mercredi 27 novembre 2013

Un train, des rails (*)

Alors que j'en étais à me demander avec angoisse comment ce Grand Homme dont j'ai déjà parlé à plusieurs reprises allait désormais se débrouiller pour faire encore parler de lui et réussir un énième come-back sur la scène politique transalpine, mon attention a été soudain détournée par la publication d'une statistique apparemment rassurante : seuls vingt pour cent des trains belges auraient été en retard, en octobre de cette année.

En prenant les chiffres dans l'autre sens, on doit donc admettre que quatre-vingts pour cent des trains seraient ponctuels. Et ça, ça me scie. Parce que chaque fois que j'emprunte ce moyen de transport, c'est-à-dire pas très souvent, j'ai la désagréable impression que les retards sont systématiques. Il y a donc quelque chose que je n'aurais pas compris.

Ou alors, c'est comme au supermarché où je choisis systématiquement la caisse où la file n'avance pas : c'est précisément le convoi que je dois prendre qui a pris un retard malencontreux.

Il faut dire également que le train, je ne me soucie de son existence que lorsque les routes sont rendues impraticables par des conditions climatiques aussi désastreuses qu'imprévisibles : apparition soudaine de trois centimètres de neige tombée d'on ne sait où, pénurie de chlorure de calcium ou températures tombant à cinq degrés sous zéro, grosse drache ou feuilles mortes balayées par de puissantes rafales estimées à plus de soixante kilomètres/heure, manifestation d'agriculteurs en colère contre la chute du prix des patates à frites, etc.

Alors, apparemment, ce qui fait souffrir les routes fait aussi souffrir les trains. Ceux que je prends, tout au moins.

Et puis, en lisant plus loin, je m'aperçois que, pour la SNCB, un train ponctuel est un train qui a moins de six minutes de retard ! Là, les choses s'expliquent un peu mieux.

En ajoutant les rames amputées de la moitié de leurs voitures « en raison d'un problème technique », celles qui sont à ce point délabrées qu'on se demande par quel miracle elles roulent encore, celles dont le chauffage s'est mis en grève et celles qui sont tout bonnement supprimées, je me demande si le pourcentage de trains « ponctuels » n'est pas à inverser.

Quand je pense que certains génies s'imaginent promouvoir l'usage des transports en commun en installant des parkings de dissuasion aux alentours des grands centres urbains, je me demande comment ils peuvent être encore assez naïfs pour croire que les gens vont grimper dans leur bagnole et, vingt kilomètres plus loin, aller la garer (s'il y a de la place) sur un parking à l'écart de tout sauf des vandales et des voleurs, puis battre la semelle en attendant un autobus payant qui va aller s'enferrer dans les bouchons et dans lequel ils vont côtoyer une kyrielle d'enrhumés et attraper leur toux et leur goutte au nez !

Pendant ce temps-là, des compagnies de taxis manifestent contre l'obligation d'installer de nouveaux taximètres numériques dans leurs véhicules. L'installation coûte trop cher, paraît-il, même si elle est financée pour moitié par les autorités. Il paraîtrait aussi que ces nouveaux taximètres entraveraient les pratiques frauduleuses ; mais ce sont les mauvaises langues qui disent ça et ce n'est sûrement pas en songeant à cela que certains manifestent leur mécontentement.

Et tant qu'on est à parler de numérique et d'électronique, je viens de lire que les paiements de demain se feront davantage par SMS et autres moyens électroniques offerts par notre monde de télécommunications. M'étonnerait pas que toutes ces ondes finissent par brouiller les émissions de télé et, accessoirement, nous refiler un cancer de la cervelle ! Ce serait quand même plus simple de nous promener avec un code-barre au front, non ? Ou aux fesses, comme les zèbres ?
Non, ce n'est pas drôle.

Pas drôle non plus – pour eux, parce que moi, ça me ferait plutôt marrer –, c'est la découverte de fichiers relatifs à plus de trois mille comptes bancaires détenus par près de deux mille cinq cents Belges ayant, pendant des années, dissimulé au fisc leurs capitaux au moyen de sociétés bidon créées dans des paradis fiscaux. Parmi ces Belges, une forte proportion de diamantaires, et quelques pointures dans les milieux du football professionnel, du barreau, du patronat... Bravo !

Plus drôles, par contre, sont les récentes déclarations de Tom Boonen (si, si, il vit toujours et roule encore à vélo), qui envisage 2014 « avec confiance ». S'il envisage juste de faire mieux qu'en 2013, il peut se montrer confiant, en effet.

