Il y a des gens qui,
professionnellement parlant, sont pénibles. Ils ne travaillent
pourtant pas moins ou moins bien que d'autres, ils ne sont ni bêtes
ni méchants, ils ne vous veulent généralement aucun mal ;
mais, quoi qu'ils fassent dans le cadre de leur boulot, ils sont
souvent pénibles. Dans le privé, ils sont peut-être charmants –
je n'en sais rien étant donné que je ne les fréquente pas de ce
côté-là (c'est en tout cas déjà suffisamment pénible au bureau
pour que je m'abstienne de tenter l'expérience ailleurs, dans
d'autres circonstances).
Dans l'entreprise qui m'emploie, parmi
les gens qui me supportent et que je supporte tant bien que mal, il
en est que je qualifie comme ça : pénibles.
Des exemples ?
L'indispensable :
L'indispensable, c'est quelqu'un de
pénible. Dans une entreprise bien gérée, tout le monde doit être
utile, personne ne doit être indispensable. Dans le cas contraire,
on gaspille du pognon ou on met tous ses œufs dans le même panier,
ce qui est rarement positif à long terme.
Bien entendu, des indispensables, il en
est de toutes sortes.
La forme la plus respectable d'individu
indispensable, c'est souvent le patron d'une petite entreprise. Le
genre de personne « qui s'est faite toute seule » parce
qu'elle a commencé toute seule, parce qu'elle a bien mené sa
barque, parce que son business a grossi et qu'elle n'a pas pu se
résoudre à déléguer certaines tâches. La force de l'habitude :
le boss met la main à la pâte, c'est respectable, il en est presque
à montrer l'exemple ; mais il s'asphyxie, il asphyxie ses
quelques subalternes et il va finir pas asphyxier sa propre
entreprise. C'est pénible, mais c'est pardonnable.
Celui qui l'est moins, c'est celui qui
se débrouille pour se rendre indispensable. Lui, il est franchement
pénible. Il garde sournoisement secrets certains rouages, ne confie
de clés à personne, n'explique que du bout des lèvres ce qu'il
devrait exposer de long en large ; le tout de manière à
enquiquiner le plus grand nombre de personnes possible lorsqu'il est
absent. Sans lui, rien ne marche convenablement. Il faut qu'on lui
téléphone même quand il est en congé et, évidemment, il répond
aux appels. Et il lit ses courriels. Il intervient même quand on ne
lui demande rien.
Il prend d'ailleurs bien soin, avant
son départ, d'avertir pour combien de temps il sera absent ;
tout en précisant qu'on peut néanmoins le joindre en cas d'urgence
et qu'il ouvrira quand même de temps en temps sa messagerie. En
réalité, il ne la referme jamais. Il lit tous ses messages, lit
ceux qu'il a reçus en copie et ne se prive pas d'intervenir même
quand ce n'est pas lui que l'on questionne directement.
On trouve principalement ce genre de
personne pénible parmi les cadres d'entreprise, mais il existe
quelques salariés subalternes suffisamment sournois pour mettre au
point quelques basses stratégies destinées à faire regretter leur
absence : être le seul à pouvoir dépanner le photocopieur,
entretenir des classements obscurs qui empêchent les autres de
trouver des documents sur lesquels, eux, ils mettent la main en un
rien de temps, etc. C'est mesquin et c'est pénible.
Ces gens qui s'efforcent de se rendre
indispensables ont bien souvent un art très consommé de faire
sentir aux autres à quel point ils sont incompétents, puisqu'ils ne
peuvent se débrouiller sans eux. C'est ce qui les rend pénibles
parmi les pénibles : ils sont arrivistes, hypocrites,
manche-à-balle avec leurs supérieurs et sournoisement délateurs à
leurs heures. C'est parmi eux que se recrute également une grosse
partie des harceleurs moraux.
Un autre genre d'indispensable
particulièrement pénible, c'est celui qui voudrait bien être
indispensable ou qui s'imagine être indispensable, alors qu'on se
débrouille parfaitement sans lui. Son absence est même salutaire,
dans la plupart des cas.
