lundi 9 novembre 2015

J'aime ma banque

J'ai déjà expliqué dans ces pages tout le bien que je pense de ma banque et des banques en général, ces bienfaitrices de l'Humanité, ces sociétés œuvrant activement et inlassablement à notre bonheur et à la sécurité de nos avoirs financiers.

Client depuis de longues années d'une grande enseigne qui, à diverses reprises au cours de cette période de son histoire et de la mienne, a pris soin de se rebaptiser au hasard des fusions, absorptions, restructurations et menaces de faillite ; je me suis déjà demandé pourquoi je lui accordais une telle fidélité car, non contente de réduire la qualité de son service, le nombre de membres de son personnel et, accessoirement, le taux d'intérêt de mon compte-épargne, cette même banque n'accorde crédit qu'à grand-peine et à des taux usuraires, ne reçoit le client que sur rendez-vous et facture des frais administratifs lorsque vous lui demandez d'effectuer un virement que vous ne pouvez encoder vous-même au guichet automatique parce que dépassant le montant maximal admissible.

À chaque fois que je me pose cette question, les réponses se bousculent : force de l'habitude, paresse, interminables problèmes administratifs et, surtout, aucune garantie de trouver moins mauvais ailleurs.

Tout récemment, ma banque chérie m'adresse donc un courrier postal pour m'avertir que la « carte à puce » qui me sert à effectuer un tas d'opérations depuis mon compte courant sera bientôt remplacée car arrivant au terme de sa période de validité. Un regard sur le bout de plastique en question m'indiquant que c'est vrai, je me dis « fort bien », d'autant que l'objet commençait à afficher de méchantes traces d'usure (sans jeu de mots).

Ma banque chérie, dans son courrier, m'explique (texto) qu’« Optimiser sans cesse votre confort est pour nous une mission quotidienne ». Et elle ajoute ceci : « Votre carte de banque actuelle doit être mise à jour. Nous allons donc bientôt vous en envoyer une nouvelle. Ainsi, vous pourrez continuer à profiter du confort de paiement avec votre carte de banque. »

S'ensuit alors une description de la procédure :

1. Nous avons déjà commandé votre nouvelle carte.
2. Vous allez d'abord recevoir un nouveau code secret par la poste. Veuillez le conserver précieusement. Une fois votre nouvelle carte activée, vous pourrez le modifier à tout moment à un automate de notre banque.
3. Quelques jours plus tard, vous recevrez, par courrier distinct, votre nouvelle carte.
4. Vous pouvez activer votre carte dès réception. Vous trouverez ci-joint les instructions de la procédure d'activation.
5. Une fois que vous aurez utilisé votre nouvelle carte, vous ne saurez(*) plus utiliser l'ancienne.

Important : Veuillez conserver cette lettre et son annexe jusqu'au moment de l'activation de la carte.
(*) En belge dans le texte.

Sur la feuille annexe, en sus de mon nom et de mon adresse, figurent mes coordonnées IBAN, une suite de 11 chiffres et la procédure d'activation de la nouvelle carte. C'est facile :

1. La carte que nous vous envoyons est encore bloquée quand vous la recevez.
2. Pour la débloquer, vous avez besoin d'un code d'activation de 11 chiffres. Attention : ne confondez pas ce code d'activation avec le code secret qui vous a été envoyé séparément par la poste. Votre code d'activation se trouve en haut de cette annexe. Gardez ce numéro à portée de main quand vous allez appeler.
3. Formez le numéro gratuit **** *** **. Vous pouvez téléphoner 24h/24, 7j/7.
4. Suivez les instructions.
5. C'est fait ? Votre carte est alors immédiatement activée. Attention : votre ancienne carte reste encore active jusqu'à la première utilisation de la nouvelle.

Muni de la carte, bien reçue dans une autre enveloppe, de cette lettre et de son annexe, j'ai donc appelé le numéro gratuit et suivi les instructions... qui consistaient simplement à me dire d'envoyer le code de onze chiffres. Aucune vérification de quoi que ce soit. Cela consiste donc probablement à vérifier que le courrier contenant la carte est bien dans les mêmes mains que celui contenant le code d'activation. Peu importe que ces mains ne soient pas les miennes.

Je résume donc en quelques lignes le sens de la sécurité de ma banque adorée :
— Un courrier m'annonçant l'arrivée de ma nouvelle carte, m'expliquant la procédure d'activation et contenant un code à onze chiffres à envoyer par téléphone.
— Un courrier contenant la carte en question.
— Un courrier contenant le nouveau code secret lié à cette même carte.

Les trois missives ayant atterri dans ma boîte à lettres en moins d'une semaine, j'ose à peine imaginer ce qu'un postier indélicat aurait pu mettre en place en quelques jours en interceptant les enveloppes (identifiables car porteuses du logo de la banque) : en possession de la carte, de la procédure et de tous les codes nécessaires, il aurait non seulement pu agir à ma place, mais aussi rendre inopérant le sésame encore en ma possession.

Inquiet par la fragilité de la procédure, je me suis rendu à mon agence habituelle en vue d'y utiliser ma nouvelle carte et d'en modifier le code secret : peine perdue ! La machine m'a averti d'une erreur système. J'ai donc fait quelques virements avec l'ancienne, heureusement toujours active.

Le lendemain, j'ai tenté la même opération, toujours aussi infructueuse ; mais comme cette fois le guichet était ouvert, j'ai pu exposer le problème à un employé qui m'a expliqué que mon cas n'était pas isolé. Apparemment, les courriers ont été envoyés trop tôt ! Il m'a été suggéré de recommencer dans une semaine.

La semaine écoulée, j'ai amorcé une nouvelle tentative d'utilisation, mais sans succès. Trop tôt, encore ?

Voilà donc environ dix jours que je promène deux cartes de banque et deux codes secrets, ce qui, à mon âge et compte tenu de ma mémoire déjà lourdement mise à contribution, n'a rien de confortable ni de rassurant.

Alors, là, pour le coup, j'aime vraiment ma banque !