Je lis aussi dans le canard qu'un Autrichien s'est fait flamber pendant cinq minutes et quarante et une secondes, battant de seize secondes le précédent record détenu par un Américain. Si ça les amuse d'essayer de se transformer en torche humaine pendant de longues minutes... Mais le véritable record est toujours français, puisqu'il fut jadis signé par une certaine Jeanne d'Arc ; même si, hélas ! il ne fut pas homologué.

Et pour terminer, je vous signale que cette semaine est la semaine de la frite. Vous l'ignoriez ? Moi aussi. Mais puisqu'on a des journées de ceci et de cela à n'en plus finir au point que le calendrier est complet jusqu'à perpète, il a bien fallu trouver, après la quinzaine du beau langage, la semaine de la frite.

Après tout, pourquoi pas ? Ce n'est pas plus con que la journée de la femme.



(*) « Un train, des rails », ça fait partie du jeu des pluriels.
Par exemple : une lourde, des fêtes ; un avion, des colles ; une grosse, des illusions ; un voleur, des valises ; etc.

Vous pouvez y jouer vous aussi.

vendredi 15 novembre 2013

Bouffer de la m...

Il arrive qu'on me demande, au hasard des conversations, si j'ai regardé telle ou telle émission de télé, réponse à laquelle je réponds généralement par la négative, n'étant pas du tout accro à la petite lucarne.

Depuis quelque temps déjà, les reportages et autres enquêtes qui s'intéressent au monde dans lequel nous essayons de trouver le bonheur fleurissent ici et là, et il m'arrive d'en regarder l'un ou l'autre. Invariablement, ces documents semblent avoir pour principe directeur de nous faire comprendre à quel point l'Humanité – qui ne mérite pas le grand H que je lui ai attribué – est gouvernée par le pouvoir de l'argent et pourrie jusqu'à la moelle par la recherche du profit maximal.

Oh ! ce n'est bien sûr pas là le fait des petites gens et autres travailleurs de l'ombre, même s'ils contribuent involontairement – par nécessité de survie – au pourrissement général d'une grande partie des valeurs qu'on devrait respecter, mais celui de ceux qui recherchent inlassablement de nouveaux moyens d'accroître leur marge bénéficiaire.

Aujourd'hui, en matière d'alimentation, lorsqu'on décide de mettre un produit sur le marché, une étude financière doit d'abord être menée qui consiste essentiellement en ceci : comment réussir à produire le moins cher possible ce qu'il faudra vendre à un prix bien déterminé ?
Quand une enseigne souhaite vendre, par exemple, de la pizza au jambon à un tarif concurrentiel, le premier souci est de trouver un producteur qui va fabriquer ladite pizza pour un coût unitaire le plus réduit possible. Un produit d'appel, ça se vend bon marché, donc ça doit revenir encore meilleur marché.

On apprend alors, au gré de l'enquête menée plus ou moins discrètement par une équipe mandatée par une chaîne de télévision ou une association de consommateurs, que l'usine – il faut bien appeler ça une usine – qui produira la fameuse pizza en produit aussi de toutes sortes, pour d'autres concurrents, pour d'autres marques. Mais pour la grande surface qui cherche un produit d'appel à écouler en grande quantité, ce qui compte en premier lieu, c'est le prix de revient. Peu importe donc que le jambon ne soit pas du vrai jambon, que le fromage ne ressemble que très vaguement à du fromage et que la pizza n'ait qu'un très lointain rapport avec celle que prépare avec talent un bon pizzaïolo. Tant qu'on peut écrire « jambon-fromage... » dans la liste des ingrédients devant figurer sur l'étiquette, c'est bien suffisant. Les colorants et additifs précédés de la lettre E – cette assurance de qualité dûment homologuée par nos génies européens – sont évidemment inoffensifs.

Le producteur explique alors qu'à ce prix-là, non, il ne peut pas faire de la vraie pizza. Et le responsable commercial de l'enseigne qui écoule le produit nous donne le renseignement qui tue : « c'est le consommateur qui veut ça ». En d'autres termes, en nous vendant de la merde, il répond à notre attente. Nous voulons de la merde. Nous ne voulons pas payer cher (c'est normal, on n'a plus de sous), donc nous nous ruons sur la merde.

Une collègue outrée me racontait récemment qu'elle n'oserait plus manger de poisson, après avoir vu le reportage consacré à l'élevage, la préparation et la commercialisation de ces petites bêtes et des produits dérivés. Elle pensait que le poisson, c'était sain. À moi aussi, on me l'avait dit. Il y a là-dedans de bonnes graisses, pleines d'Omega3 – et les Omega3 c'est bon, ne me demandez pas comment ça se fait, mais il paraît que c'est bon – qui garantissent le maintien d'un faible taux de cholestérol. Le saumon, c'est le meilleur, paraît-il.