Ce genre de personne, dès qu'on lui
confie un dossier, dès qu'elle a une recherche à faire, se mue en
enquiquineuse de première. C'est un truc super important qui va lui
permettre d'essayer de se rendre intéressante auprès de la
hiérarchie (et d'espérer obtenir de l'avancement) ; mais comme
elle est incapable de le gérer, elle va s'en aller pêcher de
petites informations près de l'un ou l'autre, formulant les
questions différemment en fonction des circonstances, et tenter de
constituer son dossier petit à petit en distribuant de menus mercis
aux collègues qui la renseignent, avec le secret espoir d'en obtenir
un grand auprès de ses supérieurs.
Ce genre de travailleur qui se croit ou
se veut indispensable ne génère auprès de ses collègues que des
soupirs de lassitude, des regards levés au ciel et des ricanements
sous cape. À sa pénibilité, il ajoute le ridicule.
Le pressé :
Il y a des gens comme ça : ils
ont besoin de quelque chose, alors c'est tout de suite qu'il le leur
faut. Ils ont en général très peu d'égard pour autrui,
n'imaginent même pas que l'on puisse refuser, toutes affaires
cessantes, de s'occuper de ce qu'ils demandent, alors qu'on devrait
être immédiatement disponible et à leur service.
Voici un exemple typique du
comportement du « pressé » :
« Drrrriiiiinng »
— Allo, ici Truc !
— Truc ? J'avais pourtant
fait le numéro de Machin ! Il est pas là, Machin ?
— Non, il est en congé toute la
semaine.
— Pffffff !
Le pressé veut quelque chose tout de
suite ; et pour cela il s'adresse à Machin. Machin n'est pas
là, il est en vacances. Au lieu de dire « Oh ! Il en a de
la chance ! », le pressé dit « Pffffff ! »,
comme si Machin n'avait pas le droit de prendre des congés.
Le pressé est pénible parce qu'il est
égoïste : son problème avant tout. Voilà. Les autres
considérations, ça ne pèse rien. Il fait son propre planning,
demande les choses dans l'ordre qui lui semble adéquat, mais comme à
l'égoïsme il ajoute souvent l'ignorance, il n'a pas tenu compte
d'éléments importants comme les délais de fabrication qui peuvent
être plus longs à certaines époques de l'année.
— Il me faut ça pour lundi
prochain !
— Tu rêves ! C'est pas de
stock.
— C'est pas vrai !
— Hélas ! Si. Délai de
production de quatre à six semaines.
— Et merde ! Comme j'vais faire,
moi ?
— Ça... C'est pourtant pas
d'aujourd'hui que tu sais que tu auras besoin de ces trucs-là !
Le pressé est pénible.
Le minimondiste :
Masculin ou féminin, le minimondiste
est un individu qui, dans toute réunion ou discussion, réduit toute
problématique aux frontières de son petit monde à lui : il a
un souci, ça le tracasse et, dans chaque débat, il parvient
toujours à remettre sur la table une question qui n'a d'importance
que pour lui. Par corollaire, les autres sujets, dès qu'ils
s'éloignent un peu de son petit domaine, ça ne le concerne pas. Ça
ne peut pas le concerner. C'est sans importance. Comme le pressé, le
minimondiste entretient une certaine forme d'égoïsme, mais il est
plus discret. Au lieu de jeter les bras au ciel et de rameuter la
populace quand les choses ne se passent pas comme il le souhaite, il
préfère bouder dans son coin jusqu'à ce que se présente une
occasion de reparler de son imprimante qui ne fonctionne plus très
bien.
L'imprévisible :
L'imprévisible est difficile à gérer.
Avec lui, on ne sait jamais. Déjà, on n'est jamais certain de le
voir arriver au boulot. En congé le lundi, il téléphone le mardi
pour indiquer qu'il sera absent un jour de plus.
