lundi 17 septembre 2012

La page blanche

Il est des jours où l’angoisse de la feuille blanche vous étreint longuement et semble décidée à tout sauf à vous lâcher. Le papier et le crayon ont beau s’être mués en écran et en clavier par la magie d’une technologie souvent envahissante mais, dans le cas qui nous occupe, néanmoins pratique, le problème est là : la virginité de la page.

Une situation qui rappelle l’école, il y a bien longtemps déjà, quand le prof arrivait le matin et annonçait à la classe une interrogation écrite. « Hein ? », « Quoi ? », « Hé ! Non, m’sieur ! », « Vous aviez pas prévenu ! », protestaient les potaches. « Silence ! Silence et prenez une feuille ! » intimait le tortionnaire du lundi.

En grommelant et en soupirant, il nous fallait nous exécuter, nous interpellant à voix basse : « Tu connais ? », « T’as étudié ? »… Et, sous un nouvel et impératif appel au silence, nous posions devant nous notre feuille vierge. Y indiquer notre nom, notre classe et la date du jour était la seule chose qui, à moins d’avoir fait une bamboula d’enfer pendant tout le week-end, ne nous posait aucun problème majeur. La suite était moins glorieuse.

Et le feuillet, sous les questions que j’avais griffonnées avec lassitude, restait longuement vierge de toute autre annotation. Ce n’est qu’au bout de longues minutes de méditation, au cours desquelles j’essayais de me souvenir vaguement de ce que j’avais mal écouté lors des précédentes leçons autant que de loucher sur la feuille de mon voisin qui n’en savait guère plus que moi – à l’époque, j’avais déjà les pires fréquentations – que je me décidais à enfin noircir quelques lignes.

Plus c’était scientifique et mathématique, moins la page se remplissait ; plus le sujet était littéraire ou philosophique, plus la cadence devenait correcte. Autant chiffres et formules m’ont toujours posé d’insurmontables problèmes, autant les difficultés me paraissaient moindres lorsqu’il s’agissait de balancer plusieurs dizaines de lignes de prose en caractères serrés. J’ai toujours eu l’art de gonfler les paragraphes avec du vent ; mais comme je le faisais dans le respect de la grammaire et avec une grande propreté, peu nombreux étaient les profs insensibles aux charmes d’un texte écrit presque sans fautes et dans un langage correct, même si mon propos était si ténu qu’il aurait aisément pris place au dos d’un ticket de tram.

Cette page blanche est un peu ce qui m'angoisse en ce moment. Les idées restent collées je-ne-sais-où, l'humour est aux abonnés absents et les sarcasmes eux-mêmes se sont fait la malle ! Je suis en passe de m'autoproclamer « couillon de la semaine » et peut-être même du mois.

Ce n'est pourtant pas faute d'essayer de me lancer sur un sujet qui secoue. Les actus à la con ne manquent pas ; de Dutroux qui demande à purger le reste de sa peine à la maison plutôt qu'au gnouf, jusque son ex qui se planque chez les nonnes, guettée par des meutes de paparazzi prêts à louer des chambres et des places au balcon dans les maisons des alentours du monastère !

Je pourrais ironiser sur nos athlètes moins valides qui décrochent sept médailles aux jeux alors que leurs compatriotes non diminués se contentent de trois. Et même pas une seule en or ! Ou vous causer du championnat de Belgique de foot, même si ça n'intéresse pas grand monde.

Il ne manquerait plus que je vous parle du gouvernement qui ne tombe pas, contrairement au falzar de Bart De Wever, qui n'arrive pas à suivre la perte de poids de son propriétaire, ou au soutif de Kate-la-princesse, cette pauvre fille qui ne peut même plus s'aérer les nibards sans soulever un tollé chez les bien-pensants !

Non, l'actu débile ne manque pas. L'actu dramatique non plus, mais on ne rigole pas avec ça. Ni avec les musulmans, dont j'éviterai de parler, parce que c'est dangereux pour un mec qui ne cherche pas à devenir la cible d'une fatwa.

Il y a bien longtemps déjà que je vous ai entretenu de la maison d'édition « Les Nouveaux Auteurs » ; et pour cause : ça fait belle lurette que j'ai fait un tour sur leur site. Il faut dire que j'ai bien assez de conneries à lire dans les gazettes et sur divers sites Web sans encore en rajouter une pelletée en visitant leur usine à critiques citoyennes. Cela posé, je suppose qu'ils en sont probablement à lancer leurs futurs concours, matière à entretenir l'espoir chez les scribouillards en mal de contrat d'édition.

