samedi 12 août 2017

Désuète, la cassette ?

La semaine dernière, j'étais à l'ouvrage avec l'attirail dont vous pouvez découvrir une image ci-dessous, lorsque mon petit-fils de dix ans s'est approché, intrigué, pour m'assaillir de questions.
À quoi tout ce fourbi pouvait-il donc bien servir ? En ce compris les deux petits haut-parleurs amplifiés qui trônaient sur une étagère, juste au-dessus de mon bureau ?


Certes, il entendait bien que tout cela jouait de la musique ; il voyait bien que j'utilisais un PC portable et une série de câbles ; mais le reste du matériel, et plus précisément les multiples boutons de la petite table de mixage, exerçait sur lui la fascination de la découverte de choses inconnues autant que celle qu'éprouvent souvent les garçons envers tout ce qui est mécanique, électronique ou un peu des deux en même temps.
Tout cela m'a rappelé à quelle vitesse les années passent et m'a également renvoyé à la figure mon statut de vieux croûton ! Déjà, quelques années plus tôt, lorsque j'avais descendu du grenier ma vieille platine à disques vinyle, la plus jeune de mes filles avait écarquillé les yeux face à l'objet : qu'était-ce donc que cela ? Et ces grandes galettes noires ? J'avais dû lui expliquer. Et lui dire également que, non, il ne fallait pas toucher au plateau ni au bras pendant que l'engin tournait.
Lorsqu'il avait vu l'appareil, bien des années plus tard, mon petit-fils avait également amorcé un geste de la main vers le plateau ; et j'avais dû lui expliquer que, non, ce modèle-là n'était pas conçu pour « faire du scratch ». Au moins avait-il déjà vu ce genre de chose et l'usage que certains en font.
Mais des mini-cassettes, ça lui était fichtrement inconnu !
Patiemment, donc – les grands-pères étant connus pour leur infinie patience – je dus lui expliquer que la musique n'avait pas toujours été dématérialisée. Qu'autrefois, nous n'avions pas de smartphones, pas même de portables, ni de tablettes et de consoles de jeux. Que nos écrans de télé étaient petits et vilains, noyés dans des postes même pas plats comme des vitres d'abribus.
Je lui montrai que les disques étaient encombrants, même les petits sur lesquels il n'y avait que deux chansons. Et je lui expliquai que la minicassette et le baladeur avaient été inventés avant les ordinateurs, Internet et le MP3.



Il prit en main quelques minicassettes, étonné que l'on puisse mettre de la musique sur une bande qui défile et qu'il faut patiemment rembobiner si l'on veut réécouter la chanson qui vient de se terminer.
Et que faisais-je donc avec cela ? Fallait-il tout cet attirail pour écouter la musique ?
Avec ma patience de vieux croûton, j'entrepris de lui faire comprendre qu'il existait quelques moyens de transporter ma « vieille musique » sur des supports plus modernes. Que pour ce faire, j'utilisais mon PC et un lecteur de cassettes – un gros, « de salon » – pour transformer mes sources analogiques en fichiers numériques.
Cela devenait compliqué pour un gamin de dix ans, mais n'entravait en aucune manière sa fascination pour les boutons de la table de mixage ! J'ajoutai donc que la présence de ce séduisant engin n'était pas nécessaire à la numérisation du contenu de mes vieilles cassettes, mais que son correcteur de tonalité à trois bandes et ses réglages de niveau étaient une addition utile si je voulais retoucher le son – parfois un peu défraîchi – des vieilles bandes magnétiques.
Aujourd'hui, la cassette est désuète. C'est ce qu'on dit, quand on reste poli. On peut dire aussi qu'elle est dépassée ou d'un autre temps ; mais certains n'hésitent pas à la comparer à quelque chose de malodorant.
Sans être aussi sévère, j'admettrai que certains vieux exemplaires, dont vous pouvez voir ci-dessous une image, ne valent vraiment pas tripette. 


La bande n'est pas de bonne qualité. Elle est même devenue franchement mauvaise, au fil des années. En outre, sa fragilité et les quelques problèmes de défilement que l'on pouvait parfois rencontrer pouvaient transformer la bande en ce que vous voyez sur la photo ci-après. Visuellement, c'est vilain. Au niveau sonore, je ne vous dis pas.


C'était le charme de toute une époque !
À la base, ce produit est dérivé de ceux que l'on proposait pour les magnétophones « grand public », les bobines de bande d'un quart de pouce de large et qui existaient en plusieurs diamètres (18 cm, pour les exemplaires ci-dessous). 


