mardi 30 juillet 2013

Les deux bistrots sur la place du village

Vous aurez certainement déjà remarqué que, bien souvent, des commerces identiques se trouvent à proximité les uns des autres, un peu comme s'il y avait vraiment un endroit, un quartier pour les épiciers, les libraires, les quincailliers…

C'est généralement flagrant lorsqu'il est question de débits de boissons : dans un village, les deux bistrots sont généralement tout près l'un de l'autre sur la place ou dans la rue principale. Ils sont même directement voisins, dans bien des cas. Y aurait-il un endroit privilégié pour les rendez-vous des soiffards ? Un point de chute obligatoire dans l'ombre des platanes ?

Des spécialistes se sont penchés plus d'une fois sur ce phénomène qu'on pourrait appeler « tactique du marchand de glaces ».

Imaginons le modèle simple : la mer pour la baignade, la plage pour la bronzette et, tout le long sur quelques centaines de mètres, une digue où circulent bicyclettes et promeneurs. C'est en cet endroit, tout en profitant d'une jolie vue vers l'ouest pour les couchers de soleil, qu'on trouve les deux marchands de glaces. L'un à côté de l'autre, au centre.

Au début, ce n'était pas comme ça : ils s'étaient implantés aux extrémités, ou presque, comme pour un juste partage de la clientèle. La boutique du nord attirant la clientèle du nord, la boutique du sud, celle du sud. Mais évidemment, entre les deux l'usage était flottant. Le raisonnement logique des commerçants devint rapidement celui-ci : puisque les gens qui se trouvent de mon côté viennent chez moi parce que c'est plus près, il faut que je me rapproche du centre pour rafler une partie de la clientèle qui hésite entre mon concurrent et moi.

De rapprochement en rapprochement, les deux marchands de glaces se retrouvent finalement l'un près de l'autre, au centre, ce qui leur permet à la fois de se trouver à égale distance des extrémités de la digue et de ne pas être plus éloignés l'un que l'autre de n'importe quel client potentiel.

Bien entendu, si la digue est longue, les touristes installés aux extrémités auront du chemin à parcourir ! Cela risque d'entraîner une désaffection du nord et du sud au profit du centre. Sauf si…

Sauf si un troisième marchand de glace, comprenant qu'un potentiel existe au bout de la digue, vient s'installer là un beau jour. Une telle éventualité risque de contrarier les deux compères qui ont glissé vers le centre en négligeant les extrêmes et en se disant que les gens de là-bas feraient toujours bien le déplacement pour venir à eux.

À moins de recourir aux pratiques mafieuses (intimidation, menaces, sabotages…), les deux marchands en place devront réagir en se rapprochant du nouveau concurrent, qui lui essaiera aussi de se rapprocher. Le glissement progressif du centre vers une des deux extrémités laissant une énorme brèche à l'autre bout de la digue, nul ne s'étonnera qu'un quatrième larron entre dans la partie…

Quand la plage est petite, la digue courte, et qu'un ou deux points de vente suffisent parce que le déplacement vers le centre se fait sans gros effort, le troisième larron n'aura pas de raison de s'installer.

C'est ainsi que, dans les petits villages, quand il y a deux bistrots, ils sont tout près l'un de l'autre.

Vous vous demandez peut-être pourquoi je vous raconte tout ça, avec les aubergistes et les marchands de glace ; et vous songez sans doute que c'est à cause de l'été, des vacances, du soleil et du penchant généralisé pour l'apéro et les glaces. Et vous n'avez pas tort.

Mais après les vacances vient la rentrée. Et qui dit rentrée dit « politique ».

En politique, c'est un peu comme avec les marchands de glace et les bistrots de village : ils sont concurrents, certes, mais bien plus proches les uns des autres qu'on ne l'imagine de prime abord.

vendredi 26 juillet 2013

L'Homme et la machine

L’arrivée tant attendue des beaux jours n’incitant à rester enfermés que les allergiques au soleil, à la chaleur et au bol d’air, la tendance générale à laquelle j’ai cédé volontiers ces dernières semaines était davantage à la sieste au jardin et aux barbecues entre potes qu’aux longues soirées devant la télé ou à surfer sur Internet.
Je ne me cherche pas d’excuse pour avoir quelque peu négligé mon blog, car, tout compte fait, l’entretenir et y publier l’une ou l’autre bafouille est un plaisir et doit le rester. Depuis quelques semaines, mon plaisir est parti ailleurs. Privé de soleil pendant si longtemps, je compense la disette en abusant de balades, d’apéros, de barbecues, de jardinage à allure pépère et de siestes crapuleuses. Que celui qui n’a pas encore cédé me jette la première pierre !