Oui, mais ça dépend du saumon. Comment on l'élève, ce qu'on lui donne à manger... Parce que vous pensez bien que tout le saumon qu'on nous vend n'est pas du saumon sauvage pêché en plein océan. Il est élevé dans des parcs spécialisés. Un peu comme bon nombre d'autres poissons auxquels on fait bouffer de la merde. Parce que les poissons, c'est un peu comme la pizza du supermarché : il faut qu'ils soient produits à faible coût. Mais comme un poisson, surtout quand il est vendu en entier, c'est plus difficile à imiter avec quelque chose qui n'est pas vraiment du poisson que d'imiter la pizza jambon-fromage avec des ingrédients qui ne sont pas vraiment du jambon et du fromage, il faut bien faire des économies autre part. Donc, les poissons, ils bouffent de la merde, et cette merde atterrit dans notre assiette. Il paraît qu'on aime ça.

Déjà, le poulet, je m'en méfiais. Et pas seulement de celui en uniforme. Mais le poulet, qu'on dit « élevé au sol » ou « élevé en plein air » pour nous faire croire qu'il est comme un coq en pâte depuis qu'il échappe à l'élevage en batteries, que croyez-vous qu'il mange ?

Exactement.

Et en plus, comme il est « élevé au sol » sans préciser qu'il dispose de la place à peine suffisante pour picorer au milieu de ses dizaines de milliers de congénères qui se bousculent et se marchent dessus, ou « élevé en plein air » dans des conditions à peu près identiques à l'exception du toit, imaginez-vous dans quoi il pose les pattes et le bec ?

Exactement.

Pour qu'il s'en sorte – pas pour son bien-être ni pour le nôtre – sans trop de maladies et atteigne son poids d'abattage avant d'être mort d'épuisement, on lui donne des antibiotiques. Tout plein d'antibiotiques. Et si vous avez déjà pris des antibiotiques, vous savez certainement quels sont leurs effets secondaires ?

Exactement.

Dernièrement était programmée une émission sur le cochon. Dans le cochon, tout est bon, c'est bien connu chez les non-musulmans. Je n'ai pas regardé. Mais j'ai aisément imaginé la manière dont on élève ces pauvres bêtes dans la recherche d'un profit maximal, et j'ai aisément deviné la teneur de ce qui finit par atterrir dans leur auge avant d'en faire de même avec nos assiettes. Et vous ? Avez-vous deviné ?

Exactement.

Je vais devenir végétarien. Manger les fruits et légumes de mon jardin – quand même un peu pollués avec tout ce qui nous retombe du ciel – et les œufs de mes poules. Et continuer à faire moi-même mon pain.

Et quand j'aurai mangé et digéré tous ces bons produits, que restera-t-il, à votre avis ?

Exactement.

Mais celle-là, ce sera la mienne.

mercredi 6 novembre 2013

Mal mystérieux et poil de nez

Notre corps, machine complexe parfois fragile mais souvent merveilleuse, recèle des mystères que notre médecin de famille – qui nous connaît pourtant si bien – peine souvent à éclaircir.

Combien de fois n'avons-nous pas souffert de quelque mal apparemment inexplicable, si inexplicable que le praticien en arrive à déclarer d'un ton las que c'est psychosomatique ou, à tout le moins, que c'est bénin ? Le genre de chose qui peut nous conduire à préciser, dans notre testament, que sur notre tombe devra figurer l'inscription : « Je vous l'avais bien dit que j'étais malade ».

Avouez toutefois que le bon docteur, aussi compétent soit-il, n'a pas toujours la tâche facile. Bien sûr, parfois, en arrivant chez vous suite à votre appel (où à celui d'une personne partageant votre quotidien, si vous n'étiez pas en état de téléphoner), le généraliste qui vous trouve allongé le thermomètre sous le bras n'a guère de peine à diagnostiquer votre grippe, celle-là même qui frappe à ce moment-là les trois quarts de sa clientèle, ou une autre affection contagieuse qui court les rues à la faveur d'une mauvaise saison un peu vicieuse. Mais ce n'est pas toujours le cas.

Lorsque vous vous rendez à sa consultation – de dix-sept à dix-neuf heures mais qui joue fréquemment les prolongations – pour lui conter vos soucis du moment, vous n'êtes pas toujours porteur de germes pathogènes immédiatement identifiables. Une fois mises de côté vos petites affections chroniques (allergie au pollen, au boulot, à TF1...) que vous connaissez bien et que vous soigneriez vous-même sans le secours du praticien si le pharmacien daignait au moins vous délivrer sans prescription le remède habituel et si votre patron vous octroyait généreusement sans certificat d'incapacité les quelques jours de congé nécessaires à vous remettre d'aplomb, vous voilà embarqué dans la description d'une douleur inédite, un mal étrange qui vous assaille de temps à autre, depuis quelques jours.

