samedi 11 novembre 2017

J'habite en face d'une école

Habiter à proximité d'une école, juste en face même, ça peut avoir des bons côtés. Surtout lorsqu'il s'agit d'une école « fondamentale » ; de celles qui accueillent les enfants à l'âge où ils ne sont encore que des chérubins tout angoissés de quitter les bras de leur mère, pour les laisser partir, à douze ou treize ans, vers d'autres établissements chargés de remplir scientifiquement, littérairement et philosophiquement leurs têtes d'adolescents rêveurs, râleurs et illusionnés.

De bons côtés, écrivais-je, parce que lorsqu'il s'agit d'y conduire vos propres rejetons et que vous n'avez que la rue à traverser, le petit côté pratique de la chose apparaît immédiatement. De bons côtés parce que, tout compte fait, les savoir si près de chez vous, dans une école à portée de vos yeux inquisiteurs, c'est aussi un avantage appréciable qui, en toute logique, vous permettra de ne manquer ni l'affiche accrochée au grillage annonçant un événement impromptu, ni les fêtes extrascolaires où il est malvenu de ne pas se montrer.

Malheureusement, toute médaille ayant son revers, vous devrez aussi vous farcir quelques menus inconvénients que seule une bonne dose de patience et de bonne humeur permettra de digérer sans trop de difficultés.

Et tout d'abord, une école, ça vit au fil du temps, mais surtout au rythme d'une horloge impitoyable et d'un calendrier intransigeant. La classe, chez nous, ça commence à huit heures trente. Pétantes.
Dès lors, ne vous étonnez pas de voir arriver, pressés et stressés, dès huit heures trente-cinq les jours de chance et huit heures quarante les jours de galère, quelques parents et leur descendance soucieux d'illustrer par l'exemple l'art de gérer son temps de manière efficace.

Évidemment, ce n'est pas de leur faute. C'est la circulation, les embouteillages, ces interminables travaux qui encombrent la voie publique et ces autres crétins de parents qui n'avancent pas avec leur voiture. Parce qu'ils viennent tous en voiture, conduire leurs enfants à l'école ; car, comme chacun le sait dans notre Belgique qui est un petit pays à forte densité de population, l'école fondamentale est toujours loin du domicile des enfants qui la fréquentent : cinq cents, six cents, huit cents mètres ; quand ce n'est pas un kilomètre ! Ah ! Ils en ont de la chance, ces veinards qui habitent en face. Eux, ils n'ont pas tous ces tracas pour arriver en voiture et, surtout, stationner en accord avec le Code.

Parce que le stationnement, c'est un problème : toutes les places sont toujours prises. Les places proches du grillage, bien sûr. Plus loin, il en reste, mais si c'est pour parcourir cent ou deux cents mètres à pied, autant venir directement et pédestrement de la maison, n'est-il pas ? Mais c'est si loin ! Et le sac d'école est si lourd ! Comment peut-on obliger ces chérubins à trimbaler autant de matériel ?
Comment ? Oui, un sac à roulettes, oui...
Mais enfin, pour venir à pied, il faut partir plus tôt. Au moins cinq minutes plus tôt !

Je l'écrivais ci-dessus : l'école vit au rythme de l'horloge. Et la fin des classes, c'est à quinze heures trente. Pétantes.
Dès lors, pensez-vous que les retardataires du matin le seront encore l'après-midi ? Que nenni !

Dès quatorze heures quarante-cinq (quatorze heures trente-cinq le vendredi), les places de stationnement proches du grillage sont squattées par les véhicules de géniteurs impatients de récupérer leurs marmots sans devoir parcourir à pied une trop longue et épuisante distance, quitte à méditer derrière un volant pendant trois quarts d'heure en écoutant la radio ou en graissant du bout des doigts l'écran tactile d'un smartphone.

À quinze heures trente, une foule bigarrée se presse devant le grillage, les portières claquent et les petits coups de klaxon retentissent. Étrangement, comme dans la Bible, les premiers sont aussi les derniers, parce que pour quitter l'emplacement de stationnement durement acquis à quelques pas de l'école, nul passe-droit n'est délivré. Au contraire : les derniers arrivants n'hésitent nullement à garer en double file, tandis que ceux qui ont abandonné plus loin leur bagnole traversent et encombrent la rue en tenant par la main leurs rejetons et en faisant mine d'ignorer totalement que certains chauffeurs mordent leur volant dans l'impatience de quitter au plus vite des lieux si peu hospitaliers.

Il arrive parfois qu'un chauffeur-livreur peu soucieux des horaires scolaires choisisse le moment de sortie des classes pour venir immobiliser son camion à quelques pas du grillage. Dame ! Pour déverser du mazout dans une citerne ou décharger quelques palettes de matériaux, on ne gare pas à cent mètres de la destination ! S'ensuit donc une confusion totale dans cette rue où, en principe, il n'est permis de stationner que d'un côté à la fois : ceux qui sont garés à contresens voudraient bien s'en aller en même temps que ceux qui le sont dans le bon sens, tandis que ceux qui ne sont pas encore arrivés à destination – à cause de la présence du camion – s'impatientent d'y parvenir !

Ce joyeux cirque a donc lieu quotidiennement, matin et soir (et à midi le mercredi), sauf pendant les congés scolaires et les grèves des enseignants. La durée des représentations est assez brève : trente minutes tout au plus, une heure si l'on prend en compte à la fois les « hâtifs » et les « tardifs ». Si c'est à cet instant que vous choisissez de rentrer chez vous, seule une arrivée pédestre vous garantira l'accès aisé à votre foyer. À bicyclette, ça le fera aussi. En voiture, par contre, vous aurez la désagréable impression que tout le village s'est donné rendez-vous devant votre domicile pour vous empêcher d'y retourner.

Enfin, il arrive parfois que le cirque dure plusieurs heures, lors des fêtes scolaires où, en sus des enfants et de leurs parents, les oncles, tantes, cousins, cousines, grand-parents et sympathisants ont été invités au spectacle de fin d'année, au marché de Noël ou à la remise des cadeaux de la Saint-Nicolas. Si vous devez utiliser votre voiture, un garage ou un emplacement de stationnement privatif est un « must », pour autant qu'un mauvais plaisant n'ait pas l'idée de vous en obstruer l'entrée pour le premier, ou de vous le confisquer pour le second.

N'imaginez surtout pas qu'une fois que vous serez rentré chez vous, la paix vous sera garantie, car pendant que les parents papotent avec d'autres à la buvette, les enfants jouent dehors, hurlent, envoient des ballons dans vos fenêtres ou viennent joyeusement sonner à votre porte avant de s'enfuir à toute pompe vers d'autres exploits plus amusants les uns que les autres.

Oui, habiter en face d'une école est un spectacle haut en couleur !