vendredi 27 décembre 2019

8 heures, 5 jours, 4 semaines...

— Ben tu sais, moi, je bosse le vingt-quatre jusqu'à dix-huit heures.
— Si tard ?
— Eh oui, mon vieux ! affirma ce pote que je venais de gentiment questionner au sujet de ses projets pour les fêtes de fin d'année. Dix-huit heures. Et encore ! Tu peux facilement y ajouter une demi-heure !

Devant mon froncement de sourcils, le gaillard m'explique :

— Le magasin reste ouvert jusqu'à dix-huit heures. Le temps de servir les derniers clients et de fermer la boutique, ça fait dix-huit heures trente au minimum. Le temps de rentrer chez moi, ça fait dix-neuf heures. Déjà bien entamée, la soirée, non ?
— Et vous pouvez pas fermer plus tôt ?
— Pas moi qui décide ! C'est les big boss, là, tout en haut très loin, qui sont déjà rentrés peinards en famille à ce moment-là ou se sont envolés pour les îles avec leur secrétaire particulière...
— Ben, mon pauv' vieux...
— Et c'est pas tout, ajoute l'infortuné camarade. L'affiche indique en toutes lettres l'heure de fermeture. Et c'est pas « le magasin fermera à dix-huit heures » ; non, non, non ! C'est « votre magasin vous accueillera jusqu'à dix-huit heures ». Nuance ! C'est pas de fermer, qu'il faut parler, mais de rester ouvert. C'est positif.
— Ah, oui ! Les gens du marketing...
— Pas seulement eux ! Les clients s'y mettent ! Tu sais, avant, on pouvait mettre un cerbère devant les portes et, à dix-sept heures quarante-cinq, c'était trop tard pour entrer. Les gens ronchonnaient, mais ils n'insistaient pas. Maintenant, c'est différent : pas question d'empêcher quelqu'un de passer avant six heures du soir pétantes. Sinon, c'est le scandale : publicité mensongère, affiche trompeuse, et que je te flingue sur les réseaux sociaux, et que je te poste une vidéo du mec qui essaie de barrer l'entrée à dix-sept heures cinquante-cinq...

J'en reste silencieux quelques instants, pendant que le copain reprend son souffle, mais pas totalement surpris par l'évolution des mentalités.

— Tu sais, il en est qui viennent au dernier moment et qui s'éternisent. On a beau leur dire de « se diriger vers les caisses », on a beau commencer à fermer les lumières, ils prennent tout leur temps. Puis ils s'amènent avec un chariot plein à déborder en tirant des têtes de martyrs pour bien indiquer qu'ils ont du boulot qui les retient très tard, eux. Et qu'ils ont encore un tas de choses à faire avant de pouvoir enfin s'amuser.

En entendant ces explications, des souvenirs remontent à la surface. Je songe à mes parents, mes grands-parents. Eux qui se sont battus pour la journée des huit heures, pour la semaine de cinq jours et pour le petit mois de congés payés ! Eux pour qui le dimanche, c'était sacré.

Moi aussi, j'ai connu les vrais dimanches. Ceux où tout est fermé à l'exception des restaurants et cafés, de la boulangerie et de quelques petits commerces accessibles avant midi. Ceux où, sur les routes le matin, les voitures sont rares et les cyclistes nombreux.

Comme toujours, quand il est question de chercher les coupables, les réponses sont invariablement du genre « c'est pas moi, c'est lui ».

Les boutiques ouvertes le dimanche, c'est le client qui demande ça.
Les plats préparés bourrés d'additifs, les pizzas à deux balles, les hamburgers à la composition douteuse et les sodas hyper sucrés, c'est aussi le client qui les demande.
Les émissions de télé à la con, semble-t-il destinées à un public qui n'a pas été équipé d'un véritable cerveau, c'est aussi les gens qui aiment ça.
Les objets connectés à l'espérance de vie ultracourte, ça nous arrange aussi, parce qu'on aime bien changer, avoir le dernier modèle à la mode.
Et les fringues fabriquées bien loin par de petites mains, c'est nous qui les voulons aussi, quitte à payer bien cher le sigle d'une grande marque.

Alors, oui, pour satisfaire notre paresse et notre négligence, nous avons besoin de boutiques qui ouvrent tard, même un soir de réveillon ; et pour nous permettre de roupiller le samedi, nous exigeons qu'elles ne ferment pas le dimanche.

Et les gens qui y travaillent, alors ? Ben, c'est simple. Ils sont à notre service. On les paie pour ça.

On les paie, mais mal ; car justement, ces secteurs (cafés, restaurants, grande distribution) sont ceux où le travailleur est parmi les plus mal lotis au niveau du salaire et, bien souvent, des conditions de travail.