L'imprévisible est pénible parce
qu'il est désorganisé. Difficile de planifier une réunion à
laquelle il doit participer, car il sera en retard ou absent. En
congé inopiné, il négligera d'annuler les rendez-vous de la
journée, mettant ses collègues dans l'embarras lorsque se
présentera le visiteur respectueux de son agenda.
L'imprévisible, même présent,
parvient encore à être absent. Il était là, puis il n'est plus
là. Non, il n'est pas aux toilettes ; non, il n'est pas dans le
bureau d'à côté ; non, il n'a pas dit où il se rendait...
Rien à faire : avec lui, on ne
sait jamais. Inutile de préciser qu'on ne peut pas compter sur lui,
sauf pour négliger ce qu'il fallait garder à l'œil.
L'imprévisible est généralement un
champion de la désorganisation : aucun sens du classement, très
peu de logique dans la manière d'aborder le travail, productivité
insuffisante et irrégulière...
Simplement, il n'est pas méchant. Il
serait même plutôt sympa, tout compte fait, et c'est pour ça que,
bien qu'il soit pénible, on ne lui souhaite pas de mal.
Le pas moi :
Le « pas moi », c'est un
pénible. Il prend peu de responsabilités, surtout en cas d'erreur :
ce n'est pas lui, tout simplement. Il n'était pas là ce jour-là.
Ce n'était pas son dossier. Il a juste fait ça pour dépanner, mais
il l'avait bien dit, que ce n'était pas de sa compétence ;
etc.
Le « pas moi » préfère ne
s'occuper de rien qui puisse le stresser ou l'astreindre à l'effort,
surtout s'il s'agit d'un effort intellectuel. Il préfère refiler la
patate chaude à quelqu'un d'autre, dès que ça se complique :
« Ce n'est pas pour moi, tu sais. C'est le patron, qui prend
ces décisions-là. »
Le « pas moi » ne ferait
même pas une bonne souris de laboratoire. Il vit trop longtemps.
Le gueulard :
Lui, il faut toujours qu'il gueule. Il
est incapable de garder son calme dès qu'il est contrarié. Et,
évidemment, en s'énervant comme il le fait fréquemment, il dit
trop de choses, parmi lesquelles pas mal de conneries dont il peine à
se souvenir mais que les autres mémorisent sans problème pour les
resservir à l'occasion d'une séance-défouloir pendant qu'il est
absent. Pendant qu'il est là, il vaut mieux s'en abstenir : le
gueulard n'a aucun humour. Sauf quand il a trop bu lors de la
réception de fin d'année. Là, il pense avoir de l'humour, mais il
est juste pénible. L'avantage, c'est qu'il croit que les autres
rigolent de ses feintes, alors qu'ils rigolent de lui.
Le malade :
Quelqu'un qui est malade, ce n'est
généralement pas de sa faute, même si parfois ça peut l'être. Ce
qui rend le malade pénible, c'est son tempérament de malade, sa
conversation de malade, ses problèmes de malade et ses congés de
maladie.
Quand c'est vous qui parlez de vos
maux, le malade vous écoute trente secondes, puis embraie sur les
siens. Ce qui l'intéresse, c'est de vous bassiner avec ses douleurs,
pas de compatir aux vôtres. Quand il prend de vos nouvelles pendant
deux minutes, c'est pour mieux vous assommer ensuite pendant une
heure avec les siennes.
Le malade, c'est ça qui le rend
pénible : sa conversation de malade. Finalement, quand il est
en congé de maladie, on est bien plus tranquilles.
Parfait ! C'est délectable !
RépondreSupprimerMême si c'est mal de rire de ça...
(Et puis en fait, j'imagine qu'on est tous dans l'une de ces catégories aux yeux de quelqu'un d'autre. Mais c'est drôle quand même.)
Bon... y a plus qu'à transposer ça à notre d'histoires favori. J'ai déjà trouvé Catherinette...
Ha, ha, ha !
SupprimerEt le robot Gougueule qui me demande de cocher les images montrant des tartes... ça finit ma soirée !
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