Susciter l'admiration et recevoir des
compliments sont des choses agréables, mais souvent embarrassantes
quand on ne cultive pas l'art de « se la péter ». La
tendance est alors de minimiser l'importance de l'acte accompli, même
si cette attitude est dictée autant par l'hypocrisie que par la
modestie.
À un collègue qui me félicitait
d'emprunter de temps à autre ma bicyclette plutôt que ma voiture
pour me rendre au boulot ; et ajoutait qu'il serait bien
incapable d'en faire autant, j'avais répondu que « c'est une
question d'habitude ».
« N'empêche ! avait-il
insisté. Je n'aurais pas ce courage. »
En y réfléchissant un peu, je me suis
dit que « non, décidément, ce n'est pas du courage ».
Pas dans mon cas. Si je faisais ça tous les jours, même quand il
fait froid, même quand il pleut, même quand le vent devient
méchant... ce serait réellement du courage. Mais comme je ne me
hasarde sur ce trajet à vélo que lorsque je pressens que les
conditions météorologiques ne transformeront pas l'exercice en
séance de torture, je préfère éviter d'évoquer le courage.
— Ce n'est pas du courage, qu'il
faut. C'est de la patience, ai-je affirmé.
— De la patience ? s'est étonné
mon collègue.
— Parfaitement. Parce qu'à vélo, tu
vas moins vite qu'en voiture et que ce qu'il te faut, ce n'est pas le
courage de faire le trajet, mais la patience de le faire au rythme
qui te convient.
— Ouais, ouais. Je vais quand même
pas partir la veille, hein ! Parce que trente bornes...
Trente bornes, ce n'est pas rien, mais
nul besoin de rouler toute une nuit pour arriver à l'heure le matin
au boulot.
Évidemment, quand on n'a jamais
enfourché sa bicyclette que pour aller chercher le pain à quelques
centaines de mètres ou faire une petite balade en famille le
dimanche après-midi, trente bornes, c'est presque le bout du Monde.
— C'est sûr, ai-je expliqué à mon
collègue, que tu ne vas pas rouler trente kilomètres le matin,
faire ta journée de boulot, puis te taper la même distance au
retour sans un minimum de préparation. Avant d'envisager ça, il
faut d'abord voir plus petit. C'est pour ça qu'il faut de la
patience.
À bicyclette, tout est question de
patience. S'il suffisait de courage, je connais des gens qui
rouleraient plus et mieux que moi. Chérie, par exemple, est une
femme courageuse, travailleuse, dure à la tâche. Mais la patience
n'est pas sa vertu première lorsqu'il s'agit de se déplacer ;
que ce soit en voiture, à vélo ou à pied. Pour Chérie, un
déplacement, c'est du temps perdu. Elle préfère rester une
demi-heure de plus dans son lit et utiliser le moyen de transport le
plus rapide. Le vélo, ça ne l'intéresse que pour la petite balade
en famille.
Tant qu'on reste dans le domaine du
raisonnable, on peut utiliser la comparaison entre l'engin motorisé
(voiture, moto, transports en commun) et l'usage de ses propres
guibolles (marche, vélo) : la majorité des gens bien portants
opteront pour le moyen le plus rapide ou le plus économique avant de
se poser la question de l'opportunité de se fatiguer un peu.
Un exemple ? Si vingt minutes de
marche suffisent là où quarante de voiture et la recherche d'un
emplacement de stationnement mettent les nerfs à vif, seuls les
indécrottables paresseux choisiront la voiture lorsqu'il fait beau.
Quand une option est plus rapide qu'une
autre, même si elle est moins confortable, nous opterons
généralement pour celle-là. La plupart des gens qui voyagent en
avion détestent cela, mais c'est si rapide... L'autoroute n'a aucun
charme, elle est souvent payante, mais généralement plus rapide que
les routes ordinaires...
Évidemment, quand le moyen le plus
rapide est aussi le plus fatigant, il faut se motiver un peu pour
franchir le pas ! Imaginons alors ce qui se passe quand le moyen
le plus fatigant n'est pas le plus rapide mais seulement le plus
économique, écologique, favorable à la santé...
Donc, à la patience, il faut ajouter
la motivation. Mais la motivation, il la faut pour beaucoup de
choses, sinon nous serions tous réfractaires à l'effort, aussi
modeste soit-il. À partir du moment où on se motive, où on décide
de se mettre au vélo, la patience est la qualité qui s'impose. Il
faut s'accorder du temps. Le temps de s'habiller confortablement pour
la pratique du vélo, le temps de vérifier avant de partir que le
matériel est en bon état (pneus, freins...), le temps de
s'échauffer avant de tenter un effort violent, le temps de rouler à
un rythme qu'on peut soutenir sans souffler comme un phoque.
