations de comptoir, ne trouvez-vous pas Thomas Voeckler bien discret ? Il attend la haute montagne pour se montrer à son avantage*, sans doute… Enfin, moi, ce que j'en dis, hein...

Et pendant ce temps-là, Lance Armstrong réfute toutes les accusations portées contre lui. Remarquez qu’en général, il ne prétend pas ne jamais s’être dopé. Il se contente de répondre que tous ces vilains propos le concernant sont diffamatoires, puisque ses contrôles ont toujours été négatifs. Et même si… Comment le déclasser a posteriori et à qui offrir l’une ou l’autre de ses victoires ? À Ulrich, peut-être ?

Sans jouer les langues de pute – encore une fois –, je me dois de préciser que j’ai toujours trouvé étrange la domination de plusieurs coureurs issus de la même équipe. Les équipiers de Lance, par exemple, pétaient souvent le feu. Mais c’était parce que l’équipe était bien préparée. La preuve : une fois partis dans d’autres équipes, ces lieutenants de luxe n’en touchaient plus une ! S’ils avaient connu la recette, ils l’auraient reproduite, non ? À moins qu’il ne s’agisse de secrets de préparateurs physiques et de médecins d’équipe ? Un coureur connaît-il toujours précisément la composition de ce qu’on lui fait avaler ou sniffer ? Sait-il pertinemment bien ce que contient la seringue avec laquelle on le pique ?

Cette année, Bradley et ses potes semblent survoler la mêlée. Ils sont bien préparés, ça ne fait aucun doute. Un Tour de France, ça ne s’improvise pas.

Espérons en tout cas un peu plus de suspense pendant les deux dernières semaines, parce que ça m’ennuierait que le Tour soit déjà plié après le prologue, quelques côtelettes et un contre-la-montre.




* En effet ! (Édit. 11/07)

mercredi 4 juillet 2012

La rentrée

Puisque nous venons d’entamer un juillet que nous espérons tous moins pourri que les deux mois qui l’ont précédé, il serait plus logique de parler de grandes vacances que de rentrée ; mais voilà : pour moi, c’est la rentrée, puisque j’ai pris mes congés en juin. Des congés au soleil, donc loin de chez moi, cela va de soi.

Évidemment, en me recollant au boulot, j’ai eu droit aux questions habituelles des collègues, toutes empreintes d’une ironie sous-jacente destinée à me rappeler que « c’est fini » et que « bientôt ce sera notre tour » :

— Ça s’est bien passé ?
— T’as eu du beau temps ?
— Pourquoi tu nous as pas rapporté le soleil ?
— C’est toujours trop court, hein ?
— Alors, bien reposé ?

Et la liste n’est pas exhaustive.

La rentrée, c’est aussi l’occasion de renouer avec l’actualité, qui n’était certes pas en veilleuse en mon absence, mais sur laquelle j’avais clos les yeux et les oreilles au cours de nombreuses siestes bienfaisantes.

Bien sûr, j’avais eu l’occasion de voir quelques images de football, au détour de visites au bar, mais sans avoir jamais eu le cœur de m’installer durablement au sein de la foule des hardis supporters de l’écran géant.

Bien sûr, les résultats du second tour des élections législatives françaises m’avaient subrepticement emprunté les trompes d’eustache, mais rien de plus que cela, tout compte fait.

De retour au pays, impossible par contre d’ignorer les bouillonnements d’une actualité poussée aux fesses par nos élus impatients de goûter bientôt aux vacances parlementaires et soucieux de boucler, avant leurs valises, quelques douloureux dossiers communautaires.

Mais déjà, plus prosaïquement, de nombreux parents s’interrogent : comment occuper leur progéniture pendant les mois d’été ? C’est que tout le monde ne bénéficie pas de deux mois de relâche, saperlipopette !

Les stages, c’est une solution, pour qui n’est pas embrigadé dans le scoutisme. Il y a des stages de chant, de théâtre, de danse en tout genre, d’initiation à la pêche à l’espadon, de yoga, de physique quantique et même de sport pour les plus vaillants. Sans oublier les séances de rattrapage de matière non maîtrisée destinées à ceux qui, faute d’avoir bien bossé pendant l’automne, l’hiver et le printemps, se trouvent soudain fort dépourvus quand la canicule est en vue.

Au détour d’un bulletin, non pas scolaire ni météorologique, souvent si mauvais, mais d’information, j’ai entendu que des illuminés organisaient des stages pompeusement appelés « d’art urbain ». C’est pour apprendre à notre belle jeunesse comment réaliser de magnifiques graffitis. Oui, des graffitis. Pas des tags, hein ! Faut pas insulter le prophète ! Parce que badigeonner les murs de la ville d’inscriptions vaguement en rapport avec une musique qu’on adore, ce n’est pas taguer, selon eux : c’est faire de l’art urbain.

Désolé d’avoir à le dire aux gentils organisateurs de ce stage, mais leur art, c’est de la foutaise. Du vandalisme organisé. Le graffiti discipliné, imaginé et réalisé dans le respect du bien d’autrui, c’est une vue de l’esprit. L’essence même de cet « art », c’est justement la transgression, la dégradation du bien public ou privé au nom d’une liberté d’expression qui ferait presque regretter l’intransigeance d’un régime totalitaire.

Bande de cons !

Et à la radio et à la télé, ils n’ont rien d’autre à raconter ? Ce n’est déjà pas suffisant, le télescopage des événements sportifs ? Football, tennis, automobilisme, athlétisme, cyclisme… la seconde quinzaine de juin et la première de juillet se bousculent pour nous fourguer l’urticaire du dossard, l’indigestion de la baballe et l’overdose de « chers téléspectateurs » !

Ah, si ! Ce matin, c’était le boson. Une expérience capitale faisant intervenir un accélérateur de particules destiné à traquer l’infiniment petit, si j’ai bien compris. Un truc de physiciens qui, paraît-il, pourrait donner les clés de l’Univers, du « big bang » et de nos origines et, accessoirement pour les intrépides découvreurs, l’un ou l’autre prix Nobel. Au prix que ça coûte, toutes ces recherches, ce serait bien qu’elles nous guérissent en passant de tous les cancers du sein, du côlon et de la prostate. Et tant qu’à faire, qu’elles nous débarrassent aussi des moustiques, des mélanomes malins et des requins de la finance, tout en assurant la retraite des vieux et le remboursement des dettes de la sécu.

Ben quoi ?
On a encore le droit de rêver, non ?