Cette idée m'est venue une nouvelle
fois en tête tout récemment, en découvrant les nouveaux appareils
qu'on venait d'installer dans les toilettes de l'entreprise où
j'exerce mes... heu... mes talents : l'obsession de la propreté.
Nous avons un comité chargé de
veiller à la sécurité, à l'hygiène et au bien-être sur le lieu
de travail, comme c'est obligatoire dans toute boîte qui emploie un
certain nombre de personnes. Alors, ces gens qui se réunissent tous
les mois doivent bien meubler le temps qui leur est imparti. Dormir
ou multiplier les pauses-café, ça ne se fait pas.
Outre donc d'amener sur le tapis des
sujets de discussion bêtes à pleurer ou qui n'intéressent que deux
quidams sur cent, les participants se penchent régulièrement sur
les questions de sécurité et d'hygiène.
Les fournisseurs de produits
d'entretien et d'appareillages divers sont évidemment au courant de
ces pratiques, ce qui a pour effet de faire parvenir à qui de droit
– généralement au responsable en chef de la sécurité ou à l'un
de ses sbires – toute une flopée de dépliants publicitaires et
d'offres les plus délirantes qui soient en matière d'hygiène.
Offres d'autant plus délirantes que les vérités d'hier se heurtent
à des contre-vérités d'aujourd'hui et à d'incessantes
supputations quant à l'option qui « aura la cote » en
matière de lutte contre ces fichues bactéries qui, paraît-il, nous
empoisonnent l'existence.
J'ai connu les bandes de tissu cousues
en boucle, pour l'essuyage des mains, ces serviettes rapidement
humides puis détrempées bien avant la fin de la journée, sauf dans
les rares cas où l'entreprise disposait de davantage de locaux
sanitaires que de personnel, ce qui laissait présager une très
mauvaise santé financière et un proche dépôt de bilan.
Ces essuie-mains en boucle, ce n'était
pas propre. Pas hygiénique du tout. Un nid à bactéries, tout comme
ces boules de savon fixées au-dessus de chaque lavabo !
Nous sommes donc passés aux
essuie-mains à enrouleur, où il suffisait de tirer une bande de
tissu propre, ce qui faisait rentrer dans un second compartiment de
la boîte la partie déjà souillée. C'était pas mal, mais bien
souvent la réserve d'étoffe sèche était épuisée avant la fin de
la journée, ce qui obligeait le personnel à utiliser la même
dernière portion de rouleau détrempée. Pas bien !
Les sèche-mains à air chaud qu'on a
essayés par la suite possédaient le triple inconvénient d'être
bruyants, voraces en électricité et tout aussi inefficaces –
paraît-il – en ce qui concerne la lutte contre la prolifération
bactérienne. Des trucs du genre à envoyer les microbes dans l'air
pour que tout le monde les inhale bien.
Les serviettes en papier, enfilées en
zigzag dans un distributeur, ont alors fait leur apparition, ce qui a
permis de copieusement remplir les poubelles en très peu de temps,
certains ne lésinant pas sur le nombre de serviettes arrachées au
paquet pour un simple séchage de mains. Ajoutons que ces morceaux de
papier semblent avoir pour habitude de rester vilainement coincés
quand ils sont trop serrés dans un distributeur plein et, à
l'inverse, de tomber par paquet lorsque la réserve s'approche de
l'épuisement. Et on nous répète que ce n'est pas écologique.
Un représentant rencontré récemment
nous proposait un nouvel appareil électrique à air pulsé
aseptisé et tueur de microbes, économe en diable puisque capable de
sécher en quelques secondes la paire de paluches la plus
récalcitrante. Le top du top. Plus de déchets, consommation réduite
d'électricité et filtres hygiéniques (renouvelés régulièrement
via un contrat d'entretien) garantissant l’innocuité du système.
En somme, la contre-vérité
d'aujourd'hui quand on songe à ce qu'on pensait hier des souffleries
à air chaud.
Fermons la parenthèse et revenons donc
à ce que j'ai récemment découvert dans les toilettes de
l'entreprise. Quand j'écris « dans les toilettes »,
lisez « dans les chiottes ». Enfin, non, ne lisez pas
dans les chiottes, c'est déconseillé pour des raisons de santé sur
lesquelles je ne m'étendrai pas, d'autant plus que je n'écris pas
dans les chiottes non plus. Pas même sur les murs.
Dans chaque WC, donc, on a planté au
mur un distributeur du type « pshit-pshit » orné de
petits dessins qui indiquent qu'il faut tenir un peu de PQ en dessous
de l'appareil pendant que, de l'autre main, on actionne le poussoir.
Se retrouve sur le papier une solution apparemment bactéricide –
ben oui, toujours la lutte contre ces sales bestioles – destinée à
être étalée sur la lunette avant de s'y asseoir. Si on veut bien.
Personne ne va vérifier qu'on l'a fait.
À mon avis, ça va foutrement faire
grimper la consommation de PQ ! Et puis, ça doit coûter
quelque chose, ces trucs-là. Et aussi le produit qu'on met dedans
(on n'a pas dit qui se chargerait d'en rajouter au besoin, mais je
suppose que ça va encore tomber sur la carafe du brave type ou de la
brave dame qui nettoie nos crasses chaque soir en semaine aux heures
où on prend notre repas en famille).
En attendant, à côté de l'appareil,
on peut encore trouver un distributeur de lunettes en papier. Encore
des trucs hygiéniques pour protéger nos fesses des vilains
microbes !
Quand j'étais gamin, on me disait que
je devais faire ma toilette tous les jours, me brosser les dents et
me laver les mains avant de passer à table. Et chez les scouts, en
plus de ça, on disait la prière. Il est vrai qu'il valait mieux,
compte tenu de ce qui nous était parfois servi...
Aujourd'hui, il y a une obsession de
l'hygiène. Tout doit être propre. Surtout la bouffe.
Quand vous allez dans un fast-food
bouffer des hamburgers et des frites avec des sodas géants, tout est
propre. Surtout en cuisine. C'est sévèrement contrôlé par les
services d'hygiène qu'on désigne par des sigles barbares,
différents d'un pays à l'autre, mais qui ont toujours la même
raison d'exister : le contrôle de ce que vous mettez (ou de ce
qu'on vous met) dans l'assiette ou dans le sac en papier. Il faut que
ce soit propre. La santé du bon peuple en dépend.
Les aliments qu'on achète, c'est
pareil : dates de péremption, chaîne du froid à respecter et
étiquetage précis. D'ailleurs, il suffit de lire les étiquettes :
la composition des aliments est si complexe qu'elle est impossible à
retenir. On y met un tas de produits aux noms barbares destinés à
veiller sur notre bonne santé, à prévenir ou ralentir la
prolifération des vilaines bactéries et, très accessoirement, à
augmenter les marges bénéficiaires.
Parce qu'aujourd'hui, vous l'aurez
sûrement déjà remarqué, outre l'obsession de l'hygiène
sanitaire, on entretient celle de l'hygiène alimentaire. Mangeons
propre !
Bien sûr, on nous fait manger de la
crasse, mais du moment que c'est de la crasse propre, on ne va pas
s'arrêter sur un détail aussi futile.
ma fille devait alors avoir 7 ou 8 ans, son frère 2 ou 3; elle donne de l'eau à boire à son frère dans un verre sale, très sale même; lorsque sa mère lui fait remarquer que le verre est pour le moins douteux, elle a cette réponse, du tac au tac: "le verre est sale, mais l'eau est propre". Comme on dit: circulez, ya rien à voir!
RépondreSupprimerExcellent !
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