Et si nous faisions preuve d'humanité ? Si nous acceptions que l'autre ait droit, lui aussi, à ses moments de détente les plus précieux le soir, le week-end, en famille ?

Et si nous faisions l'effort de consommer moins, plus durable ? Si nous tentions de nous passer d'une petite part de notre superflu ? Si nous prenions la ferme résolution d'utiliser très régulièrement nos guibolles, de fermer la télé, de sortir et parler aux gens ? Si nous apportions chacun notre petite goutte d'eau, notre petite bouffée d'oxygène qui doit aider à sauver la Planète ?

Je vais m'y mettre, moi aussi. Moi d'abord, même, puisque les conseilleurs devraient de préférence être les payeurs. Et sur ces bonnes résolutions, je vous souhaite une année 2020 remplie de petits bonheurs tout simples.

samedi 9 novembre 2019

Le trou dans la rue

La vie nous réserve parfois de bien mauvaises surprises qui, même sans mettre directement en danger notre intégrité physique, ont le don de nous mettre en boule, sinon dans l'embarras.

Un problème avec l'évacuation des eaux usées domestiques, par exemple, ça peut valoir quelques tracas du genre de ceux qui nous sont tombés sur le râble il y a plus d'un an et qui ont un petit peu duré... C'est qu'on a tellement l'habitude d'ôter la bonde, de tirer la chasse ou de racler vers l'avaloir qu'on se trouve soudain bien dans la merde lorsque cette dernière ne s'en va pas comme elle avait coutume de le faire.

Loi de Murphy oblige, ce genre de situation apparaît généralement au tout début d'un long week-end pendant lequel on avait planifié des activités plus réjouissantes que le vain maniement d'un furet ou d'une lance d'arrosage. Le semblant de débouchage obtenu après de longues heures d'acharnement autour d'une « chambre de visite », avec l'aide d'un voisin serviable et de son nettoyeur à haute pression, n'apportera qu'un soulagement temporaire. Quelques heures et quelques litres d'eau usée plus tard, le problème est de retour, plus entêté qu'une mule : c'est bouché. BOU-CHÉ !

Une visite sur Google vous apprend alors qu'un tas de firmes sont prêtes à vous dépanner, à toute heure du jour et de la nuit ; samedi, dimanche et jours fériés s'il le faut. Serruriers, chauffagistes, plombiers, électriciens... et déboucheurs de canalisations.

Contrairement aux médecins, qui sont quand même tenus de respecter certaines grilles tarifaires lorsqu'ils vous réclament leurs honoraires, ces braves dépanneurs toujours prêts à rendre service n'ont le cœur sur la main que lorsque vous les appelez et leur expliquez le problème. Ils sont équipés, ils arrivent de suite, leur prestation n'est pas bon marché, mais « c'est le tarif, Monsieur, vous pouvez demander à d'autres sociétés, vous verrez bien ». Tous de mèche, évidemment ! Il ne faut pas tuer un business lucratif quand il y a bien assez de place pour tout le monde.

Quand ces gens arrivent chez vous, ils vous montrent qu'ils sont bien équipés et vous assurent de leur compétence, tout en vous priant aimablement de régler le prix de leur intervention (qui a augmenté substantiellement par rapport au prix annoncé par téléphone, et ce pour tout un tas de bonnes raisons qui vont de frais de déplacement plus élevés que prévu, de l'usage d'un tuyau plus long ou de l'orientation et de la vitesse du vent) avant même qu'ils ne sortent le moindre outil.

« On voit tellement de choses, Monsieur, vous n'imaginez pas ! Il y a des gens qui nous font travailler et puis refusent de payer ! Cela ne se fait pas, n'est-ce pas ? Nous sommes désolés pour vous, vous avez une bonne tête, mais c'est comme ça. C'est notre patron qui l'exige, vous comprenez ? On a eu trop de soucis par le passé... »

Entre le tarif salé pour l'usage d'un système à très haute pression qui vous garantit un débouchage des plus rapides et un week-end toujours bien long dans de telles circonstances, on finit par céder. D'autant plus que le quidam nous assure que c'est couvert par les assurances. « Dégâts des eaux », dit le contrat. Naturellement, ce n'est pas à cet instant-là que vous vous mettez à la recherche de votre exemplaire du fameux contrat et que vous entamez la lecture de tous ces paragraphes imprimés en caractères minuscules et usant de formules nébuleuses voulant dire « tout pour nous et des cacahuètes pour vous » !

Bref, tout ça pour vous dire qu'on a casqué, que les types ont « débouché » la tuyauterie et que nous étions bien soulagés d'être tirés d'affaire. Soulagement de courte durée, vous le devinez, puisque moins de quarante-huit heures plus tard, le problème était de retour, plus enquiquinant que jamais et nous faisant émettre, à l'égard des savants déboucheurs, des qualificatifs vraiment très peu flatteurs.