Je n'ai même plus envie de vous causer de bicyclette, pourtant j'aime bien le vélo, c'est sans doute le plus dur des sports, un des plus violents physiquement et, par moments, je me dis que Coluche n'avait pas tout à fait tort lorsqu'il disait : « Qu'est-ce qu'il faut être con pour faire ça, comme sport ! »

C'est vrai qu'à défaut d'être con, il faut être vachement motivé. Dès que vous donnez un coup de pédale plus vite que les autres, dès que vous créez la surprise, on lance des sous-entendus sur ce que vous avalez, sniffez ou vous piquez avec. Et si vous vous ramassez lamentablement, les commentaires ironiques fusent insinuant que vous n'avez pas eu votre dose habituelle, que le pharmacien était à Vladivostok et le boucher en grève depuis un mois.

Non, ce n'est pas drôle. Bientôt, ce seront les championnats du monde. Déjà que le concours par équipe a été remporté par les « Omega Pharma Quick Step », ça fait jaser au café des sports. Dès qu'il y a « Pharma » dans un nom, ça ne peut pas manquer.

Les cyclistes, je les plains. Pas ceux qui trichent sciemment, parce qu'il y en a, mais les autres. Ceux qui avalent des trucs louches sans même le savoir. Et ceux qui ne touchent à rien d'illicite. Tous dans le même panier : tous des dopés. Et au foot ? Y en a pas, des dopés ? Parce que quand on voit la condition physique de certaines équipes, il y aurait de quoi avoir des doutes. Mais non. C'est juste de la médisance. On n'a pas le droit de dire ça.

Et, pour parler d'autre chose, je viens d'en entendre une bonne, concernant les élections communales toutes proches. À Tintigny, petit village du sud de la Belgique, il n'y aura finalement qu'une liste, celle du bourgmestre sortant, l'opposition ayant jeté l'éponge. Tous les élus sont donc connus avant que les gens n'aillent voter. Le seul suspense concerne les voix de préférence... Putin de Belgique ! comme on dit en Russie.

Encore une actu à la con dont j'aurais pu vous parler, c'est que maintenant on voit des Belges faire le crochet par la France pour leur plein de carburant. C'est moins cher par là. Normal : la France a un gouvernement de gauche, tandis que nous on n'a qu'un premier ministre socialiste. C'est pour ça que les riches de France veulent venir s'installer chez nous. Et pas pour les moules-frites, bien qu'elles y soient meilleures que partout ailleurs. Enfin, ça... c'est les marchands de moules-frites qui le prétendent.

En fin de compte, à force de vous causer de tout, je n'ai encore causé de rien. C'est ça, mon angoisse actuelle, comme jadis quand il y avait une interro écrite : je n'ai vraiment rien d'intéressant à griffonner sur ma page blanche, mais je parviens quand même à la noircir.

Je me demande si je ne vais pas me lancer dans la politique.

mardi 11 septembre 2012

Ces images qu'on ne voit jamais

C’est fou ce qu’on ne peut plus se balader quelque part sans voir des gens prendre des photos ! Autour de moi, en toute occasion, les petits appareils sortent des poches ou des sacs et les doigts s’affairent. On plisse les yeux sous le soleil, on tend les bras devant soi – ou on les plie à demi – en adoptant l’air le plus concentré possible, et l’image est dans la boîte.

À plusieurs reprises, déjà, j’ai avoué ma tendance à éviter de suivre les modes. Et tout d’abord, les modes, elles vont trop vite. C’est fatigant d’essayer d’accrocher chaque fois le bon wagon ; alors, de temps à autre et même de plus en plus souvent, on se sent largué. Je suis largué.

Autrefois – mais ce n’est pas si loin, les réunions de famille, les retrouvailles entre potes étaient une occasion d’échanger les dernières nouvelles et de se montrer les photos des vacances, d’une fête de village ou de toutes autres choses auxquelles on avait assisté ou participé.

Tante Ginette sortait le minialbum du film récemment développé : douze vues entamées à Noël et terminées à Pâques. C’est vrai qu’elle regardait à la dépense.
Lorsqu’on se hasardait chez le cousin Eugène, on avait droit à la projection des sept cent soixante-trois diapositives rapportées de son dernier voyage ; ce qui, bien souvent, se révélait aussi pénible qu’intéressant si on ne parvenait pas à s’endormir discrètement en cours de séance.
Entre ces deux extrêmes, l’album de l’anniversaire du petit dernier ou du barbecue chez les voisins apportait son lot de fraîcheur, de plaisir et de franche rigolade.

Aujourd’hui, écrivais-je, tout le monde fait des photos. On voit les gens mitrailler à tout-va, avec leur téléphone ou leur appareil photo… mais on ne voit jamais les images.

