mercredi 20 janvier 2016

Liseuse, e-book et tiroir-caisse

Sans être du genre à me précipiter sur toutes les nouveautés plus ou moins hi-tech proposées par notre société de consommation, j'avoue quand même m'y intéresser assez souvent. Tout d'abord parce que je reste curieux de nature ; ensuite parce que je n'ai guère l'envie de paraître plus idiot qu'à l'accoutumée lorsque le hasard d'une conversation m'entraîne sur ce terrain plutôt que sur un autre.

Dans une telle situation, plutôt que d'afficher mon ignorance, je préfère suivre tranquillement les débats, hocher la tête de temps à autre « comme si je savais » et, en glissant quelques petites questions innocentes à l'adresse de ceux qui savent et qui aiment faire savoir, tenter d'en apprendre autant que possible sur le sujet.

J'avoue avoir déjà été tenté par l'acquisition d'une liseuse électronique, bien que le livre papier soit pour moi un objet aux irremplaçables saveurs tactiles et olfactives. Dans certaines circonstances, la compacité d'un objet capable de stocker plusieurs milliers de pages de texte et de vous les offrir en lecture à la cadence adéquate représente un atout appréciable : en voyage, par exemple, ou quand on aime lire au lit.

J'ai donc commencé à m'informer sur les différents modèles disponibles, leurs performances, leurs fonctionnalités, leur agrément d'usage, leur prix, leur autonomie... Des essais sont disponibles partout sur la Toile, de même que des commentaires d'utilisateurs passionnés de lecture souvent bien plus utiles que ceux d'essayeurs professionnels. C'est intéressant, on peut se faire une idée assez précise des qualités et défauts des modèles proposés.

Dans le fouillis des commentaires, j'ai aussi trouvé certaines récriminations quant au prix des livres en format électronique et aux divers « verrouillages » qui empêchent d'en disposer à sa guise.

J'ai déjà abordé le problème, dans cet autre article consacré essentiellement aux productions musicales et au sort qu'on leur fait subir aussi bien en toute innocence qu'en parfaite connaissance de cause.

Une certaine croyance semble fortement ancrée dans les têtes, à notre époque, qui voudrait que quand une chose est dématérialisée, elle doive être forcément gratuite. Nous sommes profondément matérialistes : un objet a de la valeur ; tandis qu'une idée, ça n'en a pas.

Des gens, donc, s'étonnent ou s'offusquent qu'un livre en format électronique puisse se vendre au même prix que son équivalent sur support papier ; et s'étonnent ou s'offusquent de ne pas pouvoir, une fois « acheté », en faire ce qu'ils veulent de la même façon qu'ils font ce qu'ils veulent d'un livre traditionnel.

Rappelons donc quelques principes de base...

Un livre, quel qu'il soit, c'est en premier lieu le travail de son auteur (ce qu'on appelle « la propriété intellectuelle »). À ce travail, il faut ajouter celui de l'éditeur, qui va réaliser la mise en page, les corrections, la maquette de couverture... Le livre, qu'il soit édité sur papier ou en format électronique, sera distribué dans les librairies ou les plateformes de vente, fera l'objet de promotions, etc. Chacun des intervenants recevra une part du prix de vente acquitté par l'acheteur.

Contrairement à ce que semblent croire ceux qui voudraient que le livre en format électronique coûte beaucoup moins cher que le livre traditionnel, ce n'est pas l'objet en lui-même (de l'encre et du papier) qui justifie la plus grosse part du coût de production. En grand tirage, ce coût est même presque ridicule. La part du lion, dans le coût d'un bouquin, c'est la marge du libraire, celle du distributeur, celle de l'éditeur et le droit d'auteur. Il convient d'y ajouter des frais de transport et de stockage, seuls frais qui sont presque inexistants dans le cas d'un e-book.

La différence de coût de production entre un e-book et un livre papier est donc beaucoup plus ténue qu'on ne l'imagine naïvement. Et comme d'autre part les éditeurs n'ont aucune envie de tuer leur business, basé en premier lieu sur l'édition papier, il semble normal que les deux formats d'un même ouvrage soient proposés à un prix à peu près équivalent.

Après le prix du livre, examinons l'autre sujet de grogne : la propriété de l'exemplaire acheté.

Certains objectent que, lorsqu'ils achètent un livre papier, ils en font ce qu'ils veulent : le garder, le prêter, le revendre, le donner, le détruire... Ils aimeraient pouvoir en faire autant de leur e-book, mais c'est, selon eux, impossible. Ils ont l'impression d'avoir acheté du vent, d'avoir juste acheté le droit de lire et rien d'autre.

Il convient d'apporter quelques précisions...

En achetant un livre traditionnel, on achète juste de l'encre et du papier. On n'est propriétaire de rien d'autre. Le contenu appartient toujours à l'auteur ou à ses ayants droit. Et en prêtant le livre à autrui, on lui prête juste le support.

En achetant un e-book, on n'achète pas non plus le contenu du livre. On achète le droit de l'afficher sur une liseuse, un écran d'ordinateur...

Dans les deux cas, on achète un exemplaire. Et de même qu'on ne recopie pas son livre papier pour le donner à quelqu'un d'autre, on ne doit pas recopier son e-book pour le donner à quelqu'un d'autre. Dans un cas comme dans l'autre, ce serait de la copie illicite ; et que cette copie soit a priori beaucoup plus facile à réaliser avec un fichier numérique qu'avec un bouquin de mille pages reliées sous une couverture polychrome, son caractère illicite (diffuser des copies non autorisées) est irréfutable.

Trop souvent, la facilité se confond avec la gratuité : copie d’œuvres musicales, de films, de textes... Nombreux sont ceux qui n'ont pas conscience, lorsqu'ils diffusent une copie « maison » (voire plusieurs) d'un ouvrage qu'ils ont honnêtement acquis, de poser un acte à la fois illégal et immoral. Cela semble tellement innocent de télécharger, copier, échanger... Et pourtant, très souvent, c'est du vol.

Et la plus grosse victime de ce vol, c'est généralement l'auteur, qui n'est rétribué qu'en fonction des exemplaires réellement vendus.