jeudi 26 mai 2016

Allez en paix

En ce moment, en Belgique, on a un problème. Et même plusieurs. Ils se traduisent par des mouvements de révolte : grèves, manifestations.
Il n'y a pas qu'en Belgique que ça se passe comme ça. Chez nos voisins français, ça grogne pas mal aussi.

Que voulez-vous ? Le Monde est merveilleux. Il est entraîné sur la voie du chaos par ceux qui détiennent le pouvoir et l'argent et recherchent encore plus de pouvoir et d'argent. Ils n'en ont jamais assez. Le résultat de cette course au profit, de cet égoïsme mégalomane, c'est toujours plus d'inégalités sociales, toujours plus de tensions, de grèves, de manifestations, d'émeutes, de conflits, de violence... Les pauvres très pauvres, de plus en plus pauvres ; et les riches très riches, de plus en plus riches. Et au milieu de tout cela, une « classe moyenne » qui crache au bassinet et dont les membres glissent peu à peu vers la pauvreté ou réussissent, plus exceptionnellement, à se hisser parmi les nantis.

Depuis plusieurs semaines, chez nous, les gardiens de prison sont en grève. Ils rouspètent. Ils revendiquent. Ils exigent. Ils en ont marre et on les comprend : les établissements pénitentiaires sont surpeuplés et les effectifs en personnel sont insuffisants pour prendre en charge cette surpopulation.

Les prisonniers, dans la foulée, en ont ras la casquette eux aussi. Ils ne reçoivent plus de visites, ne peuvent plus s'aérer, se laver...
L'homme de la rue rétorquera que la prison, ce n'est pas le Club Med', et que c'est tant pis pour eux, qu'ils n'avaient qu'à respecter la loi, etc. C'est quand même oublier qu'une peine de prison, c'est une privation de liberté avec tout ce que ça entraîne comme tristesse et inconfort, mais qu'il n'est pas requis d'appliquer aux prisonniers une forme de maltraitance qui ne manquerait pas d'entraîner des suites dramatiques – pour eux et pour autrui – lorsqu'ils retrouveraient la liberté.

D'autant plus qu'en prison, il n'y a pas que des coupables. Tant qu'ils n'ont pas été jugés, les détenus en « préventive » sont présumés innocents.

On oublie trop souvent que la prison, sauf rares exceptions, on y entre un jour et l'on en sortira un autre jour. C'est ainsi. C'est la loi. Je sais que nombreux sont ceux qui voudraient qu'il n'y ait pas de remises de peine, de libérations pour bonne conduite... ni de libérations tout court ; mais ce n'est pas réaliste, et puis ce serait injuste. On ne peut pas condamner tous les accusés à la détention à vie ; et la peine de mort est abolie depuis longtemps.

Le problème, donc, est qu'il y a trop de gens dans les prisons et pas assez de gardiens pour s'en occuper. Il faudrait, en quelque sorte, construire de nouvelles prisons et engager davantage de gardiens. C'est facile, ça ne coûte pas cher.

Je blague. Ce n'est pas facile, ça coûte cher ; et puis ça prend du temps et du temps, on n'en a pas. Le problème il est là, tout de suite, maintenant : il faut engager du personnel et mettre dehors quelques détenus excédentaires.

— Quoi ? Les faire sortir ? Les libérer ? s'inquiétera l'homme de la rue. Mais vous n'y pensez pas !
— Si. On y pense.
— Mais c'est insensé ! Déjà que de nombreux malfrats, quand les flics les arrêtent, ils ne vont même pas au gnouf alors qu'ils devraient ! Ils ressortent avant même que les cognes qui les ont appréhendés n'aient rédigé leur rapport ! On ne va quand même pas en laisser sortir davantage ! Ceux qui y sont, qu'ils y restent !

Quelque part, l'homme de la rue, il a un peu raison. Il n'a pas envie de voir les individus nuisibles courir en toute liberté, voler, saccager, menacer, brutaliser voire pire encore. Moi non plus, d'ailleurs. Mais ajouter des prisons et des gardiens, est-ce la bonne solution ?

Dans notre Monde merveilleux, on a pris l'habitude de soigner les symptômes plutôt que le mal. Le mal, on ne peut pas y toucher. Le mal, c'est ce qui arrange les plus riches, les plus puissants : la recherche d'un profit maximal et d'un pouvoir absolu, ce qui passe obligatoirement par la création de pauvretés, la privation de libertés, la confiscation de biens, le pillage des ressources naturelles, la destruction de l'écosystème, la pollution de l'atmosphère, la déforestation massive, la commercialisation de denrées alimentaires toxiques... et bien d'autres horreurs encore. Le résultat de tout cela, c'est la pauvreté, la misère, le désœuvrement. 

Les symptômes, ce sont de pauvres types qui n'ont rien à faire de leurs journées parce qu'ils n'ont pas de boulot, et qui finissent par faire des conneries. Ce sont des gens qui n'ont pas de quoi vivre décemment et qui volent un peu du confort des autres. Les symptômes, ce sont des victimes de trafics honteux de substances prohibées, des gens pris dans un engrenage fatal et qu'ils auraient pu éviter si seulement on les avait un peu accueillis, écoutés, compris...

