Vous avez certainement lu ou entendu
cette récente annonce et peut-être remarqué qu'elle était
généralement assortie de termes comme « nouvelle tuile »
ou « nouveau coup dur pour le constructeur nippon ». Et
c'est vrai que rappeler des véhicules au garage en vue de remédier
à une possible défaillance, ça peut a priori être classé parmi
les points négatifs en terme d'image de marque.
Souvenez-vous, c'était en 2009 :
quelques accidents s'étaient produits impliquant des véhicules de
la marque et entraînant la mort de plusieurs personnes. Apparemment,
certains modèles avaient une fâcheuse tendance à accélérer tout
seuls, et Toyota avait dû rappeler quelque huit millions de
voitures. Monsieur Toyoda, grand patron de l'entreprise, avait même
présenté publiquement ses plus humbles excuses et fait procéder à
un dédommagement financier des familles des victimes des accidents.
Les faits s'étaient produits aux
États-Unis d'Amérique, cette grande nation très portée vers les
procès en tous genres en raison du mode de fonctionnement de son
système judiciaire qui permet aux avocats de calculer leurs
honoraires en pourcentage des sommes qu'ils se font forts de faire
obtenir par leurs clients ; et ce à une époque où leurs
constructeurs nationaux n'en menaient pas large et venaient de se
faire chiper la place de leaders mondiaux par... Toyota, justement.
Coup dur, donc, pour le numéro un de
l'époque, qui avait vu sa cote de popularité chuter assez
fortement... mais très provisoirement, en réalité. Oui, très
provisoirement.
Car depuis, les affaires ont repris,
plus florissantes que jamais, l'entreprise annonçant pour
l'exercice 2013 qui se clôturera très bientôt des bénéfices
en hausse de plus de cinquante pour cent. Alors, difficile d'encore
parler de coup dur, d'autant plus que le constructeur, bien qu'ayant
dédommagé les familles des victimes, a été « blanchi »
par les résultats des enquêtes et expertises menées à la suite de
ces accidents, tous dus à des erreurs de conduite plutôt qu'à des
défaillances mécaniques.
Et voici qu'en ce début d'année 2014,
Toyota doit à nouveau rappeler plusieurs millions de ses véhicules.
Nouvelle tuile, vraiment ?
Avant d'espérer voir Monsieur Toyoda
se faire seppuku pour tenter d'échapper à la honte et au déshonneur
qui le menacent, faisons le point de la situation, afin d'estimer si
elle est aussi grave qu'il y paraît de prime abord.
Le rappel concerne le modèle
« hybride » (essence-électricité) Prius, un
engin hi-tech devenu le symbole de la réussite commerciale de
ce type de motorisation et un des meilleurs porte-drapeau de la
marque dans les domaines écologique et économique.
Dans son communiqué, Toyota précise
que « dans le pire des cas, la voiture peut s'arrêter pendant
la conduite ». En cause, un possible problème de gestion du
système hybride. Rien de bien grave ni de dangereux, juste un
« bug » à corriger au moyen d'une mise à jour du
logiciel embarqué. D'ailleurs, aucun accident n'a été à ce jour
imputé à l'hypothétique défaillance.
Alors, vraiment utile, ce rappel ?
Et est-il nécessaire d'en faire tout un fromage ?
Il faut que je vous explique que ce
genre de rappel, pour coûteux qu'il soit à organiser, est devenu
monnaie courante chez les constructeurs automobiles. Avant, on
essayait d'étouffer l'affaire, de rester discret, mais aujourd'hui,
ce n'est plus possible : les télécommunications ne permettent
plus à ce genre d'incident de rester secret. Alors, plutôt que de
se perdre en tentatives d'explications a posteriori, autant prendre
les devants et annoncer publiquement le rappel des véhicules, tout
en précisant bien que c'est pour le bien des propriétaires et que
ça ne leur coûtera rien. Juste une petite visite de moins d'une
heure chez le concessionnaire, le temps de déposer la voiture, de
faire le tour du show-room, de discuter des nouveaux modèles avec le
vendeur – très sympathique au demeurant, et de se dire que la
marque, « c'est du sérieux ». Tant que c'est gratuit, il
n'y a pas de problème.
Mais pour le constructeur, quel
avantage y a-t-il à organiser cette coûteuse opération ?
Prenons l'exemple de Toyota avec sa
Prius. Outre le fait de remédier à cette peu probable
défaillance avant même qu'un véritable incident se produise
(rappelons qu'aucun n'a encore été rapporté), le réseau va voir
revenir au garage des milliers de voitures dans un laps de temps
relativement réduit. Une bonne occasion de brancher l'ordinateur sur
la prise adéquate pour mettre à jour le logiciel embarqué... mais
aussi pour recueillir un paquet d'informations de première main
qu'il serait difficile – et coûteux – de rassembler en envoyant,
par exemple, un questionnaire à compléter par chaque propriétaire,
avec des résultats sans doute peu significatifs. Qui donc prendrait
la peine de répondre ?
Le rappel, par contre, sera suivi
d'effets, on peut en être convaincus. Pourquoi les propriétaires
feraient-ils la sourde oreille ? Parce que ce n'est ni grave ni
dangereux ? Parce qu'ils s'en fichent ? Parce qu'ils n'ont
pas envie de se déranger ?
Ils iront parce que le constructeur
leur affirme qu'il est possible qu'ils restent en rade sur le bord de
la route, chose qui se produit toujours au mauvais moment. C'est
toujours un mauvais moment, quand on tombe en panne. Et
l'intervention est gratuite et prend peu de temps.
Tous les grands constructeurs l'ont
bien compris, et Toyota en tête : au décompte final, un rappel
comme celui-là de temps en temps ne nuit pas à l'image de marque.
Au contraire : c'est un gage de sérieux. Et l'assurance d'en
tirer bénéfice.
La prochaine fois que vous lirez un
titre où l'on parle de « coup dur » parce qu'un
constructeur rappelle des véhicules, prenez l'info avec les réserves
d'usage. Tant qu'il n'y a pas mort d'Homme, c'est vraisemblablement une manœuvre commerciale mûrement réfléchie.
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