C'est fou ce qu'on entend cette phrase,
ces derniers temps : « La Belgique doit résorber son
handicap salarial » !
Pragmatique comme toujours, naïf comme
souvent, j'essaie de décortiquer l'expression.
Tout d'abord, et même si de nos jours
appeler certaines choses par leur nom est souvent mal perçu, quand
j'entends le mot « handicap », je me dis qu'il doit y
avoir quelque chose qui fonctionne mal, voire pas du tout. Un truc
qui marche moins bien que chez d'autres.
Un handicap visuel, c'est quand on ne
voit pas bien ; un handicap auditif, c'est quand on entend mal ;
un handicap mental, c'est quand on n'a pas toutes les frites dans le
même sachet ; un handicap moteur, c'est quand on conduit une
vieille deuche... etc.
Donc, un handicap salarial, c'est
certainement quand le salaire n'est pas bon. Moins bien que celui des
autres. Inférieur à la normale.
Et, donc, la Belgique souffrirait d'un
handicap salarial.
Déjà, là, il y a quelque chose qui
cloche. Un pays, ça ne perçoit pas de salaire. Ce sont ses
travailleurs qui en perçoivent un.
Faudrait-il donc comprendre que « le
travailleur belge doit résorber son handicap salarial » ?
Hélas, non ! Ce serait même
plutôt l'inverse. Le Belge est mieux payé que ses voisins
immédiats. Par exemple les Français, les Allemands, les Hollandais.
Et donc, le handicap salarial de la Belgique, c'est ça : les
travailleurs qui gagnent en moyenne trois pour cent de plus que ceux
de certains pays voisins. Pas tous, apparemment, puisqu'on compare
avec ceux que je viens de citer, juste ci-dessus.
« On » compare. Le « on »,
ça désigne le patronat et le gouvernement de droite libérale
acquis à sa cause et qui entend à présent diriger le pays et
lancer des réformes à tout va.
Ce sont donc ces gens-là qui clament
que la Belgique doit « résorber son handicap salarial ».
Parce que payer correctement les travailleurs, ça nuit à la
rentabilité. Elle est pourtant toujours bien là, cette rentabilité,
même si certains tentent de nous faire croire le contraire, mais
elle est un peu moins enthousiasmante qu'escompté par les
actionnaires toujours très près de leurs dividendes.
Le travailleur belge coûte donc
environ trois pour cent de plus que le travailleur français, le
travailleur allemand ou le travailleur néerlandais.
« On » (qui vous savez, je
ne vais pas me répéter) évite soigneusement de signaler dans la
foulée que le Belge paie davantage d'impôts et achète ses
marchandises à un prix plus élevé que ces mêmes voisins auxquels
on le compare.
Et puis, franchement, si on est mieux
payés, il n'y a pas de honte. Les handicapés salariaux, ce n'est
pas nous, mais les autres. Et si nos voisins immédiats sont un tout
petit peu handicapés, nos autres comparses européens le sont
davantage. Quant aux quasi-esclaves de contrées lointaines, est-il
nécessaire d'en parler ?
Alors, tout compte fait, en matière de
« handicap salarial », plutôt que d'essayer de nous
dépouiller de ce qu'on a, il serait infiniment plus sain,
humainement parlant, d'en distribuer autant à ceux qui sont
défavorisés.
Humainement parlant.
Voilà une expression qui ne doit pas
émouvoir ceux qui ont une pierre à la place du cœur et un
coffre-fort dans le crâne. Quand la recherche d'un profit maximal
est une raison de vivre et le bien-être d'autrui ou la sauvegarde de
la planète des préoccupations bien secondaires, peut-on évoquer
une quelconque idée d'humanité ?
Que plus aucun travailleur au Monde ne
souffre d'un handicap salarial, ce serait quand même un fameux
miracle de Noël !
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