Forcément, à force de sortir, on s’aventure un peu plus loin que son propre quartier ; juste le temps de se dire que la bicyclette, c’est vraiment trop dur par cette chaleur, et on laisse parler la loi du moindre effort en choisissant plutôt la voiture pour se déplacer de plus de cinq cents mètres. C’est bien entendu dans de telles circonstances qu’on s’aperçoit vraiment que la clim’ est devenue indispensable ; et que même si le véhicule en est équipé, cela ne signifie pas à cent pour cent qu’elle va fonctionner. Parce que ce genre de dispositif demande de l’entretien et que, tant qu’il fait mauvais – et Dieu sait ce que ça peut durer en Belgique –, on ne songe pas que ledit entretien n’a pas été fait depuis belle lurette !

Le propre de toute machinerie étant de déclarer forfait au moment où on en a besoin et qu’on décide de s’en servir, la mésaventure n’a rien d’exceptionnel. À force de confier tout à des machines pour nous faciliter la vie, on en arrive à se la compliquer.

Prenez le GPS, par exemple : une belle invention, apparemment. Surtout pour la navigation, quand la mer s’étend à perte de vue et qu’on ne sait plus très bien où on en est. C’était une de ses premières applications (avec son usage militaire, of course), pour laquelle la précision du système actuel était bien suffisante ! Dans l’attente de la mise en place, sans cesse retardée, du système européen Galileo qui offrira théoriquement toute la finesse requise pour diriger le promeneur là où il veut aller plutôt qu’à peu près là où il espère arriver, nous devons nous contenter du réseau satellitaire américain. Avec ses hauts et ses bas.

Je ne sais pas ce que vous pensez de ce foutu GPS, mais moi, vous l’aurez compris, je l’utilise de moins en moins souvent. Bien entendu, lorsque j’ai acquis un de ces engins, j’ai fait comme tout le monde dans cette situation : l’essayer pour bien vérifier à quel point son utilité est douteuse. La méthode est simple : choisir une destination où on se rendrait les yeux fermés et laisser le GPS choisir l’itinéraire, inévitablement plus long, plus lent ou complètement débile.

Bien entendu, quand on ne connaît pas, on peut n’y voir que du feu, puisque généralement l’engin nous conduit quand même à destination ! Je connais d’ailleurs quelques bienheureux qui répondent, lorsqu’on leur demande par où ils sont venus : « Je sais pas, j’ai suivi le GPS ». Souhaitons-leur de ne pas voir l’engin rendre l’âme à l’heure du retour, surtout s’il fait nuit noire !

Une bonne carte routière, ça ne tombe pas en panne. Il faut juste en acheter une nouvelle avant que l’ancienne ne tombe en ruine. Et pour le reste, même si ça peut procurer un bref instant de honte à certains, demander son chemin ne devrait tuer personne. Pas chez nous, en tout cas.

La seule utilité que j’ai trouvée au GPS est de me guider lorsque je cherche une adresse bien précise dans une grande ville que je ne connais pas. Et encore faut-il que je lui pardonne ses égarements lorsqu’il m’indique de tourner à gauche alors que devant moi se présente un sens giratoire apparemment inconnu malgré une mise à jour très régulière de la cartographie embarquée, une rue barrée pour cause de travaux ou de festivités locales, un obstacle infranchissable là où devrait s’ouvrir un chemin.
Dans de tels cas, le sens de l’orientation me guide vers un itinéraire « bis », que je parcours en demeurant sourd aux injonctions du GPS tant qu’il essaie de me rabattre sur la rue en travaux ou le sens interdit imprévus au programme.

La machine doit nous faciliter la vie, me semble-t-il. La technologie est intéressante lorsqu’elle nous vient en aide et l’Homme fait montre d’intelligence lorsqu’il l’utilise avec bon sens.

Il reste des progrès à accomplir dans la gestion des rapports de l’Homme à la machine. L’une devrait refuser d’agir lorsque l’autre omet de réfléchir, et l’autre apprendre à réfléchir lorsque l’engin qui lui est confié montre ses limites.
Les défaillances devraient être compensées par la clairvoyance et l’étourderie par la logique.

Aujourd’hui encore, des tragédies surviennent lorsque manquent les dispositifs de sécurité indispensables à empêcher les faiblesses humaines de transformer en engin de mort un moyen de transport collectif : sur la route, sur le rail, en mer ou dans les airs, les exemples ne manquent pas où la vie de centaines voire de milliers de personnes est tributaire des agissements d’un seul être ou de la défaillance d’une simple pièce faisant partie d'un ensemble sophistiqué.

