vendredi 14 juin 2019

La crise politique belge pour les cancres (8)



Bien du temps est passé depuis que je vous ai entretenu de la crise politique belge ; mais l’Histoire étant un perpétuel recommencement, une mauvaise langue me glisse à l’oreille que nous pourrions être en train d'en écrire un nouveau chapitre.

Pour ceux qui n’ont pas suivi l’actu, qu’elle soit toute récente ou vieille d'une demi-douzaine d'années, rappelons que la Belgique est un pays étrange, composé artificiellement de gens qui ont peu ou prou les mêmes problèmes mais n’ont pas la même approche de la manière de les résoudre.

C’est pourquoi dans le nord (néerlandophone), on vote plutôt « à droite » ; tandis que dans le sud (francophone), c’est traditionnellement « la gauche » qui domine. Ajoutons qu’au milieu de tout cela, il y a Bruxelles (majoritairement francophone mais où votent aussi les néerlandophones) ; et à l’est, près de la frontière allemande, une communauté germanophone active mais incluse dans la partie francophone. Vous suivez ?



Tout cela pour essayer de vous expliquer à quel point ça peut être compliqué, puisque nous avons plusieurs parlements (élus) et gouvernements (coalitions) à composer : il y a le « fédéral » (entendez « national ») et ceux des régions (« wallonne » et « flamande »).

Au fédéral, les Flamands, qui sont plus nombreux (60 % de la population, environ), pourraient former une majorité à eux seuls, mais ce n’est pas permis par notre Constitution : les deux communautés doivent être représentées dans la majorité fédérale. Cela dit, il n’est pas indispensable que la coalition au pouvoir possède la majorité dans les deux communautés (cela s’est déjà produit, et plus précisément avec le gouvernement sortant, minoritaire en francophonie) ; excepté en cas de révision de ladite Constitution, auquel cas le gouvernement doit être majoritaire dans chacune des deux parties du pays et représenter, au total, une majorité des 2/3 des parlementaires. Vous suivez toujours ?



C’est donc en partie pour ces raisons que la formation d’une majorité fédérale peut prendre du temps (le record est à plus de 500 jours) : mettre d’accord des élus de gauche et de droite, qui plus est de langue et de culture différentes, n’est jamais une promenade de santé. Ces dernières années, les gouvernements issus de majorités de centre-gauche ou de centre-droit ont été minoritaires en Flandre pour le premier et en Wallonie pour le second.



Les élections du 26 mai dernier n’ont pas arrangé les choses, puisque la tendance s’est accentuée. Une extrême droite à 20 % en Flandre et une extrême gauche à 10 % en Wallonie. Et comme dès avant le scrutin, plusieurs partis ont lancé des « exclusives » (pas avec l’extrême droite, pas avec l’extrême gauche, pas avec les socialistes francophones, pas avec les nationalistes flamands, c'est impensable avec les écolos, etc.), constituer une majorité va exiger non seulement du temps, mais aussi pas mal d’imagination. Le risque étant la constitution d’une majorité bancale, asymétrique droite-gauche, et dont les constituants auront dû ravaler leurs paroles, promesses et interdits (autrement dit, « oublier » leurs exclusives). Ravaler paroles et promesses, c’est courant dans le milieu, mais cette fois nos politiciens y sont allés fort. Très fort.



Alors, la énième crise politique belge sera-t-elle longue ? Oui.

Allons-nous en sortir ? Peut-être, car nous l’avons toujours fait, en spécialistes mondiaux du compromis (rappelons qu’un compromis, c’est l’art de trouver un accord qui satisfait toutes les parties ou qui les satisfait parce qu’aucune n’est satisfaite).



Mon intuition, toutefois, est que nous retournerons bientôt aux urnes, avec en perspective la menace (selon les uns) ou la promesse (selon les autres) de l’éclatement du pays. Il n’y aura plus d’exclusives. Nos élus pourront alors dire que « c’était la volonté de l’électeur ». Parce que l’électeur a toujours raison. Même quand on le trompe ou qu’il se trompe.