Je sais bien que tous les gens qui m’entourent ne sont pas venus là pour me montrer le fruit de leurs coups d’œil de photographes ; mais parmi les amis, les collègues, les membres de la famille – ou de cette foutue belle-famille, il en est qui pourraient…

Moi, je suis démodé. C’est quelque chose que je ne comprends pas. Mais les jeunes, par exemple, ils sont comme ça : ils sont ensemble, ils s’amusent, ils prennent des photos. Des fois, ils tournent l’appareil dans l’autre sens, bras tendu, pour un autoportrait (seul ou joue contre joue avec l’un ou l’autre pote).

Ensuite, ils regardent les images sur l’écran de l’appareil. Ils en enverront par courrier électronique ou en déposeront sur les réseaux sociaux, mais la plupart de celles-là disparaîtront : effacées pour faire de la place, oubliées sur le disque dur d’un vieux PC ou sur une carte-mémoire devenue mystérieusement illisible.

C’est comme ça, maintenant. Comme pour la musique, les films… On télécharge, on écoute, on regarde, on échange mais on ne garde rien. Ou alors, très mal ; dans un tel désordre que retrouver ensuite quelque chose relève de l’entreprise désespérée.

On n’a jamais fait autant de photos, mais rarement sans doute on en aura imprimé aussi peu. C’est pourtant joli, ces albums. Et puis, ça se conserve bien : pas de piles, pas d’électricité, juste un peu de carton, de papier fort. On ouvre un tiroir ou une armoire, on visite une étagère… et on sort quelques albums.

Il y a les photos de quand j’étais petit. On n’avait souvent pas d’autre choix que de les imprimer si on voulait les voir, donc on les imprimait et, comme on les avait payées, on les gardait.

Aujourd’hui, prendre dix vues ou dix mille, c’est à peu près le même prix si on ne les garde pas pour la postérité.

Alors, bêtement, comme je suis démodé, je continue à imprimer des photos et à en faire des albums. J’y note les dates, les lieux et, parfois, les noms des gens. Ensuite, je les range soigneusement et, de temps en temps – mais pas très souvent, on les sort et on les regarde. On les montre à des amis, à la famille. « Oh ! J’étais comme ça, moi ? Et cette coiffure ! Et machin, là : il a vachement grossi, hein ! C’était quand, encore, ces photos ? Et lui ? Qui est-ce ? Non, je ne l’ai pas connu. J’étais trop jeune, à l’époque. Toi ? T’étais même pas né. »

J’ai des photos de moi, quand j’étais tout petit. Et des photos de mes enfants, tout petits eux aussi.

J’ai des photos prises du temps de mes parents, quand ils étaient jeunes et beaux ; et de mes grands-parents, jeunes aussi. Certaines de ces photos sont petites, en noir et blanc, avec des bords festonnés. Mais elles sont toujours là.

En tout cas, j’espère que les plus jeunes songent de temps à autre à imprimer et à ranger dans des albums leurs images qu’on ne voit jamais.

dimanche 2 septembre 2012

Quand ça ne marche plus, ça ne marchera plus

Autrefois, quand un de vos bidules tombait en panne, vous alliez trouver le réparateur du coin et, en déposant l'appareil sur le comptoir (déjà bien encombré), vous lui expliquiez :

— J'étais en train de... et il s'est arrêté. Depuis, plus moyen de l'utiliser.
— Oui... Ça sent un peu le chaud, là...
— On dirait. Y a eu une petite odeur. C'est grave, vous croyez ?
— Sais pas. Je dois ouvrir. Passez demain soir ou donnez-moi un coup de fil, je vous dirai ce qu'il en est.

Le lendemain, parfois votre bidule était déjà réparé. Ce n'était pas grand-chose, un contact foireux qui faisait chauffer et fondre un fil... La note n'était pas trop salée, en général.

Parfois, quand même, c'était plus sérieux :

— Ah ! Vous avez bien fait de passer.
— Je reviens du boulot. Comme je passe devant chez vous, ça tombe bien.
— C'est assez sérieux, comme panne. Y a eu un coup de chaud et toute l'alimentation a grillé. Faut remplacer plusieurs pièces. Regardez, je vous ai fait un devis. Y en aurait pour...
— Quand même !
— Ben, oui.
— Il est pas vieux, pourtant. Une dizaine d'années, je crois.
— Oh ! Un peu plus, il me semble. Mais ils ont encore des pièces. C'est quand même moins cher qu'un nouveau.
— Certainement.
— Et puis, si vous y tenez...
— C'était un cadeau.
— Je comprends.
— Et c'est garanti, la réparation ?
— Six mois.
— Et il ira comme avant ?
— Pour le reste, je ne sais pas, mais l'alimentation, aucun problème. Ce sera comme neuf.

