Lorsque j'entends parler du septième
art ou que quelqu'un me suggère de me rendre dans une salle de
cinéma, je ne peux dissimuler mon manque d'enthousiasme.
— On n'irait pas au cinéma ?
— Voir quel film ?
— Heu...
Car il y a un peu de ça aussi.
Certaines personnes se rendent au complexe cinématographique sans
avoir choisi le film qu'elles verront. Ces personnes fréquentent
souvent les salles obscures ; pour elles, le plus important est
de s'y rendre, d'y retrouver quelques connaissances et de passer en
leur compagnie deux heures de détente. Le choix du programme n'est
pas sans importance, mais il semble secondaire.
Pour ce qui me concerne, c'est plutôt
l'inverse : l'important est justement d'aller voir le film que
j'ai envie de voir. Et si aucun film ne me tente, je n'y vais pas. Et
attention : je ne consulte pas les programmes en me disant que
« j'irais bien au cinoche aujourd'hui, s'il y a un bon film ».
Plus simplement, je ne m'imposerai le déplacement vers la salle de
projection que s'il se joue un film que j'ai vraiment envie de voir
tout de suite, sans attendre sa sortie en DVD.
Je ne sais pas comment ça se passe
chez vous ; mais près de chez moi, une salle de cinéma, ça
s'apparente malheureusement à une porcherie. Pas étonnant dès lors
que je n'aie qu'exceptionnellement envie de la fréquenter.
Que les gens y viennent pour manger,
voire s'empiffrer, c'est déjà quelque chose qui me dépasse.
Comment peut-on bouffer autant ? Comment peut-on être affamé à
quatorze heures, à seize heures ? Est-ce l'instant du dessert
après le repas de midi ? L'heure de l'apéro avant celui du
soir ?
C'est incroyable, ce que ces gens
paraissent affamés ! En entrant, déjà ! Avant même
d'avoir choisi leur fauteuil, les cinéphiles ont fait le détour (ce
n'est pas loin) par le comptoir des denrées goinfrimentaires, d'où
ils rapportent qui un seau de pop-corn, qui un sac géant de pommes
chips, qui une monstrueuse crème glacée, qui un colossal paquet de
friandises... sans oublier l'indispensable boisson – un soda servi
dans un récipient gargantuesque – pour que tout « descende
bien ». C'est dingue ! Parce que moi, quand j'ai faim, je
vais au restaurant ou je rentre chez moi me préparer un bon repas.
Je ne vais pas dans un cinéma.
Ces gens, ils bouffent. Avant le début
du film et pendant le film. Et à l’entracte, s'il y en a un, ils
mangent encore ou ils vont vite faire un petit tour aux toilettes
pour vidanger avant de repasser par le comptoir faire leurs
provisions pour tenir le coup pendant la seconde partie de la
projection. Ils bouffent et ils boivent, parce que l'un ne va pas
sans l'autre.
J'ai l'impression que, pour eux,
visionner un film donne de l'appétit. Les émotions, peut-être ?
On dit d'elles que ça creuse façon fringale de sportif en plein
effort.
S'ils ont envie de bâfrer, si ça leur
plaît de claquer leur fric pour des monceaux de friandises et de
trucs gras accompagnés de litres de boissons industrielles
hypersucrées, qui suis-je pour les critiquer ? Je ne les
critique pas. Je constate. Je m'interroge.
Certes, les voir bâfrer et respirer
l'odeur de toute leur bouftance aurait un peu tendance à m’écœurer,
mais lorsque s'éteignent les lumières, le cinéma reprend ses
droits : on oublie le voisin qui plonge répétitivement la main
dans le sac de chips, la voisine qui grignote ses pop-corn, le môme
qui suçote ses bombons. C'est à peine si l'on entend les bruits de
mastication, les froissements d'emballages plastiques. Non qu'ils
soient discrets, mais le volume sonore qui sort des haut-parleurs
stratégiquement disposés autour des spectateurs est si important
qu'il couvre le moindre claquement de mandibules, le moindre rot
satisfait.
C'est pour ça, peut-être, que le son
est réglé si fort dans un cinoche ?
Non, ce qui me dérange, ce n'est pas
qu'on mange dans une salle de cinéma, mais qu'on y mange salement.
Des trucs tombent, personne ne les ramasse – surtout dans
l'obscurité – et on s'assoit ou on marche dessus. Du soda se
renverse, des mains poissées se posent sur les sièges, les
accoudoirs...
La salle de cinoche, aujourd'hui, c'est
sale et ça pue. Une porcherie. Encore que le porc soit,
contrairement à ce qu'on peut communément penser, un animal
relativement propre.
En tout cas, lui, il ne met pas de la
bouffe partout. Et il n'a pas besoin qu'on lui projette un film pour
éprouver une soudaine et irrépressible envie de manger.
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