En cette période de fêtes, j'aimerais
bien faire montre d'optimisme, mais j'avoue que c'est compliqué. Et
quand on est comme moi plutôt enclin à suivre les actualités, à
se tenir informé et à rester curieux de tout, cela ne simplifie
guère les choses.
J'ai cette particularité, que
partagent bien entendu les gens de ma génération, d'être un de ces
hommes qui n'ont pas vu l'ours, mais qui ont longuement côtoyé et côtoient encore des hommes et femmes qui, eux, l'ont vu de près.
Ces hommes et femmes, ce sont mes parents et grands-parents, oncles,
tantes et leurs amis qui ont vécu assez longtemps pour pouvoir me
raconter directement les principaux faits majeurs ayant émaillé leur existence bien plus difficile
que la mienne.
Nombre de ceux-là, que j'ai fréquentés
mais tous disparus aujourd'hui, avaient survécu à deux conflits
majeurs et ne manquaient jamais de raconter les événements
dramatiques, les traumatismes qu'ils avaient subis et toutes les
douleurs, peines et privations qu'ils avaient endurées. La guerre,
c'est horrible. Et à chaque fois, lorsqu'elle est terminée, on
promet « plus jamais ça ! », les yeux rauques et la
voix embuée – ou plus logiquement le contraire.
Après la fin de la Première, seuls
les plus grands optimistes se sont évertués à croire, niant
l'évidence qui s'agitait devant leur nez, que cette Première serait
aussi la dernière. Les autres, qui pourtant avaient senti venir la Seconde, n'ont rien
fait ou rien pu faire pour l'empêcher d'éclater.
Les signes avant-coureurs étaient
pourtant bien là : frustrations et rancœurs
engendrées par un passé douloureux aux conclusions injustes et aux
sanctions insupportables pour ceux qui avaient fauté et tentaient
vainement de se reconstruire ; crise économique née par la
grâce de ceux qui font métier de s'enrichir en jouant avec l'argent
d'autrui ; peur et haine de l'Autre entretenues par d'habiles
tribuns n'ayant trouvé moyen d'arriver et de se maintenir au pouvoir
qu'en désignant des boucs émissaires seulement coupables d'être
venus d'ailleurs ou d'être un peu différents.
Grâce à ces excités agitant
l'épouvantail de la haine, nos parents et grands-parents ont subi la
Deuxième. L'horrible Seconde Guerre Mondiale. La dernière aussi,
déclamerait-on après qu'elle serait finie, le tout sur fond de
drapeaux, de gerbes mortuaires, de flambeaux et d'hymnes nationaux
entrecoupés de « plus jamais ça ». Car il ne fallait
pas oublier. Il fallait filmer, photographier, raconter.
Alors, moi qui n'ai pas vu l'ours mais
qui ai vécu avec des gens qui l'ont vu de près, je frémis
aujourd'hui en constatant que les fous sont à nouveau lâchés. Pas
seulement là où l'on se bat depuis de longues années ; mais
ailleurs, dans des pays en paix où la merde noire que l'on croyait,
que l'on espérait enfouie à jamais, est en train de refaire
surface.
Au début, on s'offusquait :
« Non, jamais avec l'extrême-ceci ou l'extrême-cela » ;
« Oui, de tels propos sont intolérables » ; « Non,
ce ne sont pas là les valeurs démocratiques que nous défendons
avec force ». Mais à présent, on s'indiffère. On cesse de
s'étonner, de protester, de punir. Les discours belliqueux, les
slogans faciles, la peur de la différence, le protectionnisme,
l'isolationnisme... on ne les conteste plus que du bout des lèvres
au lieu de les sanctionner. Mieux : on les banalise, on les
approuve un peu, on les soutient beaucoup ou l'on choisit lâchement
de se taire et de laisser dire avant de laisser faire. Car laisser
dire aujourd'hui, ce sera laisser faire demain.
Par la porte ou par la fenêtre, la
haine se hisse au pouvoir dans de nombreux pays, souvent aidée par
l'opportunisme de ceux qui préfèrent choisir le camp de la lâcheté,
toute honte bue, fraternisant et pactisant avec le diable au lieu de
s'en méfier ou de le renvoyer au fin fond des enfers. En quelque
sorte, les collabos sont déjà actifs avant la guerre.
C'est un message bien triste, bien
alarmiste que je poste sur mon blog en cette fin d'année. Ce ne sont
que des mots, mais je les ai écrits. Ce sont des phrases que je
pense et qui, peut-être, me seront un jour reprochées, même si
j'espère ardemment qu'un tel jour ne naîtra jamais.
Je souhaite au Monde entier une
heureuse et paisible année 2018, quitte à être entièrement
d'accord avec le pape François. Quant à vous, mes lecteurs, à vous
qui êtes aussi égaux que les autres sont égaux parmi les égaux,
je vous souhaite, par contre, une heureuse et paisible année 2018.
Mais voilà que je me rends compte que je n'ai jamais commenté cet excellent article !
RépondreSupprimerOui, l'histoire tourne hélas en rond, parcourant plusieurs cycles parfois très proches...
Quoi qu'il en soit, c'est vraiment rassurant de lire qu'il y a des gens qui savent entretenir l'histoire et tirer une attention en forme d'alarme.
Merci pour cet article !