Un coup de téléphone chez l'assureur nous confirme la mauvaise nouvelle : pas d'intervention. « Dégâts des eaux », ça ne paie pas le débouchage de l'égout. Cela rembourse seulement, franchise déduite et si vous pouvez prouver que vous n'avez pas fait montre de négligence, les dégâts éventuellement causés par la flotte dans votre habitation.

À nos frais, donc, non seulement le débouchage manqué, mais également les travaux à prévoir pour enfin rétablir un fonctionnement parfait de notre évacuation d'eaux usées. Et nous devinons que ce ne sera ni simple, ni bon marché. Ce que nous ignorons encore à ce moment-là, c'est que ce ne sera pas rapide non plus.

Fort heureusement pour nous, l'évacuation défectueuse n'est pas la seule dont nous disposons. La seconde reste parfaitement fonctionnelle, nous épargnant de nous retrouver vraiment dans la merde, si vous me passez le peu d'élégance de l'expression. Au cours des semaines qui suivent, donc, nous nous organisons tant bien que mal afin d'éviter de commettre des maladresses qui pourraient envoyer dans la tuyauterie malade autre chose que de l'eau et uniquement de l'eau et nous mettre, nous, dans ce que j'évoquais ci-dessus avec quelque vulgarité.

La force de l'habitude étant chose difficile à contrarier, à plus d'une reprise il nous faudra sortir lance d'arrosage et nettoyeur à haute pression et, nous écorchant les genoux sur le béton et la langue sur moult jurons, entreprendre un similidébouchage de la contrariante tuyauterie qui ne laisse passer que de l'eau – et pas très vite !

Mais comment se fait-ce, vous demanderez-vous, que cela prenne si longtemps pour rétablir une situation normale ? Un manque de fonds ? Un manque de temps ? Un manque d'envie ?

Rien de tout cela.

Pour réparer la tuyauterie, il faut percer un trou. Une tranchée, même. Pas très longue, pas très large, certes, mais une tranchée dans la rue. Or, la rue, comme nous l'a si bien expliqué l'employé du service communal des travaux, ce n'est pas à nous. C'est à tout le monde. À la commune, en fait.

« Mais alors, dis-je naïvement, c'est vous qui devez réparer ce foutu tuyau ! Vous, la commune, le service des travaux ! »
« Ben non, me rétorque l'employé. Le raccordement à l'égout, c'est le vôtre. Nous, on s'occupe juste du collecteur principal, planté à deux ou trois mètres de profondeur sous le béton de la rue. »

Donc, afin d'atteindre mon tuyau obstinément bouché, je dois creuser un trou dans une voirie qui ne m'appartient pas et, bien sûr, obtenir au préalable auprès des autorités communales l'autorisation de le faire.

Ici, je sens que vous commencez à comprendre pourquoi la résolution de ce problème peut prendre du temps ! Et tout d'abord, avant d'entreprendre, il nous faut obtenir auprès d'une entreprise spécialisée (et agréée) un devis et un engagement de mettre la main à la pâte. Pas simple ! Pas simple du tout, vous allez le voir.

Contacter des entrepreneurs et leur faire visiter les lieux n'est pas un gros souci. Ils répondent, certains viennent voir, mais remettre un devis semble leur poser problème : effectivement, sans ouvrir, difficile de savoir ce qui se passe là-dessous. Tuyau bouché ? Tuyau cassé ? Et à quel endroit ?

Je leur explique qu'en envoyant la lance-déboucheuse, celle-ci bute contre un obstacle, quelque part. Depuis la chambre de visite, située près de la limite de ma propriété, la conduite « avale » environ quatre mètres de tuyau de nettoyeur haute pression, puis plus rien. C'est bloqué. L'eau s'en va, mais guère plus. Et le tuyau ne passe décidément pas.

« Et il est où, le collecteur principal ? À quelle profondeur ? » me demande-t-on. Je leur explique. Ils font la moue. « Ah, oui. Et c'est du béton, là ? »

Je hoche la tête. J'ose à peine ajouter que le béton est armé et que la dalle doit faire quarante centimètres d'épaisseur, au bas mot (je le sais parce que je l'ai constaté lorsque la voirie a été refaite, quelques années auparavant) !

Les entrepreneurs s'en vont avec de vagues promesses de m'envoyer un devis, mais je ne reçois rien. Ils n'ont pas envie de faire ça, manifestement, parce que quand je les relance, ils ont toujours une excuse...

Finalement, j'en trouve un pour me remettre un devis. Je lui donne mon accord, mais il ne vient jamais. Il a toujours trop de boulot, il promet pour le mois suivant, le mois d'après, la Saint-Glinglin... pour finalement me dire que si je fais appel à quelqu'un d'autre, il ne sera pas fâché.

