Parfois, il m'arrive de songer qu'il
faut être un peu masochiste, un peu sadique, un peu casse-cou, très
optimiste ou rabat-joie pour choisir d'exercer certains métiers.
C'est vrai que, parfois, on ne choisit pas vraiment : les
circonstances, les vieilles habitudes familiales, le manque de
diplôme ou tout un tas d'autres raisons peuvent faire que le job qui
nous occupe n'a rien d'une passion, mais ce n'est pas ce qui
s'applique à tout le monde.
Disons que certains métiers lourds,
pénibles, mal payés... on s'y lance faute de mieux ; alors
que, tout compte fait, croque-mort, gastroentérologue, pilote de
chasse, coureur automobile, artiste-peintre, dentiste... ont plutôt
l'apparence de choix personnels que l'on aurait pu éviter si l'envie
nous en avait pris.
Dentiste, précisément. Voilà un
métier bizarre. Peu de personnes aiment aller chez le dentiste –
ou alors juste pour lui dire bonjour s'il est sympa. Même les
masochistes hésiteraient, surtout si le dentiste, par sadisme,
refusait de les faire souffrir.
Moi, je songe qu'il faut être un peu
sadique pour pratiquer ce genre de job. Charcuter le patient qui se
tient là, mandibules écartées sans pouvoir articuler un mot
convenable, ce patient assailli par la fraise qui, en action, lui donne
l'impression qu'on lui attaque les crocs à la mèche de douze au
carbure de tungstène, ça doit procurer au praticien des sortes de petites joies
sadiques.
Et, vous l'avez certainement remarqué :
bien qu'il vous torture avec application, le bougre ne prend pas de
risques. En aucune façon il ne glissera le doigt à portée de vos
incisives. Ses instruments sont métalliques, du genre costaud
inoxydable, et le tuyau de plastique qui aspire bruyamment votre bave
n'a pas grand-chose à craindre lui non plus.
Il y a quelques jours à peine, je me
rendais chez ma dentiste pour la visite annuelle de contrôle,
détartrage à la clé. Elle a beau être très sympathique, ma
dentiste, j'aimerais mieux m'installer dans son fauteuil pour prendre
l'apéro et tailler une bavette avec elle que pour me faire pilonner
les maxillaires. D'ailleurs, en guise d'apéro, elle m'offre juste de
l'eau – et encore, je la paie avec le reste des soins ! –
pour me rincer la cavité buccale. Rien à voir avec un quelconque
breuvage destiné à me rincer la dalle.
C'est pourtant vrai qu'elle est
sympathique, ma dentiste, mais elle possède ce petit humour sadique
qui consiste à me lancer un « si je vous fais mal, vous le
dites ! » auquel je ne puis répondre que par des
« hon-hon » gutturaux accompagnés de borborygmes et de
tentatives maladroites de déglutition.
« Là, je vous ai fait mal ! »,
glisse-t-elle parfois lorsque mon attitude se fait soudain moins
docile que souhaité. « Ghrreeeuuu... », réponds-je en
obligeant mes mains à rester bien en place et en réprimant une
brusque envie de filer.
« Ça va ? »
s'inquiète-t-elle ensuite tandis que je me rince la bouche et
abreuve le crachoir. « Oui, ça va », dis-je pour la
rassurer contrarier, « mais ce n'est pas drôle, hein ! ».
« Qui vous a dit que ce serait
drôle ? » répond-elle tranquillement tandis que ses yeux
pétillent de malice.
Elle est franchement sympa, mais je
suis franchement content de n'aller la voir qu'une fois par an. Une
fois par an parce que j'ai de bonnes dents. Alors, ça suffit.
Mais tout le monde n'a pas cette
chance. En lisant, sur ce blog, les mésaventures des gencives d'une
consœur scribouillarde, je me dis que j'ai quand même de la chance
de ne subir aucun problème sérieux de ce côté-là. Plutôt que
d'un bon dentiste, il vaut mieux bénéficier de bonnes dents.
Et puis, on ne sait jamais. Comme Boris
Vian, plutôt que sur une charmante dentiste, on peut tomber sur le
plombier.
Ah là là !
RépondreSupprimerOn a tous le même genre, on dirait.
Mais je peux proposer à Bazouk de s'occuper de tes dents, si tu veux...
Non, merci. Pas lui. Même s'il est plutôt sympa.
SupprimerComme je suis dentiste, et oui, mais aussi écrivain, à mes heures perdues, et également journaliste, et pourquoi pas hypnothérapeute... votre prose me confirme que nous avons encore beaucoup de travail à faire pour changer ces clichés, et cette image désastreuse tant elle prive de bons soins préventifs un bon nombre de nos concitoyens. Vous n'avez pas tout à fait l'humour de Henry Salvador, dommage, mais moi qui ai la blouse du dentiste, je peux vous dire que non seulement les dentistes sont loin d'être sadiques, mais que bien au contraire, ils vous épargnent des maux de dents terribles ! Mais vous n'avez que des mots pour vous défendre, vous ne pouvez pas comprendre ! Amicalement quand même...
RépondreSupprimerDentiste, écrivain, journaliste... Qui que vous soyez à estimer - à juste titre sans doute - que mon humour n'égale pas celui d'Henri Salvador (en réalité, celui de Boris Vian, auteur du fameux "Blues du dentiste"), je peux vous rétorquer que votre sens de l'humour est encore plus limité que le mien, pour n'avoir pas perçu le second degré instillé tout au long de mon petit article (comme dans nombre d'autres bafouilles publiées sur mon blog, d'ailleurs).
SupprimerJe n'ai rien contre les dentistes. Je leur confie sans délai mes soins dentaires en cas de problème, tout autant que le "contrôle annuel de routine" de mon équipement masticateur. Je ne trouve toutefois pas drôle d'être coincé la bouche ouverte dans un fauteuil, même si c'est pour mon bien, mais comme je suis d'un naturel optimiste, je préfère en rire.
Si vous estimez, de votre côté, qu'une visite chez le dentiste peut avoir quelque chose de particulièrement réjouissant, c'est votre droit. Vous prêchez pour votre chapelle, après tout !