On présente souvent la patience comme
une vertu, mais j'ai remarqué que, contrairement à d'autres, cette
vertu-là possède ce petit côté « à la carte » qui
peut laisser perplexe.
Quand, par exemple, quelqu'un m'envoie,
courroucé, un « t'as pas de patience » bien senti,
dois-je comprendre que j'étais planqué derrière la porte le jour
où l'on a distribué cette vertu-là ? Et lorsqu'une autre
personne me lance, admirative ou étonnée, un « comment t'as
la patience de faire ça ? », dois-je déboutonner illico
presto mon encolure de chemise ?
Il semblerait que la patience soit une
vertu à géométrie variable, soumise à un tas d'influences
positives autant que néfastes, un peu comme notre indice de masse
corporelle, l'état de notre compte en banque ou l'humeur matinale de
notre patron.
Parmi les phrases qu'on prononce de
temps à autre figure aussi celle-ci : « Je n'ai plus la
patience ». Ce qui laisse entendre sans équivoque qu'on a dû
la posséder un jour mais qu'elle s'en est allée pour des raisons
qu'on précisera peut-être dans la suite de la conversation, mais
qui seront généralement synonymes de lassitude, d'usure.
La patience, ça s'use. On en use et en
abuse, comme le dit si bien l'expression « il a abusé de ma
patience ». Et quand on abuse, ce n'est pas bon. L'abus de
sucreries mène à la prise de poids autrement plus aisément que
l'excès de masturbation à la surdité, par exemple.
Au fil des ans, on s'aperçoit donc
qu'on n'a plus la patience de faire certaines choses ou de supporter
certaines personnes, alors qu'auparavant ce n'était pas un problème.
Mais l'inverse existe aussi, l'impatience des enfants contrastant
parfois avec l'inébranlable sérénité des seniors.
C'est un peu comme si chaque domaine,
chaque situation, chaque personne que nous côtoyons bénéficiaient
de notre part d'un certain « capital patience », variable
d'une personne à l'autre mais qui possède en commun la propriété
de s'épuiser à mesure qu'on y fait appel. Certaines denrées, par exemple, sont placées depuis longtemps sur la liste noire des objets qui énervent.
Comment ne supportons-nous plus les
écarts de notre partenaire, les sautes d'humeur de nos collègues,
les caprices de nos enfants, la négligence de nos voisins ?
Comment tout cela peut-il conduire à la séparation, au licenciement
ou à la démission, à la brouille familiale et à un procès en
bonne et due forme ? Comment pouvons-nous en arriver là ? Et comment pouvons-nous encore tolérer des négligences comme celles-ci ?
Nous en arrivons là parce que notre
capital patience face à une personne ou à une situation s'est
progressivement épuisé.
Je ne sais pas pourquoi j'écris tout
ça au sujet de la patience, parce que ça n'est pas très important,
en fait.
J'espère en tout cas ne pas avoir
abusé de la vôtre.
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