Vous avez bien songé que « ce n'est pas grave » et que « ça va passer », mais non. Ça ne passe pas. Ça s'en va et ça revient et, précisément, au moment où votre tour vient de vous présenter devant le toubib après avoir lustré du fond du pantalon une des chaises de la salle d'attente, ça s'en est allé.

Vous vous en doutiez. Cette douleur, ces élancements, ces sortes de pincements, de crampes, de... Vous n'arrivez pas à les décrire exactement et le médecin de famille parvient encore moins à les cerner. Tout ce qu'il comprend, c'est que vous souffrez de temps à autre, que c'est passager, et qu'il faudrait qu'il soit là au moment où ça se produit pour avoir une meilleure idée de ce qui se passe peut-être au sein de votre machine biologique capricieuse et complexe, mais voilà : il a autre chose à faire que de rester à votre chevet en attendant que « ça arrive ». Même si vous lui payez l'attente, comme vous pouvez le faire avec un chauffeur de taxi.

En attendant, votre tension artérielle est correcte, votre coeur bat comme il doit et la perspective d'aller bosser le lendemain se précise. Pour vous rassurer, le généraliste vous prescrit une radiographie, une échographie, un encéphalogramme, une gastroscopie ou tout autre truc finissant en « ie » ou en « amme », et vous propose de revenir le voir quand il aura reçu les résultats.

Il arrive aussi qu'il prévoie de vous faire faire pipi dans un petit pot ou de vous envoyer subir un prélèvement sanguin plutôt que de vous envoyer paître, même si vous l'enquiquinez, en fin de compte, avec vos petits maux.

Après ça, vous n'en saurez pas davantage ni lui non plus, votre petit mal mystérieux aura de toute façon miraculeusement – mais provisoirement – disparu en même temps qu'un bon paquet de pognon hors de votre portefeuille et des caisses de la sécu. La santé, c'est comme ça. C'est mystérieux.

C'est comme les poils de nez.

Les poils de nez, on nous a déjà vaguement dit à quoi ça sert : à filtrer ce qu'on respire et à bloquer les saletés qui, sans cela, arriveraient dans nos poumons et nous ficheraient de foutues maladies. C'est vous dire à quel point les poils de nez se foutent bien de notre pomme.
À moins qu'il y ait trop de saloperies dans l'air pour que de pauvres petits poils de nez puissent toutes les arrêter, ce qui est une autre explication plausible, admettons-le.

Mais les poils de nez, c'est quelque chose !

Vous avez certainement déjà été la victime d'un de ces petits vicieux qui se met soudain à vous chatouiller l'entrée de la narine, et à vous la chatouiller si bien qu'il faut que ça s'arrête ! Et rien n'y fait : ni le mouchoir, ni le doigt. Il faut éliminer le trublion.

Comme ça se produit rarement au moment où vous êtes devant le miroir de votre salle de bain avec une pince à épiler à portée de main, mais plutôt dans un endroit où l'on pourrait vous voir vous tripoter les narines et songer que vous êtes un dégoûtant, vous essayez la discrétion. Souffler doucement, renifler discrètement, tenter d'attraper cet enfoiré entre deux ongles... Rien n'y fait !

Vous cherchez un coin tranquille. Si vous avez de la chance, les toilettes ne sont pas loin. Sinon, vous vous détournez discrètement, vous attrapez et vous tirez. Et ça fait mal, nom d'une pipe ! D'autant plus que le coupable a résisté : vous contemplez vos ongles, mais ils n'ont rien emporté dans leur travail de pinçage-arrachage.

Vous recommencez. Malheureusement, celui que vous parvenez à extraire douloureusement n'est pas ce petit vicieux auteur du chatouillis, mais un de ses voisins parfaitement innocents ! La larme à l'œil, vous étouffez un juron et sortez votre mouchoir. Quand on s'arrache un poil de nez, ça fait rougir et pleurer l'œil situé du côté de la narine agressée. Les poils de nez ont probablement de longues racines. Et immédiatement après, vous devrez vous moucher si vous ne voulez pas passer pour un morveux.

La douleur passée, le flux lacrymal apaisé, vous tentez de repousser vers l'intérieur ce foutu poil emmerdeur qui persiste à vous chatouiller. Hélas !

Plusieurs tentatives d'arrachage seront nécessaires pour venir à bout du poil récalcitrant.

Les poils de nez, c'est un des mystères de notre corps.

Je me demande si certains ont déjà songé à utiliser leur arrachage comme moyen de torture... Ça doit être efficace.