Les mois ont passé et la routine s'est installée : la cuisine et les salles d'eau sont fonctionnelles, une des deux toilettes itou, la seconde étant interdite de papier et de gros besoins. Il y a pire, comme situation, avouons-le. C'est juste vexant, ce W-C du rez-de-chaussée qu'on ne peut pas utiliser normalement ! Il faut se rendre à l'étage, mais on fait avec. Ou plus exactement, on fait sans.

Sur la suggestion de l'entrepreneur qui voulait bien faire le boulot mais ne le pouvait pas en réalité, j'en contacte d'autres. L'un me dit « au beau temps ». Ça tombe mal. Nous sommes en novembre. Un autre me dit « OK ». Il est sympathique, paraît sérieux et, à l'évidence, connaît son affaire. Je n'ai pas besoin de lui décrire le béton, il sait comment sont faites ces dalles. C'est du dur, mais ça ne paraît pas le tracasser. On fait affaire. Mais il ne peut pas venir tout de suite. Mais le mois prochain, peut-être...

Je reste calme. Philosophe, même. J'ai l'expérience, moi aussi, maintenant. Je sais que ça n'ira pas vite. Le gars est de bonne volonté, paraît honnête, je lui fais confiance. Il viendra en décembre, comme il l'a annoncé.

Seulement, il y a un autre problème. Je vous l'ai déjà dit : j'habite en face d'une école. Outre les charmes de la situation, cela entraîne un souci supplémentaire : pour les autorités communales, il est hors de question d'accorder l'autorisation de percer la voirie en dehors des périodes de vacances scolaires. Donc, en décembre, ça va être difficile : les journées sont courtes, très courtes, et l'on est en plein dans les fêtes de fin d'année quand nos galopins ont leurs deux semaines de congés.

Report à Pâques, donc. Ou à la Trinité.

Non, je vous l'ai dit, l'entrepreneur est sympa, sérieux et connaît son affaire. Pendant les vacances de Pâques, il m'envoie ses ouvriers munis du feu vert communal. On troue ! Enfin !

Comme leur patron, les ouvriers connaissent le métier. Ils en ont installé et réparé, des tuyauteries. Avant de donner le premier coup de tronçonneuse dans le béton, l'aîné m'annonce qu'à son avis, le tuyau est cassé. « Là », m'indique-t-il du bout de sa godasse boueuse.

Pendant une bonne demi-journée, à coups de pelle et de marteau-piqueur, les deux vaillants ouvriers vont déblayer une petite tranchée. Profonde, car la tuyauterie file en pente vive vers le collecteur principal, plus de deux mètres sous la surface de la voirie.

Au milieu de l'après-midi, l'aîné m'appelle, un sourire satisfait sur les lèvres : « j'vous l'avais dit, qu'il était cassé là ! » triomphe-t-il. Je réalise que le mec a vraiment l'expérience. C'est juste dessous l'endroit qu'il avait désigné du bout du pied.

« C'est une pierre enfoncée dans le tuyau », m'explique l'homme en tétant sa cigarette (une toute mince, roulée à la main). « Ils ont refait les bordures » ?
— Oui, dis-je. Ils ont refait les trottoirs, bordures et caniveaux. Y a deux-trois ans.
— Ah ! C'est en damant le terrain qu'ils ont bourré une pierre dans l'tuyau. Bizarre que c'est seulement bouché maintenant...

Je lui explique que cette évacuation-là était peu utilisée. Juste pour de l'eau, jusqu'à récemment, quand on a construit une nouvelle annexe avec une salle d'eau et un W-C, au rez-de-chaussée.

Donc voilà. C'est la commune qui a fait faire des travaux dans la rue qui est à elle, et qui par la magie de l'opération a cassé le tuyau qui est à moi. Je m'interroge. Vais-je téléphoner au service des travaux et expliquer que c'est de leur faute, tout ça ? Leur écrire ? Leur envoyer la note ?
Je suis déjà bien content que le problème puisse être résolu, alors je décide de ne pas entamer la lutte du pot de terre contre le pot-de-vin (comme disait Coluche) !

Mais je ne suis pas encore au bout de mes surprises : l'ouvrier m'annonce qu'il est trop tard, qu'ils viendront achever demain, c'est-à-dire remplacer le tuyau cassé par un autre, pas cassé. En attendant, son pote est parti avec le camion chercher du stabilisé « pour reboucher », m'explique-t-il.

