Dis-moi ce que tu voles, à qui tu le voles et par quel moyen ; je te dirai quel voleur tu es.
— C'est facile : tu télécharges...
Ben oui, c'est facile. J'ai déjà avoué à plusieurs reprises que j'étais démodé. Je le suis encore et je le resterai probablement jusqu'à la fin de mes jours.
— Oh ! Tu l'as déjà ? Tu m'en fais une copie ?
Ben oui, c'est facile. On met le support vierge et on recopie.
— Envoie-le sur mon mail !
Ben oui, c'est facile. On joint le fichier et on envoie le message.
On clique partout et on télécharge. Parfois, on se ramasse une merde, un « cheval de Troie ».
C'est les salauds de majors qui nous pourrissent la vie avec ça, cette bande d'escrocs qui se remplissent les poches, alors qu'on ne fait rien que partager l'info, échanger.
C'est ça, le monde moderne : la convivialité, l'échange, le partage. On finit par ne plus savoir d'où ni de qui vient un fichier, comment on l'a reçu et où il s'en est allé ensuite.
Le monde évolue.
Aujourd'hui, les plus jeunes téléchargent des chansons, des images, des jeux, des logiciels...
Ils ne se posent pas de questions. C'est gratuit, tout simplement.
Et puis, même s'ils savent parfois que, non, ce n'est pas gratuit ; ils ne s'en soucieront pas, parce que ces choses qu'ils obtiennent sans les payer, ce n'est pas pour se les approprier.
Ben non, m'sieur. On fait rien de mal. Tout le monde fait ça, vous savez. Mes copains, mes copines, mon grand frère, mon cousin et même mon prof. Tout le monde, je vous dis. Même mon père m'a demandé où et comment je trouvais tout ça, parce que ça l'intéresse, lui aussi.
Non, les plus jeunes ne se posent pas de questions. En téléchargeant, en copiant, en transmettant, en échangeant... ils ne volent rien. Ils ne s'approprient rien. Leur console de jeux, leur smartphone, leur tablette... ça, oui, c'est à eux. Ils ne les ont pas payés, mais c'est à eux. Ils les ont reçus en cadeau.
Mais la chanson qu'ils ont téléchargée gratuitement hier et transmise à quelques potes, celle qu'ils écoutent aujourd'hui, celle qu'ils effaceront demain et qu'ils remplaceront par une autre, ils n'ont pas le sentiment de l'avoir volée. C'est juste un service. Un truc fugitif. Un peu comme quand d'autres, il y a longtemps déjà, poussaient sur la touche « record » de l'enregistreur à cassettes quand leurs morceaux préférés passaient à la radio (coupés au début par le bla-bla du présentateur et raccourcis à la fin par le jingle annonçant la page de pub – c'était fait exprès).
Nous sommes dans un monde du « je prends – j'utilise – je jette ». On ne répare pas, ça coûte trop cher. On ne conserve pas quand on s'en est lassé, ça prend de la place inutilement.
Adolescents, ils consommeront sans arrière-pensée. D'un côté ils rêveront du grand amour, comme leurs aînés l'ont fait avant eux, mais ils ne le trouveront pas, ou si rarement, et s'ils le trouvent ils ne le garderont pas. Les gens, ils sont comme les objets de consommation : ils passent.
Une idée, ça n'existe que pour être consommé. Ce n'est pas comme un smartphone ou un scooter : ce n'est pas matériel, ça n'appartient à personne, donc ça ne se vole pas. La propriété intellectuelle n'existe pas.
Ça, c'est pour les innocents.
Mais il y a les pervers. Les sans-gêne. Ceux qui savent, mais qui s'en tapent.
Toi, le musicien, le passionné, l'artiste désintéressé... Mets ta jolie chanson gracieusement en ligne, et lis les messages de ceux qui l'ont aimée et t'encouragent à en composer d'autres.
Toi, l'auteur, le passionné, le scribouillard désintéressé... Mets ta jolie histoire gracieusement en ligne, et lis les messages de ceux qui l'ont aimée et t'encouragent à en écrire d'autres.
La vie est belle. C'est sympa, ces gens qui aiment ce que tu fais.
Et puis, un jour, tes chansons, tes histoires, tu les retrouves ailleurs. On les a recopiées sans te demander ton accord. Et tu peux être heureux si, par chance, ton nom y est resté associé. Ce n'est pas toujours le cas. Pas souvent, même. Et jamais si tu n'es pas déjà célèbre.
Un jour, même, tu trouveras un type qui donne (et même revend) tes chansons ou tes histoires à d'autres, un peu comme si c'était à lui. Ceux qui les recevront le féliciteront peut-être pour son talent. Ils croiront que c'est à lui, qu'il en a le droit.
Tes œuvres t'échappent, elles ne t'appartiennent plus.
Et un jour, peut-être, au nom de la liberté d'expression, de la convivialité, de la fraternité des internautes et de la malléabilité de la bouse de vache quand elle est chaude, des milliers de petits voleurs qui s'ignorent prendront la défense des grands voleurs qui t'ont escroqué et qui viennent de se faire coffrer.
Mieux : ils te menaceront. Ils essaieront de te pourrir ta vie.
Aujourd'hui, le chœur des internautes prend la défense des voleurs. Pas celle des artistes.