Ici, en Belgique, nous avons nos
génies. Surtout côté politique.
J'imagine que c'est un peu comme
partout ailleurs où règne le suffrage universel : on ne nous
demande notre avis qu'à l'occasion des élections. Ensuite, une fois
élu, on fait un peu ce qu'on veut mais rarement ce qu'on a promis
publiquement.
Une autre coutume semble également
bien établie, lorsqu'un élu hérite d'un maroquin ministériel :
marquer son passage par l'une ou l'autre réforme prétendument
indispensable, nécessaire, voire intelligente ; mais qui dans
les faits s'avère presque toujours inutile ou contreproductive.
Notre bien-aimée ministre de la mobilité vient donc de nous sortir une idée de génie qu'elle
appelle « tolérance zéro ». Un truc très à la mode en
cette période agitée où l'on sent bien enfler le spectre de la
répression.
Cette tolérance nulle concerne
l'alcool au volant. Voilà un truc très meurtrier, très vilain et
contre lequel il faut lutter : l'alcool au volant. Car tout le
monde le sait : boire ou conduire, il faut choisir.
Donc, notre géniale ministre,
s'appuyant sur des statistiques qui donnent le frisson (13 à 15
mille accidents chaque année sont dus à une vitesse excessive ou
inappropriée, tandis que l'alcool est responsable d'environ 180
décès par an sur les routes), décide tout de go qu'il faut s'en
prendre à ce fléau qu'est l'éthylisme.
Oui, mais attention : pas pour
tout le monde. C'est pour les jeunes, nous explique madame Galant :
« Quand on conduit, on ne boit pas. Quand on obtient son
permis de conduire, on est inexpérimenté, puisqu'on n'a pas encore
beaucoup roulé sur la route. Donc, on ne consomme pas d'alcool. »
Concrètement, les conducteurs
ayant leur permis depuis moins de trois ans ne pourront plus avoir
0,5 g d'alcool par litre de sang, mais 0,2 g. Là, c'est
même plus un p'tit verre, c'est rien du tout.
Tudieu !
Quelle idée de génie ! Là, personne n'y aurait songé !
Moi, quand on me balance des chiffres
pour justifier quelque chose, je sors la carte méfiance. Et tout
d'abord, quels sont les chiffres qu'on nous balance, dans cette
histoire d'alcool au volant ?
On nous explique que 3 % des
conducteurs sont sous l'effet de l'alcool. Pour moi, ça veut dire
que 3 % des conducteurs contrôlés présentaient des signes
irréfutables d'intoxication alcoolique, marquée par une quantité
de plus de 0,5 g d'alcool par litre de sang. Or, comme tout le
monde s'en doute, les barrages de police assortis de tests
d'alcoolémie sont installés en des lieux stratégiques, aux heures
les plus propices. Cela veut donc dire qu'en temps normal, ça ne
fait probablement pas 3 pour cent de conducteurs, mais soit.
Admettons.
On nous explique aussi que l'alcool est
responsable de nombreux accidents. En d'autres termes, que beaucoup
de conducteurs responsables d'un accident ont, lors du test auquel
ils ont été soumis, été contrôlés à plus de 0,5 g
d'alcool par litre de sang.
Ce qu'on ne nous dit pas, par contre,
c'est de combien ils dépassaient ce seuil de tolérance.
On nous explique en outre que ce sont
les jeunes qui, lorsqu'ils organisent des petites sorties festives le
soir et le week-end, mélangent le plus souvent beuverie et conduite
automobile. Et comme ils sont inexpérimentés, ça fait mal :
non seulement ils n'ont pas assez d'expérience pour éviter les
contrôles de police, mais en outre ils n'en ont pas assez non plus
pour éviter les accidents !
Alors, la bonne idée, c'est la
« tolérance zéro ».
Honnêtement, je me demande à quoi ça
va bien pouvoir servir.
Je n'y suis pas opposé, certes, mais
imposer cette mesure uniquement aux jeunes conducteurs, ça me paraît
stupide. C'est tout le monde ou personne. Inutile de créer des
injustices, des discriminations et des a priori débiles : on en
déplore déjà bien assez sans cela.
Et d'autre part, comme je l'écrivais
ci-dessus, on ne nous dit pas si les conducteurs – jeunes ou moins
jeunes – qui occasionnent des accidents de la route et sont
contrôlés positifs à l'alcool présentaient un taux de 0,6 g/l
seulement ou bien davantage.
Avec mon pragmatisme usuel, je me dis
que ceux qui roulent bourrés s'embarrassent finalement très peu du
taux minimal ; et que 0,2 ou 0,5 g/l, qu'on soit jeune ou
vieux, ça ne va rien changer du tout. Simplement, la « tolérance
zéro » risque de changer une seule chose : obliger ceux
qui boivent vraiment très peu (un seul verre de vin ou de bière en
mangeant, par exemple) à s'en priver lorsqu'ils savent qu'ils
devront ensuite prendre le volant. Or, ce ne sont pas ceux-là qui
provoquent les accidents. Pas plus que d'autres qui carburent aux
boissons énergisantes, par exemple, ou même aux jus de fruits.
Alors, madame Galant, votre « tolérance
zéro », appliquez-la à tout le monde ou à personne ; et
dites-vous bien qu'elle ne changera rien du tout ; mais que ce
qui serait bien plus efficace, c'est d'intensifier les contrôles en
maintenant le seuil là où il est déjà fixé depuis longtemps :
à 0,5 g/l.
Mais évidemment, en ne changeant rien,
vous ne « marqueriez pas votre ministère », que vous
avez jusqu'à présent plutôt marqué par des maladresses et divers
dérapages qui nous feraient plutôt rire s'ils n'étaient pas aussi
navrants.
Le mieux, bien entendu, serait de
redorer votre blason à l'aide d'une initiative vraiment
intelligente ; mais je crains que ce soit là un objectif bien
ambitieux.
"Ceux qui roulent bourrés s'embarrassent finalement très peu du taux minimal ; et que 0,2 ou 0,5 g/l, qu'on soit jeune ou vieux, ça ne va rien changer du tout. Simplement, la « tolérance zéro » risque de changer une seule chose : obliger ceux qui boivent vraiment très peu (un seul verre de vin ou de bière en mangeant, par exemple) à s'en priver lorsqu'ils savent qu'ils devront ensuite prendre le volant. Or, ce ne sont pas ceux-là qui provoquent les accidents."
RépondreSupprimerVoilà. Tout est dit. Bravo !