— Reboucher ?
— Ouais. On préfère reboucher. Vous comprenez, c'est la rue, laisser un trou comme ça pendant la nuit, c'est dangereux. Il pourrait y avoir un accident !
— Mais... en mettant une signalisation ?
— On fait plus ça ! ricane l'ouvrier. Fini ! Et vous savez pourquoi ? ajoute-t-il en se penchant vers moi avec un air grave. Parce qu'on nous vole le matériel. Oui, Monsieur ! On nous pique les barrières, les panneaux, les loupiotes... Et puis il y a un trou et les gens peuvent tomber dedans, les bagnoles passer dessus et avoir de la casse et nous des emmerdements !

C'est clair et net. Ils préfèrent reboucher.
« C'est juste du stabilisé, m'explique l'homme alors que le camion manœuvre. On tasse bien et demain, en moins de deux, on débouche et on termine. »

La benne se lève, je vois qu'ils ont mis un gros morceau de plastique épais sur le trou du tuyau. « Comme ça, la terre ne va pas entrer dedans et aller tout boucher plus loin », m'annonce l'astucieux bonhomme. Le mélange tombe dans la tranchée, quelques coups de pelle, puis quelques passages des pneus du camion en marche avant-marche arrière pour bien tasser. Quelques coups de dameuse, et le tour est joué. Et je dirais même plus : le trou est bouché.

Le lendemain, les deux gars seront de retour, comme annoncé ; et le sympathique entrepreneur m'enverra sa facture seulement un mois plus tard. Pas plus salée que ce qu'il m'avait annoncé.

Comme quoi des gens honnêtes, il y en a. Et des ouvriers compétents aussi.

Des mois ont passé, notre évacuation fonctionne tip-top et c'est à peine si l'on s'aperçoit qu'un trou a été fait dans la rue. Malgré le trafic, la réparation ne s'est aucunement affaissée, preuve qu'elle a été effectuée par des gens connaissant leur métier.

Finalement, ça valait la peine d'attendre puisque maintenant, quand on en parle, ça nous fait juste marrer. La seule chose qui nous reste un peu en travers, ce sont les déboucheurs, serruriers, plombiers, électriciens ou mécaniciens peu scrupuleux profitant de l'embarras d'autrui pour s'en mettre plein les poches ; et qui, outre leur malhonnêteté, sont d'une incompétence crasse.

mardi 6 août 2019

Des lendemains qui chantent


Cette fois, c'est promis, je vais faire preuve d'optimisme. C'est un état d'esprit qui se faisait rare chez moi depuis un bon bout de temps, ne m'incitant pas à poster sur mon blog. Je me disais « Mir, arrête tes conneries, tes diatribes pas drôles n'intéressent personne. Alors, si c'est pour broyer du noir, fais ça tout seul dans ton coin au lieu d'enquiquiner le bon peuple ».
Et c'est vrai que mes rares bafouilles ne baignaient pas dans un optimisme béat. Témoin le nombre de visites sur mon blog, en chute libre depuis belle lurette. J'avais davantage de lecteurs autrefois, quand mes sarcasmes prenaient pour cible Les Nouveaux Auteurs  ou quand je vous racontais mes déboires avec le PQ et quelques objets qui énervent.

Non, aujourd'hui, changement de cap : je vais être positif. Comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement, compte tenu de l'avalanche de bonnes nouvelles auxquelles nous avons droit ces derniers temps ?

Et justement, parlons-en, du temps. Évoquons la météo, les températures caniculaires et notre bonne vieille Terre qui se réchauffe tout doucement quoique de plus en plus vite...

En voilà, une nouvelle qu'elle est bonne ! Moi qui n'aime pas le froid, moi qui supporte deux paires de chaussettes tout l'hiver – pas les mêmes, je vous rassure – et me contente d'une seule l'été pourvu que les températures dépassent les vingt degrés ! Moi qui dors toutes fenêtres fermées, radiateur à fond ! Moi qui n'abandonne mon écharpe de laine qu'aux alentours de la mi-mai pour la récupérer à la mi-août !

Moi, cette planète qui se réchauffe, je vous le dis : c'est une bonne nouvelle. Parce que tant et tant de gens nous bassinent avec l'urgence climatique et les particules fines qu'on en perdrait de vue l'essentiel : pour contrer l'effet de serre, il faut polluer moins. Surtout en brûlant moins d'énergie fossile : charbon, pétrole, gaz et vieux squelettes d'Homo Sapiens. Il paraît que ce qui dégage beaucoup de gaz carbonique, c'est notre chauffage individuel. Il faut chauffer moins, car chauffer moins, c'est polluer moins. Or, cette année, et bien que je sois un grand frileux, j'ai déjà fortement réduit ma consommation d'énergie. Normal : il fait chaud. On bat des records. La chaudière est en veille depuis des semaines. N'est-ce pas merveilleux ?

