lundi 13 juillet 2015

La porcherie

Lorsque j'entends parler du septième art ou que quelqu'un me suggère de me rendre dans une salle de cinéma, je ne peux dissimuler mon manque d'enthousiasme.

— On n'irait pas au cinéma ?
— Voir quel film ?
— Heu...

Car il y a un peu de ça aussi. Certaines personnes se rendent au complexe cinématographique sans avoir choisi le film qu'elles verront. Ces personnes fréquentent souvent les salles obscures ; pour elles, le plus important est de s'y rendre, d'y retrouver quelques connaissances et de passer en leur compagnie deux heures de détente. Le choix du programme n'est pas sans importance, mais il semble secondaire.

Pour ce qui me concerne, c'est plutôt l'inverse : l'important est justement d'aller voir le film que j'ai envie de voir. Et si aucun film ne me tente, je n'y vais pas. Et attention : je ne consulte pas les programmes en me disant que « j'irais bien au cinoche aujourd'hui, s'il y a un bon film ». Plus simplement, je ne m'imposerai le déplacement vers la salle de projection que s'il se joue un film que j'ai vraiment envie de voir tout de suite, sans attendre sa sortie en DVD.

Je ne sais pas comment ça se passe chez vous ; mais près de chez moi, une salle de cinéma, ça s'apparente malheureusement à une porcherie. Pas étonnant dès lors que je n'aie qu'exceptionnellement envie de la fréquenter.

Que les gens y viennent pour manger, voire s'empiffrer, c'est déjà quelque chose qui me dépasse. Comment peut-on bouffer autant ? Comment peut-on être affamé à quatorze heures, à seize heures ? Est-ce l'instant du dessert après le repas de midi ? L'heure de l'apéro avant celui du soir ?

C'est incroyable, ce que ces gens paraissent affamés ! En entrant, déjà ! Avant même d'avoir choisi leur fauteuil, les cinéphiles ont fait le détour (ce n'est pas loin) par le comptoir des denrées goinfrimentaires, d'où ils rapportent qui un seau de pop-corn, qui un sac géant de pommes chips, qui une monstrueuse crème glacée, qui un colossal paquet de friandises... sans oublier l'indispensable boisson – un soda servi dans un récipient gargantuesque – pour que tout « descende bien ». C'est dingue ! Parce que moi, quand j'ai faim, je vais au restaurant ou je rentre chez moi me préparer un bon repas. Je ne vais pas dans un cinéma.

Ces gens, ils bouffent. Avant le début du film et pendant le film. Et à l’entracte, s'il y en a un, ils mangent encore ou ils vont vite faire un petit tour aux toilettes pour vidanger avant de repasser par le comptoir faire leurs provisions pour tenir le coup pendant la seconde partie de la projection. Ils bouffent et ils boivent, parce que l'un ne va pas sans l'autre.

J'ai l'impression que, pour eux, visionner un film donne de l'appétit. Les émotions, peut-être ? On dit d'elles que ça creuse façon fringale de sportif en plein effort.

S'ils ont envie de bâfrer, si ça leur plaît de claquer leur fric pour des monceaux de friandises et de trucs gras accompagnés de litres de boissons industrielles hypersucrées, qui suis-je pour les critiquer ? Je ne les critique pas. Je constate. Je m'interroge.

Certes, les voir bâfrer et respirer l'odeur de toute leur bouftance aurait un peu tendance à m’écœurer, mais lorsque s'éteignent les lumières, le cinéma reprend ses droits : on oublie le voisin qui plonge répétitivement la main dans le sac de chips, la voisine qui grignote ses pop-corn, le môme qui suçote ses bombons. C'est à peine si l'on entend les bruits de mastication, les froissements d'emballages plastiques. Non qu'ils soient discrets, mais le volume sonore qui sort des haut-parleurs stratégiquement disposés autour des spectateurs est si important qu'il couvre le moindre claquement de mandibules, le moindre rot satisfait.

C'est pour ça, peut-être, que le son est réglé si fort dans un cinoche ?

Non, ce qui me dérange, ce n'est pas qu'on mange dans une salle de cinéma, mais qu'on y mange salement. Des trucs tombent, personne ne les ramasse – surtout dans l'obscurité – et on s'assoit ou on marche dessus. Du soda se renverse, des mains poissées se posent sur les sièges, les accoudoirs...

La salle de cinoche, aujourd'hui, c'est sale et ça pue. Une porcherie. Encore que le porc soit, contrairement à ce qu'on peut communément penser, un animal relativement propre.

En tout cas, lui, il ne met pas de la bouffe partout. Et il n'a pas besoin qu'on lui projette un film pour éprouver une soudaine et irrépressible envie de manger.