Ne vous méprenez pas : ce n'est
pas ce que je vous invite à faire ! Bien sûr, si vous en
éprouvez l'envie, je ne serai pas en mesure de vous en empêcher ;
mais ce sera votre décision indépendante de toute demande de ma
part.
Ce préambule mis de côté, j'en viens
au véritable sujet de cette bafouille : les messages qui nous
arrivent dans notre boîte courriel et qui nous invitent, après
avoir pris connaissance d'une argumentation plus ou moins bien
torchée, à la faire suivre à tous nos contacts. Genre : « il
faut que ça se sache ».
Les objets sont variés, du simple
texte à la petite vidéo en passant par le diaporama, et les sujets
le sont tout autant. Drôles, inattendus, sérieux, inquiétants,
horrifiques...
Je me suis déjà demandé si ceux qui
lançaient ces messages en avaient réellement un à faire passer, ou
s'ils le faisaient rien que pour surcharger les serveurs qui
alimentent nos boîtes à courriels. Comme me l'a un jour expliqué
un informaticien, il y a des frustrés et des enquiquineurs partout
dans le monde et leur entêtement à sévir n'a, semble-t-il, que des
limites aussi floues que leurs motivations.
Vous avez certainement déjà reçu ce
type de courrier électronique. À la maison, mais aussi au boulot,
où il vous a été relayé par un de ces collègues toujours prompts
à bondir sur la moindre occasion de vous rendre service en vous
informant, par exemple, d'un grand danger qui vous menace, vous ou
l'Humanité tout entière.
Le commun dénominateur de ces
courriels est leur origine nébuleuse. Certes, nous savons plus ou
moins bien qui nous les a transmis, puisque c'est souvent une
personne dont l'adresse est reprise dans la liste de nos contacts,
mais plus on tente de remonter vers la source du message, plus on s'y
perd ; et ce d'autant plus que certains intermédiaires ont
copié et collé le contenu de la missive plutôt que de la
dispatcher sans autre forme de procès. La chaîne a perdu quelques
maillons essentiels en cours de route !
Parfois, en recevant un tel envoi, je
me dis : « encore ce truc-là ? »
Parce que c'est aussi une
caractéristique courante dans le petit monde de ces
« toutes-boîtes » : ils surgissent un jour,
disparaissent, puis refont surface quelques mois voire quelques
années plus tard, comme si l'un ou l'autre internaute en mal de
passe-temps décidait de les réactiver.
D'une manière générale, je remarque
que ces messages « à faire suivre à tous nos contacts »
diffèrent souvent dans la forme, mais rarement sur le fond. Il est
question d'une nouvelle enquête, de nouvelles statistiques, de
nouveaux témoignages ou de nouvelles preuves de ceci ou de cela.
Vous savez, ces argumentations apparemment sérieuses sorties par
l'Université Machin, ces chiffres avancés par tel ou tel ministère,
ce témoignage rapporté par l'un ou l'autre reporter... qui tous
tendent à nous expliquer, arguments massue à l'appui, que notre
Société est sur une pente savonneuse et qu'il est grand temps de
sévir afin que cessent tous ces abus, toutes ces injustices qui
pourrissent si bien notre petite vie quotidienne que nous y
pensons... quand on nous rappelle d'y penser !
Je remarque donc que ces courriels à
volonté de grande diffusion consistent, bien souvent, à désigner
les responsables de tout ce qui ne va pas chez nous, tous ces boucs
émissaires qui sont généralement d'origine étrangère, ne
partagent pas nos convictions religieuses, n'ont pas les papiers
d'identité que doivent posséder « les honnêtes gens »,
n'ont pas de domicile fixe, encombrent nos prisons alors qu'ils
seraient mieux dans les leurs, etc.
Lorsque je reçois ce genre de poulet,
ma réaction est de le mettre à la corbeille sans l'avoir fait
suivre à qui que ce soit. Dans la plupart des cas, rien que sa
lecture suffit généralement à me faire une opinion sur le sérieux
des arguments avancés et sur l'objectivité de ceux qui les ont
rédigés. Se tenir au courant de l'actualité et ne pas prendre pour
argent comptant tout ce qu'on raconte dans les médias, ça peut
aider à accueillir avec scepticisme les enquêtes et statistiques
délirantes qui fleurissent ici et là.
Parfois, lorsque le message cite des
noms, évoque ses sources, je vérifie de quoi il retourne. Je
m'aperçois alors que la personne à qui le message attribue certains
propos s'est déjà exprimée par ailleurs pour les démentir, soit
parce qu'elle n'en est pas l'auteur, soit parce qu'ils ont été
déformés ou enlevés de leur contexte. Je note que la prétendue
étude a été faite par un bureau d'experts fantomatique, ou que les
statistiques avancées comme concernant un pays ou un continent sont
extrapolées d'un vague rapport publié quelques années auparavant
dans un canard local et ne portant que sur un nébuleux échantillon
d'un millier de personnes.
Dans un cas comme celui-là, il
m'arrive de répondre gentiment à la personne – collègue ou
proche – qui m'a fort obligeamment transmis l'alarmante missive que
des affirmations comme celle-là méritent d'être vérifiées avant
d'être diffusées.
C'est par ce biais – et également au
hasard de conversations à l'apparence innocente – que je réalise
que le racisme, l'intolérance, la haine de l'autre ou, plus
simplement, le refus du droit à la différence sont partout autour
de moi.
Oh ! bien sûr, ce collègue, cet
ami, ce proche... ne sont pas méchants. Mieux : ils ne feraient
pas de mal à une mouche. Pas directement. Pas d'initiative, en tout
cas. Et ils utiliseront l'expression bien connue qui commence par
« je ne suis pas raciste », se poursuit par un « mais »
et s'achève avec une argumentation qui contredit l'entrée en
matière.
Aucun de ceux-là n'ira directement
s'en prendre aux « autres », à ceux qui gênent. Non. De
cela, il n'en est pas question.
Se porteront-ils au secours d'un de ces
« autres » lorsqu'il est en danger ou dans les ennuis ?
Peut-être que oui. Applaudiront-ils à ses malheurs ou s'en
réjouiront-ils ? Sans doute pas. Pas publiquement, en tout cas, mais peut-être qu'en pensée ce sera différent.
À l'heure où l'on nous répète que
tous ceux qui, dans le secret de l'isoloir, font le choix de
l'extrémisme et du populisme ne sont pas tous des racistes, je me
penche sur l'Histoire et relis les récits de ses tragédies, ses
guerres, ses génocides.
Près d'un million de morts au Rwanda,
exécutés par des gens ordinaires, comment une telle horreur
a-t-elle été possible ? Et plusieurs millions de civils
innocents exterminés par d'autres, sortis de l'innocence par la
magie de discours haineux, comment cela pourrait-il être envisagé ?
La folie collective trouve ses racines
dans de petites phrases anodines qui, reprises par quelques meneurs,
deviennent des discours enflammés auxquels le bon peuple,
apparemment paisible, finit par applaudir avec de plus en plus
d'enthousiasme avant de lever le poing et de commettre l'irréparable.
Bravo !
RépondreSupprimerEt black-listons carrément les forwarders de ces torchons !