Les symptômes, ce sont des malheureux qu'on montre du doigt, qu'on rejette, qu'on juge sur la mine, la religion, la race... avant même qu'ils aient entrepris quoi que ce soit d'autre que de fuir un pays en guerre, un pays où la mort frappe aveuglement.

S'il n'y avait pas la guerre, la misère, les inégalités ; si l'éducation était accessible à tous et synonyme de plaisir... nous n'aurions pas besoin de prisons. Pas d'autant de prisons, en tout cas. Quand on dispose de tout ce dont on a besoin pour vivre heureux, et qui finalement n'est pas si inabordable que cela pourvu que les partages soient juste un petit peu équitables, on ne pense pas à mal. On n'a pas besoin de voler, on n'a pas besoin de violence, on n'a besoin que d'amour et de paix.

Je sais : ça fait un peu curé, mon discours ; mais tout ça, j'avais envie de l'écrire.

Allez en paix. Vous avez ma bénédiction.

vendredi 13 mai 2016

Tout est dans la nuance

Je me faisais cette réflexion en entendant un collègue s'entretenir au téléphone, d'une voix onctueuse, avec je-ne-sais-plus-qui-mais-c'est-sans-importance :

— Certainement, Monsieur... Oui, oui, bien sûr... C'est très aimable à vous... Oui, bien entendu... Pour demain, sans problème, Monsieur... C'est cela, oui. Bonne fin de journée, Monsieur. Au plaisir.

Puis, juste après avoir raccroché et d'une voix bougonne :

— Trou d'balle, va !

Tout est dans la nuance.
C'est ce qui doit se produire, de temps à autre, quand on me voit arriver au boulot sur ma bicyclette :

— Oh, Ludovic ! À vélo, ce matin ! Et par ce froid ! Ben, t'en as, du courage !

Et, peu après, dans d'autres circonstances et en mon absence :

— Il est dingue, Mir, de venir à vélo par ce temps !
— Ouais. À mon avis, il cherche les congés de maladie.

Un autre collègue, jadis, n'hésitait pas à jouer franc jeu :

— Tu t'en vas ?
— Oui, répondait-il. Je suis en congé cet après-midi. Vous aurez tout loisir de casser du sucre sur mon dos.

Il y a des choses qu'on ne peut pas dire en présence d'autres personnes. Dire à un Black qu'il est Black, à un handicapé qu'il est handicapé, à un sourd qu'il est sourd – enfin, si, à lui on peut le dire, il s'en fout tant que c'est pas par gestes – ou à un con qu'il est con. Mais quand le con est parti, on peut le dire. C'est la nuance. Et celui qui va le lui répéter ensuite, c'est lui qui l'est. Ça ne se fait pas, des choses comme ça.

En politique, c'est un peu pareil. Il y a des choses qu'on ne dit pas. Une grosse bévue, c'est une maladresse. Le genre « J'ai pas fait exprès, ce sont mes subalternes qui... Mais je démissionne quand même, parce que c'est ma responsabilité. Alors j'assume. »
Et ce qui ne se dit pas ensuite : « De toute façon, j'ai encore deux autres mandats et on va me recaser ailleurs ».

Moi aussi, je fais parfois dans la nuance.
Quand on me demande, par exemple, si Les Nouveaux Auteurs c'est de l'arnaque, je réponds que non, pas nécessairement, que c'est un peu rapide de dire ça ; mais qu'il suffit de bien lire et de bien réfléchir avant de signer, tout simplement.

Récemment, j'ai vu à la télé un documentaire consacré à Volkswagen. Un documentaire allemand, je précise. Et par moments, j'étais scié. Le temps qu'ils ont mis avant de dire les choses telles qu'elles étaient (les accusateurs) ; et le temps qu'ils ont mis avant d'avouer (les coupables)... ça laisse rêveur. Aux States, il y aura de kolossales amendes. Pas chez nous, en Europe. Il y a des choses qui ne se font pas. « On » n'oserait pas. « On » a trop besoin de VW, chez nous, dans le quatrième Reich.

Dans le sport, c'est pareil. Il y a des choses qui ne se disent pas. Du moins, dans certains sports. Car il en est d'autres, par contre, qu'on n'hésite pas à vilipender : cyclisme, athlétisme...
Du côté du tennis, par contre, il y a des choses qui ne se disent pas. Des joueurs du « top » qui disparaissent pendant quelques mois pour cause de blessure ; ou qui mettent soudainement un terme à leur carrière alors que, tout auréolés d'une brillante victoire, ils venaient à peine d'annoncer, une poignée de semaines plus tôt, leurs projets d'avenir tennistique au plus haut niveau. Le tennis, c'est un sport propre.

Mais en cyclisme, on n'hésite pas. On ne fait pas dans la nuance : « Machin avait un moteur dans le vélo, c'est sûr. D'ailleurs, sur les images, ça se voit bien. »

Une autre catégorie de sport se déroulera ce week-end, puisque ce sera la finale du concours Eurovision de la chanson. Un truc que tout le monde attend. Parce que là, c'est sûr, tout est dans la nuance.