Autre bonne nouvelle : des maladies des contrées plus chaudes remontent vers le nord. Grâce au réchauffement climatique, le moustique-tigre, vecteur de sombres maux, se répand petit à petit en Europe. Malaria, dengue, chikungunya et autres joyeusetés se pressent à nos portes, prêtes à s'offrir en notre compagnie quelques pintes de bon sang. Quelle bonne idée ! Car déjà, nous sommes trop nombreux. Depuis plusieurs semaines déjà, nous vivons à crédit. Pas parce que nous avons emprunté pour les vacances, la bagnole, la maison et la cuisine Ikea ; mais parce que nous avons déjà consommé en quelques mois tout ce que la Terre peut nous offrir en un an. C'est ce qui s'appelle vivre à crédit : il n'y a plus assez de ressources pour nourrir le Monde, alors on entame déjà des réserves auxquelles nous ne devrions pas toucher.

Donc, les maladies dues au réchauffement viennent à notre secours : grâce à elles, la mortalité va augmenter. Et, comme d'un autre côté, notre fertilité est en régression, nous faisons moins d'enfants. Moins de gens, c'est moins de chauffages individuels, de voitures qui polluent, de viande et de légumes à produire ; donc moins de vaches qui pètent (le méthane est un gaz à effet de serre) et moins d'agriculteurs qui arrosent leurs champs. Et puis, la Terre qui se réchauffe, c'est la banquise qui fond, donc le niveau des océans qui monte. Des îles vont disparaître, des littoraux s'inonder et des côtiers se noyer. Des ours blancs arriveront dans les villes pour dévorer les citadins agonisants...

Le Monde finira donc par se dépeupler non seulement grâce aux maladies, à la famine, au terrorisme, aux guerres et à la vente libre des armes à feu aux States, mais aussi parce que les Chinois ont compris que plus on est de fous moins il y a de riz et qu'il faut limiter la procréation sous peine de n'avoir pas assez de Huawei pour tout le monde.

Comme la médecine progresse et que nous vivons plus vieux, alors qu'il y a de moins en moins de naissances et, par corollaire, de futurs travailleurs qui financeront les caisses de retraite, la misère va s'installer. Des gens sans ressources financières vont se retrouver à la rue. Ils seront malades et la peste, la tuberculose, le choléra se répandront comme jamais. Des révoltes éclateront, puis des guerres qui décimeront la population.

Ainsi, au fil des années, la race humaine sera en déclin, puis finira par disparaître comme avant elle ont disparu d'autres espèces, petites ou grandes, féroces ou paisibles mais toujours concurrentes les unes des autres.

Après ce déluge de paroles rassurantes, une triste nouvelle vient hélas assombrir ce tableau idyllique : la Belgique est toujours sans gouvernement fédéral de plein exercice et, jusqu'à présent, on ne parle pas encore de l'éventualité de retourner aux urnes. Et ça, c'est bien dommage car, si c'était le cas, les extrémistes de droite comme de gauche amélioreraient certainement leur score du mois de mai, rendant ainsi notre Belgique ingouvernable une bonne fois pour toutes. Alors tout pourrait enfin péter définitivement au pays du Compromis et...

... et je m'interromps ici, malheureusement, car l'ambulance est déjà là.

Merci pour votre attention.

vendredi 14 juin 2019

La crise politique belge pour les cancres (8)



Bien du temps est passé depuis que je vous ai entretenu de la crise politique belge ; mais l’Histoire étant un perpétuel recommencement, une mauvaise langue me glisse à l’oreille que nous pourrions être en train d'en écrire un nouveau chapitre.

Pour ceux qui n’ont pas suivi l’actu, qu’elle soit toute récente ou vieille d'une demi-douzaine d'années, rappelons que la Belgique est un pays étrange, composé artificiellement de gens qui ont peu ou prou les mêmes problèmes mais n’ont pas la même approche de la manière de les résoudre.

C’est pourquoi dans le nord (néerlandophone), on vote plutôt « à droite » ; tandis que dans le sud (francophone), c’est traditionnellement « la gauche » qui domine. Ajoutons qu’au milieu de tout cela, il y a Bruxelles (majoritairement francophone mais où votent aussi les néerlandophones) ; et à l’est, près de la frontière allemande, une communauté germanophone active mais incluse dans la partie francophone. Vous suivez ?



Tout cela pour essayer de vous expliquer à quel point ça peut être compliqué, puisque nous avons plusieurs parlements (élus) et gouvernements (coalitions) à composer : il y a le « fédéral » (entendez « national ») et ceux des régions (« wallonne » et « flamande »).