Deux précautions valent mieux qu’une, et trois mieux que deux.
Et s’il est vraiment crucial qu’un pantalon ne tombe pas, je n’ai rien contre le port combiné de la ceinture et des bretelles.

lundi 15 juillet 2013

Merci, Lance, Jan, Bjarne !

Ben oui. Merci à ceux-là et à quelques autres.
Autant j'aime bien le vélo, les courses cyclistes, le Tour de France et les grandes Classiques, autant certains commentateurs me hérissent avec leurs amalgames.

Je sais, c'est difficile de leur en vouloir ; et quand on voit ce qu'on vient de voir en gardant le souvenir de ce à quoi on a assisté il n'y a guère, les questions se bousculent. Alors, que faire ?

Jouer les hypocrites, fermer les yeux, les oreilles et la bouche ? Lancer des sous-entendus, des sarcasmes ? Dire tout haut ce qu'il est permis de penser tout bas ?

Alors, merci à Lance, à Jan, à Bjarne et aux autres, qui avec leurs tricheries nous ont bien pourri un sport qui compte parmi les plus beaux, les plus durs, les plus spectaculaires, les plus passionnants.

À présent, dès qu'un mec est plus fort que les autres, on ne doit plus s'enthousiasmer sur son talent, son travail, son audace, son panache. On peut s'enflammer, souligner la performance, ça oui, mais sans oublier d'ajouter dans le commentaire quelques sous-entendus plus ou moins lourds pour exprimer sa suspicion : non, ce n'est pas normal.

Et le bénéfice du doute ? Et la présomption d'innocence ?

Oui, Chris Froome a réalisé une belle performance, en l'emportant au Ventoux. Mais d'autres ont réalisé le même exploit avant lui sans qu'on leur dresse un procès ou qu'on les condamne sans preuve.

Avant, quand un mec était plus fort que les autres, c'était un phénomène, un surdoué, un bosseur, la classe à l'état pur. Bravo Coppi, Anquetil, Merckx, Hinault, Indurain, Lemond, Fignon et tant d'autres.

Aujourd'hui, les commentateurs n'osent plus y croire. Les journalistes se tâtent avant de s'enthousiasmer. Dame ! On les a roulés plusieurs fois dans la farine, alors...

Merci, Lance, Jan, Bjarne.
Merci, les tricheurs.
Merci d'avoir nié, d'avoir pris les gens pour des cons.

Chris Froome certifie qu'il n'a pas triché. Il n'y a pas de raison de ne pas le croire. D'ailleurs, l'ascension du Ventoux n'a pas été réalisée à une allure d'anthologie.

Est-ce que ça dérange quelqu'un que Chris Froome soit tout simplement le plus fort, comme d'autres l'ont été avant lui ?

Merci, Lance. Tu nous as bien pourri le cyclisme, avec tes tricheries et tes mensonges sous serment.

jeudi 4 juillet 2013

Actus de l'été à la con

J'étais en train de songer que j'allais évoquer la magie du Tour de France, lorsque l'actualité à la con a soudainement interrompu le cours de mes pensées ; ce qui explique que dans le titre, j'ai commencé par glisser une très légère allusion au début d'été sensationnel que nous connaissons après avoir pleinement profité d'un printemps d'anthologie. Les gens qui ont investi dans le photovoltaïque ne doivent pas rigoler. En sus du déficit d'ensoleillement que nous subissons depuis de très longs mois, les génies qui nous gouvernent ont décidé de raboter les primes et les déductions fiscales dont les investisseurs pouvaient bénéficier encore en début d'année. Mauvais joueurs !

En ce moment, il ne fait pas trop bon vivre en Égypte non plus, malgré le soleil beaucoup plus présent qu'ici. Alors que chez nous, quand on élit quelqu'un, en général on « fait avec » jusqu'aux prochaines élections en dépit des promesses non tenues et autres joyeusetés ; ailleurs, ça ne se passe pas comme ça. Comme quoi la démocratie, le respect du verdict des urnes et l'abus de pouvoir n'ont pas partout la même signification ni les mêmes implications. En Belgique, malgré une crise politique qui a duré plus de cinq cents jours, nous n'avons jamais imaginé faire appel à l'armée pour remettre de l'ordre. Quelque part, je me dis qu'il faudrait être au bord du désespoir pour en arriver à souhaiter voir des chars et des mitrailleuses dans les rues, ce qui me donne donc à penser qu'il ne doit vraiment pas faire bon vivre du côté du Nil, en ce moment.

