jeudi 9 janvier 2014

Les gamins qui vendent des babioles

Un vendredi soir, un gamin du village est venu sonner à ma porte. Il vendait des stylos-bille pour la fête de son école. Il était courageux, le petit. Malgré la pluie, capuchon de l'anorak serré autour de la tête, il avait démarré dès la fin des cours, mettant les sous dans un sachet de plastique. Pour un euro, j'ai donc acheté un stylo-bille que j'ai ensuite jeté dans un tiroir du meuble-téléphone, là où il en traîne déjà quelques autres.

Le samedi matin, en rentrant des courses, ma femme a déposé un porte-clés et un stylo-bille sur la table. L'un était marqué du nom d'une très respectable unité scoute, le second provenait de la même école que celui que j'avais acquis la veille. Ma femme m'expliqua que quelques garçons en uniforme - très polis au demeurant - vendaient les premiers au prix modique d'un euro pièce sur le parking du supermarché, tandis que le second lui avait été gentiment cédé - contre un montant identique - par une fillette du village qui l'avait même aidée à décharger deux paquets du coffre de la voiture.
Le tiroir a donc accueilli deux bouts de plastique supplémentaires.

Dans l'après-midi, je m'en suis allé benoîtement ouvrir la porte au fils des voisins, un gamin quelque peu indolent que ses parents avaient fini par tirer du lit à l'heure du déjeuner pour le pousser dehors à celle de la sieste avec sa foutue poignée de stylos à bille à vendre au profit de la fête de l'école.
Comme je n'ai aucune envie de me fâcher avec les voisins pour un malheureux stylo-bille à un euro, j'ai donc gratté mes fonds de poches pour réunir un peu de monnaie et agrandir notre collection de bics qu'on n'utilisera pas et dont l'encre se dessèchera, ou dont on ne se servira qu'une fois avant de les égarer ou les oublier quelque part. Sur le moment, je me suis consolé en me disant que le gamin en aurait au moins vendu un.

Et c'est au soir que j'ai commis l'infamie. Nous avions décidé, ma femme et moi, que si quelqu'un venait encore sonner à la porte, nous regarderions sournoisement par la fenêtre pour nous assurer avant d'ouvrir que nous n'ayons pas affaire à un vendeur de bics ou de porte-clés. Mais personne n'a sonné. C'est moi qui suis sorti. Je voulais juste récupérer un disque compact que j'avais laissé dans le lecteur de la voiture.
Au moment où je claquais la portière, j'ai entendu une petite voix derrière moi. Un gamin qui vendait des stylos à bille pour la fête de son école. Je lui ai dit que nous en avions déjà acheté plusieurs et, pour faire bonne mesure, je suis rentré pour plonger la main dans le tiroir et en tirer une poignée de bics, tous à peu près pareils, autour lesquels s'entremêlaient les anneaux de plusieurs porte-clés.
Le garçon a eu l'air tout triste. Ses épaules se sont affaissées puis il a baissé la tête vers son sac banane pour y ranger ses stylos à bille. Ses doigts tremblants en ont laissé échapper un, alors il s'est vite baissé pour le ramasser, puis il est parti après m'avoir dit bonsoir.
Ça m'a fait tout bizarre quand j'ai refermé la porte. J'avais le sentiment d'être injuste. Ce gamin n'était pas moins poli qu'un autre, son stylo à bille n'était pas plus moche et marchait probablement aussi mal que ceux qui encombraient déjà mon tiroir. Ce n'était même pas pour l'euro que ça m'aurait coûté. Il me restait d'ailleurs encore un peu de monnaie dans la poche de mon paletot.

Mais comment donc ces enfants auraient-ils pu deviner que nous avions dans notre tiroir davantage de bics et de porte-clés que nous n'en pourrions jamais utiliser ?
Devrons-nous, à l'avenir, exposer aux yeux de tous cette collection d'objets en les étalant derrière la vitre du living ?
Ma femme n'a pas apprécié l'idée. Elle espère seulement que les prochains vendeurs proposeront quelque chose de plus original. Moi aussi, parce que je n'aime pas de dire non quand on demande poliment.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire