mercredi 22 avril 2015

Le courage ou la patience, pour le vélotaf ?

Susciter l'admiration et recevoir des compliments sont des choses agréables, mais souvent embarrassantes quand on ne cultive pas l'art de « se la péter ». La tendance est alors de minimiser l'importance de l'acte accompli, même si cette attitude est dictée autant par l'hypocrisie que par la modestie.

À un collègue qui me félicitait d'emprunter de temps à autre ma bicyclette plutôt que ma voiture pour me rendre au boulot ; et ajoutait qu'il serait bien incapable d'en faire autant, j'avais répondu que « c'est une question d'habitude ».

« N'empêche ! avait-il insisté. Je n'aurais pas ce courage. »

En y réfléchissant un peu, je me suis dit que « non, décidément, ce n'est pas du courage ». Pas dans mon cas. Si je faisais ça tous les jours, même quand il fait froid, même quand il pleut, même quand le vent devient méchant... ce serait réellement du courage. Mais comme je ne me hasarde sur ce trajet à vélo que lorsque je pressens que les conditions météorologiques ne transformeront pas l'exercice en séance de torture, je préfère éviter d'évoquer le courage.

— Ce n'est pas du courage, qu'il faut. C'est de la patience, ai-je affirmé.
— De la patience ? s'est étonné mon collègue.
— Parfaitement. Parce qu'à vélo, tu vas moins vite qu'en voiture et que ce qu'il te faut, ce n'est pas le courage de faire le trajet, mais la patience de le faire au rythme qui te convient.
— Ouais, ouais. Je vais quand même pas partir la veille, hein ! Parce que trente bornes...

Trente bornes, ce n'est pas rien, mais nul besoin de rouler toute une nuit pour arriver à l'heure le matin au boulot.

Évidemment, quand on n'a jamais enfourché sa bicyclette que pour aller chercher le pain à quelques centaines de mètres ou faire une petite balade en famille le dimanche après-midi, trente bornes, c'est presque le bout du Monde.

— C'est sûr, ai-je expliqué à mon collègue, que tu ne vas pas rouler trente kilomètres le matin, faire ta journée de boulot, puis te taper la même distance au retour sans un minimum de préparation. Avant d'envisager ça, il faut d'abord voir plus petit. C'est pour ça qu'il faut de la patience.

À bicyclette, tout est question de patience. S'il suffisait de courage, je connais des gens qui rouleraient plus et mieux que moi. Chérie, par exemple, est une femme courageuse, travailleuse, dure à la tâche. Mais la patience n'est pas sa vertu première lorsqu'il s'agit de se déplacer ; que ce soit en voiture, à vélo ou à pied. Pour Chérie, un déplacement, c'est du temps perdu. Elle préfère rester une demi-heure de plus dans son lit et utiliser le moyen de transport le plus rapide. Le vélo, ça ne l'intéresse que pour la petite balade en famille.

Tant qu'on reste dans le domaine du raisonnable, on peut utiliser la comparaison entre l'engin motorisé (voiture, moto, transports en commun) et l'usage de ses propres guibolles (marche, vélo) : la majorité des gens bien portants opteront pour le moyen le plus rapide ou le plus économique avant de se poser la question de l'opportunité de se fatiguer un peu.

Un exemple ? Si vingt minutes de marche suffisent là où quarante de voiture et la recherche d'un emplacement de stationnement mettent les nerfs à vif, seuls les indécrottables paresseux choisiront la voiture lorsqu'il fait beau.

Quand une option est plus rapide qu'une autre, même si elle est moins confortable, nous opterons généralement pour celle-là. La plupart des gens qui voyagent en avion détestent cela, mais c'est si rapide... L'autoroute n'a aucun charme, elle est souvent payante, mais généralement plus rapide que les routes ordinaires...

Évidemment, quand le moyen le plus rapide est aussi le plus fatigant, il faut se motiver un peu pour franchir le pas ! Imaginons alors ce qui se passe quand le moyen le plus fatigant n'est pas le plus rapide mais seulement le plus économique, écologique, favorable à la santé...

Donc, à la patience, il faut ajouter la motivation. Mais la motivation, il la faut pour beaucoup de choses, sinon nous serions tous réfractaires à l'effort, aussi modeste soit-il. À partir du moment où on se motive, où on décide de se mettre au vélo, la patience est la qualité qui s'impose. Il faut s'accorder du temps. Le temps de s'habiller confortablement pour la pratique du vélo, le temps de vérifier avant de partir que le matériel est en bon état (pneus, freins...), le temps de s'échauffer avant de tenter un effort violent, le temps de rouler à un rythme qu'on peut soutenir sans souffler comme un phoque.

— Suppose, dis-je à mon collègue, une boucle de cinq kilomètres à parcourir comprenant une partie plate, une petite bosse, une seconde partie plate, une côte, une descente et retour sur le plat au point de départ. Ce n'est pas long. Le soir en rentrant, tu prends ton vélo et tu fais le tour. Tranquille. Sans forcer. Si tu es essoufflé en arrivant au-dessus de la petite bosse, prends le temps de récupérer. Tu t'arrêtes s'il le faut. La côte, plus loin, si tu la termines à pied en poussant ton vélo, ce n'est pas grave. Tu profiteras ensuite de la descente avant de revenir au point de départ. L'important, c'est de faire la boucle en entier. Même si ça te prend trente minutes.

— Et si ça me prend une heure ?

— Une heure, c'est comme si tu faisais tout à pied. Mais peu importe ! Dès que possible, un autre jour, tu fais le même trajet à vélo. Sans forcer. Si tu as la patience de faire le tour le plus souvent possible, toujours à ton rythme, tu constateras que tu progresses : plus d'arrêt en haut de la petite bosse, la côte sans mettre pied à terre... et soudain l'envie de tenter une seconde boucle ou un parcours un peu plus long. Parce qu'une fois qu'on s'est lancé et qu'on progresse, la motivation s'entretient plus aisément. L'important, c'est de rester patient.

— Ce sera difficile.

— La patience, ça ne coûte rien. C'est juste psychologique. Ne pas forcer dans les côtes, car elles sont toujours plus longues qu'il n'y paraît. On a souvent l'impression de s'être hissé en haut, mais parfois, juste après, ça monte encore légèrement. Il faut la patience de gérer l'effort, de ne pas rouler trop vite avant d'être sûr d'arriver au bout du parcours. C'est en vue de l'arrivée qu'on peut « se lâcher » et donner tout ce qu'il nous reste.

— Ouais, mais ce n'est pas avec ma boucle de cinq kilomètres, même si je réussis à la faire deux ou trois fois, que je vais pouvoir me taper deux fois trente bornes comme tu le fais !

— C'est sûr. Mais personne ne te suggère de rouler trente bornes. Pas dans l'immédiat. D'ailleurs, moi-même, la première fois que j'ai tenté le coup (un essai, un dimanche), j'ai fait demi-tour à mi-chemin ! Je pensais que je n'y parviendrais pas, mais c'est venu. Quelques semaines plus tard, après avoir progressivement allongé mes petites boucles près de chez moi.

— Ouais... Mais quand même !

— Et toi, c'est pas trente kilomètres, non ? Une quinzaine, à tout casser. Alors, qu'est-ce que t'attends ?

— Heu... en bagnole, c'est quinze à vingt minutes seulement ! À vélo, je mettrais une heure, au minimum.

— Ah ! Tu vois que c'est la patience, qui te manque le plus !