Alors que là-bas, ils semblent pressés de se débarrasser de ministres et président, démocratiquement élus ou non, chez nous, on accumule les gestes de bienveillance. Nous avions déjà un roi et deux reines, mais dans moins de trois semaines, les effectifs vont presque doubler ! Je ne lui en veux pas, à Albert. Il a fait son temps, comme on dit. Et, contrairement à ce que lancent certaines gazettes, ce ne sont pas de prétendus scandales qui ont motivé sa décision, mais sa fatigue et son état de santé. À près de 80 piges, ça se comprend ! Nous aurons donc trois retraités à nourrir, à présent ; Albert et Paola venant tenir compagnie à Tante Fabiola. Je songe soudain que s'il arrivait malheur à Philippe dans quelques mois, une mésaventure comme tomber sur la tête, par exemple, il pourrait se trouver amené à abdiquer en faveur de sa fille aînée Élisabeth, ce qui nous assurerait une reine supplémentaire dans l'attente d'un roi par alliance, avec vraisemblablement une régence assurée par Tantine Astrid, Élisabeth étant trop jeune.
Ne cherchez pas à comprendre, sauf si vous connaissez un peu notre famille royale. Dites-vous seulement que ça commence à nous coûter bonbon, les dotations royales et princières de tous ces gens-là. Et ne criez pas « Vive la république ! », s'il vous plaît. Je ne voudrais pas chez nous de certains présidents...

Et, puisqu'il est question de présidents, notre oncle d'Amérique n'est pas au mieux de sa forme lui non plus. Très bas dans les sondages, le voilà éclaboussé par une sombre affaire d'espionnage. Alors, là, les bras m'en tombent : on nous espionne ! Que c'est vilain ! Parce que là, comme révélation, ça coupe le souffle. On ne savait pas, nous, que les Américains nous espionnaient. On avait déjà presque oublié que les Russes et les Chinois le faisaient aussi, alors, vous pensez bien, les Américains...
Je ne sais pas, mais j'ai l'impression que tout le monde essaie de se foutre de notre gueule, quelquefois, à nous autres le pauvre peuple. Ce qui scandalise en haut lieu, ce n'est pas le fait qu'on nous espionne, c'est juste que quelqu'un le dise bien clairement à la face du monde. Tant qu'on n'en parle pas, ça arrange bien les diplomates ; mais qu'on le dise tout haut, là... Bande d'hypocrites ! Je me demande s'ils ne nous prennent pas pour des cons.

Et tout ça m'a éloigné de ce dont je voulais vous entretenir au départ : la magie du Tour de France. Parce qu'on a beau râler, soupçonner, rigoler... cette course est irremplaçable. L'épisode corse était d'ailleurs de très haut vol : le car coincé sous le portique, les chutes spectaculaires, le suspense des arrivées...
Chaque étape est une « Classique ». En gagner une, c'est mieux que deux au Giro ou trois au Tour d'Espagne ; c'est mieux qu'un titre national.

Un rush final comme lors de la seconde étape, il n'y a qu'au Tour qu'on voit ça ! Un gars qui se sort les tripes pendant un kilomètre avec le peloton aux trousses, et qui passe la ligne en vainqueur avec une seule toute petite seconde d'avance sur la meute, c'est un spectacle ! Et quand c'est un Belge qui réalise l'exploit, ça fait d'autant plus d'effet de ce côté-ci de la frontière.
Ça nous a aussi donné une bonne occasion de rigoler, puisque la liste des six coureurs échappés pendant les derniers kilomètres, énoncée par Radio-Tour et affichée sur les écrans de télévision, n'incluait pas le nom du vainqueur. Les commentateurs d'A2 ont d'ailleurs parlé d'Irizar jusqu'à l'arrivée. Jalabert, au moins, il regardait les dossards !

Quelques frissons, aussi, pendant ces étapes. Les chutes qui se sont produites, bien sûr, mais aussi celles qui ont été évitées de justesse. Il me revient ces instants où un gus s'est soudain lancé sur la chaussée pour y ramasser sa casquette, puis s'est ravisé in extremis parce que les coureurs arrivaient plein pot ! Et ce clebs, au milieu de la route...

— Le chien ! Le chien ! s'écriaient les commentateurs à la télé belge.

Les cyclistes arrivaient, le clebs a quitté la chaussée... pour y revenir illico. Un mec a voulu traverser pour le récupérer, puis les deux bêtes sont reparties chacune de leur côté tandis que le peloton passait au milieu à soixante kilomètres à l'heure ! Ouf ! Sur le moment, on ne rit pas, mais comme ça s'est bien terminé, on peut se rattraper en le racontant.

En tout cas, ça prouve une chose : comme spectateurs d'une course cycliste, les chiens sont presque aussi dangereux que les gens.