Au fédéral, les Flamands, qui sont plus nombreux (60 % de la population, environ), pourraient former une majorité à eux seuls, mais ce n’est pas permis par notre Constitution : les deux communautés doivent être représentées dans la majorité fédérale. Cela dit, il n’est pas indispensable que la coalition au pouvoir possède la majorité dans les deux communautés (cela s’est déjà produit, et plus précisément avec le gouvernement sortant, minoritaire en francophonie) ; excepté en cas de révision de ladite Constitution, auquel cas le gouvernement doit être majoritaire dans chacune des deux parties du pays et représenter, au total, une majorité des 2/3 des parlementaires. Vous suivez toujours ?



C’est donc en partie pour ces raisons que la formation d’une majorité fédérale peut prendre du temps (le record est à plus de 500 jours) : mettre d’accord des élus de gauche et de droite, qui plus est de langue et de culture différentes, n’est jamais une promenade de santé. Ces dernières années, les gouvernements issus de majorités de centre-gauche ou de centre-droit ont été minoritaires en Flandre pour le premier et en Wallonie pour le second.



Les élections du 26 mai dernier n’ont pas arrangé les choses, puisque la tendance s’est accentuée. Une extrême droite à 20 % en Flandre et une extrême gauche à 10 % en Wallonie. Et comme dès avant le scrutin, plusieurs partis ont lancé des « exclusives » (pas avec l’extrême droite, pas avec l’extrême gauche, pas avec les socialistes francophones, pas avec les nationalistes flamands, c'est impensable avec les écolos, etc.), constituer une majorité va exiger non seulement du temps, mais aussi pas mal d’imagination. Le risque étant la constitution d’une majorité bancale, asymétrique droite-gauche, et dont les constituants auront dû ravaler leurs paroles, promesses et interdits (autrement dit, « oublier » leurs exclusives). Ravaler paroles et promesses, c’est courant dans le milieu, mais cette fois nos politiciens y sont allés fort. Très fort.



Alors, la énième crise politique belge sera-t-elle longue ? Oui.

Allons-nous en sortir ? Peut-être, car nous l’avons toujours fait, en spécialistes mondiaux du compromis (rappelons qu’un compromis, c’est l’art de trouver un accord qui satisfait toutes les parties ou qui les satisfait parce qu’aucune n’est satisfaite).



Mon intuition, toutefois, est que nous retournerons bientôt aux urnes, avec en perspective la menace (selon les uns) ou la promesse (selon les autres) de l’éclatement du pays. Il n’y aura plus d’exclusives. Nos élus pourront alors dire que « c’était la volonté de l’électeur ». Parce que l’électeur a toujours raison. Même quand on le trompe ou qu’il se trompe.




jeudi 4 avril 2019

Le centriste


Non, je ne vais pas vous entretenir de politique. Le centriste en question ne fait pas partie de la race des élus ou de ceux aspirant à l’intégrer, bien qu’avec ces gens on ne sache jamais vraiment à quoi s’en tenir.

Non, le centriste dont je veux vous parler, c’est celui qui, imperturbablement, squatte la bande centrale de nos autoroutes au fil des kilomètres qu’il parcourt. Le plus souvent, ce centriste est respectueux des limites de vitesse, choisissant même de circuler cinq à dix kilomètres/heure en dessous du maximum autorisé.

Si vous roulez – en toute légalité – plus rapidement que lui, vous devrez impérativement le dépasser par la gauche (donc en empruntant la troisième bande de circulation) et non par la droite, manœuvre interdite par le Code de la route sauf en de rares circonstances.

Les deux comportements sont répréhensibles, les autorités viennent de nous le rappeler, et le montant de l’amende infligée aux contrevenants a récemment été doublé.

Apparemment, la hausse du coût des sanctions n’a exercé aucun effet immédiat : les centristes sont toujours aussi nombreux sur nos autoroutes. Il est même certains jours où je me demande s’ils ne sont pas majoritaires. Un comble, car des centristes majoritaires, même en politique, ça se voit rarement !

Ce qui m’interpelle, en réalité, c’est le nombre d’automobilistes qui se plaignent de la situation actuelle. Autour de moi et dans les médias, j’entends des gens rapportant le nombre incroyable de contrevenants qui les agacent quotidiennement et déplorer qu’ils ne soient pas sanctionnés.

Mais sanctionner un centriste, c’est difficile. La limite entre le séjour prolongé en bande centrale et l’enchaînement de dépassements de véhicules plus lents est difficile à cerner. Elle serait même, comme dans beaucoup de cas, soumise à l’arbitraire des agents des Forces de l’Ordre, avec tous les doutes, dérives et abus qu’on peut craindre. En outre, pour apporter la preuve de l’infraction, il faudrait des photos explicites ou, mieux encore, des captures vidéo accablantes. L’exercice n’est sans doute pas des plus aisés.