Là, il vous fallait choisir. Mais si vous renonciez à la réparation, on ne vous faisait pas payer le devis. Le réparateur vous demandait :

— Vous le reprenez ?
— Bof ! Pour ce que je ferais encore avec !

Vous le repreniez ou vous le laissiez, c'était pareil pour vous. Dans le second cas, le réparateur pouvait encore s'y retrouver un peu en récupérant quelques pièces. Mais vous faire payer le devis, ça, non. Jamais.

Le temps a passé, les technologies ont évolué. Par la suite, quand vous reportiez le bidule en panne là où vous l'aviez acheté (inutile de compter sur le réparateur du coin, retraité depuis quelques années déjà), on vous répondait invariablement :

— On sait pas. Ça part en usine, de toute façon.
— Oh ! Et y en a pour combien de temps ?
— On vous préviendra.
— Oh !

Deux ou trois semaines plus tard, vous récupériez votre bidule réparé en usine (entendez : chez l'importateur), dans les cas où ce n'était pas trop coûteux. Et si l'appareil était encore sous garantie, vous ne payiez rien.
En cas de dommage plus important, on vous prévenait qu'il y avait un devis s'élevant à une somme assez conséquente, et que si vous ne faisiez pas réparer, il faudrait payer le devis, sauf si vous rachetiez un nouveau bidule de la même marque, bien entendu.

Ces temps-là sont, eux aussi, révolus pour bon nombre d'engins des temps hypermodernes. La plupart des bidules hi-tech que vous possédez – téléphone, smartphone, caméscope, appareil photo, tablette et autres merveilles multimédias – ne se réparent pas. Même sous garantie.

Quand votre bidule est encore garanti, on vous l'échange contre un neuf ou, plus sournoisement, on essaie de démontrer que vous avez fait de la plongée sous-marine avec ou que vous l'avez lancé à votre clebs pour jouer à la baballe, ce qui n'était pas prévu dans le mode d'emploi. Donc vous êtes en tort et la garantie ne joue pas. Na.

Et si votre bidule n'est plus garanti, voici comment ça se passe, généralement :

— Y marche plus.
— Ah. Vous l'avez acheté quand ?
— Ben... Y a deux ans et huit jours.
— C'est plus sous garantie.
— M'enfin ! Il est tout neuf. Et c'est cher, la réparation ?
— Ça, je ne sais pas. Il faut que ça reparte en usine, pour ça.
— Ça prend longtemps ?
— Ben, c'est les congés, pour le moment. Faut bien compter trois semaines, un mois.
— Et le prix ?
— De toute façon, ils font un devis.
— Vaut mieux.
— Rien que le devis, ça va chercher dans les cent cinquante roros, je vous préviens.
— Glups.
— Puis, il y a la réparation en plus, si vous choisissez de faire réparer.
— C'est peut-être juste une connerie.
— Ils fonctionnent par forfait, en général. Petite ou grosse réparation, ce sont des tranches de prix. Moi, je serais à votre place...
— Oui ?
— J'en achèterais un neuf.
— Ben oui, mais c'est plus de cinq cents roros, un nouveau.
— Les nouveaux modèles sont beaucoup plus performants. Si vous en avez pour trois cents roros en réparant le vôtre, ça n'en vaudra sans doute pas la peine.

Et voilà où nous en sommes. On vous le dit : ça ne se répare pas. Les téléphones, les caméras, le multimédia portable, quand ça ne fonctionne plus, c'est bon pour la poubelle. Il n'y a plus de réparateurs, plus de pièces de rechange, plus rien. Les mecs, quand on leur renvoie un bidule à réparer, ça les emmerde grave. Ils n'en ont plus rien à battre de rechercher la panne. Si c'est garanti, ils poussent des jurons et vous remplacent tout un sous-ensemble ou vous fourguent un nouveau bidule en échange (ou un bon d'achat parce que le même engin, ils n'en ont déjà plus), et puis c'est tout. De toute façon, les modèles sont renouvelés chaque année. La garantie légale étant de deux ans, pas besoin de gérer un stock de pièces de rechange, d'entretenir un atelier et de payer des techniciens. Tout est fabriqué en PRC et mis à la poubelle chez nous.

Tout file à la décharge ou au recyclage, sauf, bien entendu, tous ces p... d'accus et de chargeurs lithium-ion qu'on a laissé traîner dans des tiroirs avec les bidules qui n'ont pas été réparés et qu'on n'a pas encore jetés.