La bande pour les cassettes est, au départ, du même type, mais plus mince et plus étroite ; et elle ne défile qu'à une vitesse de 4,75 cm par seconde ; contre 9,5 ou 18 cm/sec pour les bandes standard de l'époque ! Le souffle (bruit de défilement de la bande) se produisant à une fréquence d'autant plus basse que la vitesse de défilement est faible, est donc bien plus audible en petit format qu'avec les bobines « quart de pouce ». Bref, question performances sonores, la base n'était pas fameuse.
Il n'empêche que ce petit conteneur de plastique permettait d'enregistrer une demi-heure à une heure de musique (ou d'autre chose), avant que la bande ne parvienne en fin de course. À condition de retourner alors la petite boîte, on pouvait enregistrer dans l'autre sens, jusqu'à ce que la bande revienne à son point de départ. L'étroite surface enserrait donc quatre pistes parallèles, dont deux étaient lues dans un sens et deux dans l'autre (chaque piste représentant un canal de la stéréo). Une fonction de bobinage rapide dans chaque sens était prévue sur les lecteurs de salon, mais pas toujours sur les « baladeurs » (souvent un seul sens y était disponible). Sur une cassette de 90 minutes (45 de chaque côté), il était donc possible d'enregistrer deux albums « long playing » (ou un album double, comme sur la photo ci-après) ou une quinzaine de « singles » (les 45 tours) depuis leurs deux faces. L'encombrement était quand même nettement moindre !



Évidemment, comparée à une clé USB, la minicassette fait figure de brontosaure ! Sur une minuscule clé de 8 Go, il est actuellement possible de copier, en « qualité CD », le contenu de deux valises pareilles à celle photographiée ci-dessous. Et probablement une dizaine de fois plus en « qualité MP3 », un format qui n'est pas du meilleur niveau mais n'a par contre rien à envier à la minicassette.


Revenons-y, à la minicassette. Car en plus des cassettes vendues « vierges », les maisons de disques proposaient des versions « cassette » de leurs 33 tours. Les jaquettes étaient illustrées avec l'image de la pochette de l'album vinyle, et les titres des chansons étaient souvent imprimées sur les petits conteneurs renfermant la précieuse bande. En général, ces « musicassettes » (comme ils les appelaient) étaient d'une qualité douteuse voire médiocre.


Par contre, au fil des années, les fabricants rivalisèrent d'inventivité afin de faire de ce support conçu au départ pour les dictaphones et qui s'était imposé partout en complément des disques vinyle, quelque chose de plus qualitatif. Sans aller jusqu'à les prétendre « haute-fidélité », les meilleures cassettes introduites sur le marché utilisaient des bandes magnétiques aux formules sophistiquées qui amélioraient leur réponse en fréquence et réduisaient leur bruit de fond.





Certains introduisirent quelques fantaisies de présentation, comme vous pouvez le voir sur l'image, avec la cassette transparente renfermant deux bobines destinées à rappeler leurs imposantes aînées.

Du côté des appareils de salon, de gros progrès furent également accomplis. Certains offraient des modes d'entraînement plus sophistiqués et plus stables, ainsi que des dispositifs de calibration et de réduction de bruit.


Bien que je n'en dispose pas, il convient de rappeler la création d'appareils de type "portastudio", contenant une platine à cassettes et une table de mixage et permettant aux musiciens d'enregistrer, sur quatre pistes et à une vitesse de défilement double (en n'utilisant qu'une seule face de la cassette), leurs propres maquettes. Un "home studio" à la fois compact et facilement transportable, donc.

Aujourd'hui, les meilleurs enregistrements sur cassette peuvent encore rivaliser avec des MP3 basiques. Ce n'est pas grand-chose, mais quand on songe à l'époque à laquelle ce support a été créé (à l'aube des seventies), on se dit qu'on était bien heureux d'en disposer à l'époque et pendant encore une bonne vingtaine d'années avant que le disque compact et les formats numériques n'envahissent le marché.

Au fil du temps, j'ai accumulé plus de six cents cassettes, la plupart achetées vierges et sur lesquelles j'enregistrais parfois de la musique captée sur la radio, mais le plus souvent des albums que j'empruntais à gauche et à droite en sus de ceux que j'achetais moi-même. Il était pratique de les mettre sur cassette, cela permettait de préserver les fragiles disques vinyle en les utilisant seulement pour refaire une autre cassette lorsque la première rendait l'âme. Il convient aussi de préciser qu'avant l'invention du disque compact, les cassettes étaient abondamment utilisées dans les voitures, où il était impossible de lire des disques microsillons.
Aujourd'hui, les deux tiers de mes cassettes ont filé à la déchetterie. Je n'ai conservé que celles de qualité convenable – essentiellement par nostalgie – et une dizaine d'exemplaires divers contenant des enregistrements personnels et ceux de quelques disques devenus introuvables.

Les enregistreurs à cassettes ne sont plus fabriqués, il faut se tourner vers l'occasion ; mais sait-on jamais ? Un « revival » pourrait surgir un jour, comme pour le disque vinyle ; mais honnêtement, je n'y crois guère.
Il n'en reste pas moins que mes cassettes, même désuètes, je les aime bien.
Que voulez-vous, je suis démodé, moi !