Si le nombre impressionnant d’automobilistes se plaignant des centristes m’interpelle, la curieuse absence des centristes eux-mêmes dans les conversations m’interpelle davantage ! Je n’ai pas rencontré depuis longtemps quelqu’un avouant squatter régulièrement la bande centrale de l’autoroute au mépris du Code ; et pourtant, les conducteurs se comportant de la sorte existent incontestablement.

Il faut croire que ceux-là sont un peu comme certains piétons adressant des gestes de reproche aux automobilistes qui ne leur cèdent pas la priorité sur les passages protégés ; mais qui se transforment en chauffards mettant en danger les usagers faibles dès qu’ils s’installent au volant de leur bolide.

Les mauvais, c’est les autres, c’est bien connu.

En attendant, une nouvelle race commence à proliférer : le gauchiste. Contrairement à ce qui se passe au plan politique dans la plupart des pays de l'Union, les partisans de la gauche sont désormais en progression. Ne pouvant dépasser par la droite les centristes, la plupart le font par la gauche, mais certains d'entre eux décident désormais de s'installer là, squattant la bande de gauche à une vitesse supérieure de dix à vingt kilomètres/heure au maximum autorisé.

Ces gauchistes sont peut-être des centristes un peu pressés ne supportant plus de rester dans la file des centristes ordinaires...

Finalement, je verrais d’un bon œil le parallèle politique avec les centristes, en appliquant à ces derniers le principe qu’avait un jour lancé Lionel Jospin : « Le Centre, c’est comme le Triangle des Bermudes ; qui s’en approche tend à disparaître ».

jeudi 21 mars 2019

Toujours vivant !

Rien à voir avec un certain chanteur, bien que, comme lui, je sois encore de ce Monde. Mais quant à être toujours debout ou avoir la banane, ce n’est pas tout le temps. Loin de là.
Déjà, pour gagner ma croûte, je suis bien obligé d’abandonner mon lit chaque jour dès potron-minet (à la belle saison) et même avant (en hiver)... vous imaginez que ce n’est pas spécialement rigolo. Je ne vais d’ailleurs pas vous entretenir de mon boulot, le mentionner suffit déjà amplement. Je dirai seulement que bosser ne me dérange pas, mais que le faire pour certaines personnes, c’est autre chose.

Avec le temps tout s’en va, comme le chantait Léo Ferré ; et il faut admettre qu’il avait raison, même si tout ne s’en va pas en même temps et à la même allure. De là sans doute vient l’expression « garder de beaux restes », qui s’applique aux personnes pour lesquelles tout n’est pas encore parti sans espoir de retour. J’espère pouvoir encore faire longtemps partie de cette catégorie de gens.

J’ai donc un peu négligé mon blog parce que parmi ce qui s’en va et ne revient pas nécessairement figurent la motivation et l’inspiration. Il est d’ailleurs tant de choses intéressantes à faire dans la vie que, parfois, on se dit qu’une seule existence ne suffira pas pour les entreprendre ; et dès lors, la mise à jour d’un simple blog peut s’égarer au sein des préoccupations secondaires.

Des ennuis de santé comme ceux que j’ai connus ces derniers mois et connais encore aujourd’hui, ça vous change la vie à un point tel que vos centres d’intérêt peuvent se détourner des habituels famille, travail, loisirs. Et c’est ce qui m’est arrivé.

Étrangement, il m’est devenu difficile de regarder un film, lire un roman ou m’intéresser aux œuvres de pure fiction. L’évasion vers l’imaginaire a pour moi cédé la place à des préoccupations plus terre-à-terre comme les actualités, les documentaires, les reportages, les articles à tendance scientifique et, bien sûr, les questions de santé.

C’est pour ces raisons que la tenue de mon blog est passée à l’arrière-plan ces derniers mois. Et c’est pour ces mêmes raisons qu’auparavant déjà, mes articles avaient petit à petit abandonné la bonne humeur et le sarcasme pour adopter un ton plus grave que j’imagine volontiers ennuyeux pour le vaillant lecteur. J’espère qu’il voudra bien m’en excuser !

À présent que je ne vais pas spécialement mieux, mais que les incertitudes (vais-je pouvoir guérir ?) ont laissé la place à une forme de résignation philosophique (il n’y a pas de remède, inutile de broyer du noir, profitons de la vie, il en est qui souffrent davantage…), je compte bien remonter la pente grâce au soutien de mes proches et – pourquoi pas ? – en « reprenant la plume » de temps en temps pour quelques délires dont j’espère n’avoir pas laissé la source se tarir.

En me relisant, je me dis que pour la bonne humeur, c’est déjà mal emmanché ! Mais il est des choses qu’on a parfois besoin de dire ou d’écrire pour trouver l’apaisement, comme ces quelques lignes qui m’ont fait grand bien ! C’est déjà ça de gagné.

Comme quoi, parfois, le bonheur peut se cacher dans de menus détails.