— Suppose, dis-je à mon collègue,
une boucle de cinq kilomètres à parcourir comprenant une partie
plate, une petite bosse, une seconde partie plate, une côte, une
descente et retour sur le plat au point de départ. Ce n'est pas
long. Le soir en rentrant, tu prends ton vélo et tu fais le tour.
Tranquille. Sans forcer. Si tu es essoufflé en arrivant au-dessus de
la petite bosse, prends le temps de récupérer. Tu t'arrêtes s'il
le faut. La côte, plus loin, si tu la termines à pied en poussant
ton vélo, ce n'est pas grave. Tu profiteras ensuite de la descente
avant de revenir au point de départ. L'important, c'est de faire la
boucle en entier. Même si ça te prend trente minutes.
— Et si ça me prend une heure ?
— Une heure, c'est comme si tu
faisais tout à pied. Mais peu importe ! Dès que possible, un
autre jour, tu fais le même trajet à vélo. Sans forcer. Si tu as
la patience de faire le tour le plus souvent possible, toujours à
ton rythme, tu constateras que tu progresses : plus d'arrêt en
haut de la petite bosse, la côte sans mettre pied à terre... et
soudain l'envie de tenter une seconde boucle ou un parcours un peu
plus long. Parce qu'une fois qu'on s'est lancé et qu'on progresse,
la motivation s'entretient plus aisément. L'important, c'est de
rester patient.
— Ce sera difficile.
— La patience, ça ne coûte rien.
C'est juste psychologique. Ne pas forcer dans les côtes, car elles
sont toujours plus longues qu'il n'y paraît. On a souvent
l'impression de s'être hissé en haut, mais parfois, juste après,
ça monte encore légèrement. Il faut la patience de gérer
l'effort, de ne pas rouler trop vite avant d'être sûr d'arriver au
bout du parcours. C'est en vue de l'arrivée qu'on peut « se
lâcher » et donner tout ce qu'il nous reste.
— Ouais, mais ce n'est pas avec ma
boucle de cinq kilomètres, même si je réussis à la faire deux ou
trois fois, que je vais pouvoir me taper deux fois trente bornes
comme tu le fais !
— C'est sûr. Mais personne ne te
suggère de rouler trente bornes. Pas dans l'immédiat. D'ailleurs,
moi-même, la première fois que j'ai tenté le coup (un essai, un
dimanche), j'ai fait demi-tour à mi-chemin ! Je pensais que je
n'y parviendrais pas, mais c'est venu. Quelques semaines plus tard,
après avoir progressivement allongé mes petites boucles près de
chez moi.
— Ouais... Mais quand même !
— Et toi, c'est pas trente
kilomètres, non ? Une quinzaine, à tout casser. Alors,
qu'est-ce que t'attends ?
— Heu... en bagnole, c'est quinze à
vingt minutes seulement ! À vélo, je mettrais une heure, au
minimum.
— Ah ! Tu vois que c'est la
patience, qui te manque le plus !
Oui.
RépondreSupprimerMoi, j'ai un gros problème : je transpire énormément, et vite. Quand je fais un footing de quarante minutes, je transpire pendant encore vingt ou trente minutes après. Quand je fais du vélo, même seulement vingt bornes, je suis complètement en nage derrière. Y compris si je roule tout cool. C'est super chiant, par exemple pour ce qui est d'aller bosser un peu loin en vélo ; il faut prévoir de quoi se doucher, un change dans un sac imperméable (parce qu'un sac à dos normal, il est aussi trempé que moi au bout d'une heure), et pas mal de temps pour cesser de suer.
En revanche, ça ne m'arrête pas au niveau loisirs. Que ce soit la course ou le vélo ou d'autres sports (ou trucs divers, d'ailleurs, bricolage par exemple...) ; je m'en fous, je prends deux voire trois douches par jour s'il le faut.
Mais faut avouer que ça limite quand même un peu.
Et alors ? Tu roules à quelle moyenne sur un trajet type boulot de trente bornes ?
Oui, la transpi, c'est un problème pas facile à gérer, surtout quand on ne dispose pas de facilités pour se laver et se changer en arrivant au taf. En ce qui me concerne :
Supprimer- Je transpire assez peu si je ne produis pas de gros effort. Heureusement pour moi, mon parcours aller est plus facile que le retour et se fait le matin à la fraîche. Je roule tranquille et j'arrive en bon état.
- Le trajet de retour est beaucoup plus difficile et je ménage moins mes efforts. Je rentre donc souvent chez moi en sueur, et ça dure encore au moins trente minutes au cours desquelles je continue de suer et de boire beaucoup (mélange 1/3 jus fruit, 2/3 eau), avant de passer à la douche.
- Mes moyennes sont à peu près identiques dans les deux sens (22 à 25 km/h), mais l'effort est évidemment différent pour les tenir.
Parce que du coup ça descend davantage dans un des deux sens, c'est ça ?
SupprimerToutafé.
SupprimerAvec en surplus des vents dominants défavorables dans le sens le plus difficile.