Autant
me paraissent nombreux les gens s’intéressant à la musique,
autant me semblent rares ceux d’entre eux qui s’inquiètent de la
manière dont elle est jouée. Ces gens écoutent la radio,
téléchargent des titres ou vont les acheter chez le disquaire,
s’échangent de la musique dématérialisée ou l’écoutent en
streaming ;
nombre vont aux concerts et autres festivals… mais peu se soucient
de qualité. Je ne parle pas ici du contenu des enregistrements, bien
qu’il y ait là matière à débat, mais de leur restitution. De
petits écouteurs branchés sur un smartphone ont l’avantage de la
compacité et de la portabilité, mais le réalisme sonore n’est
certainement pas leur priorité. Pourtant, des millions de gens
écoutent de la musique par ce biais.
Dans
notre grande naïveté, nous avons généralement tendance à ne
mesurer les idées et comportements d’autrui qu’à l’aune des
nôtres. Ainsi naissent des incompréhensions, confusions et autres
malentendus démontrant quotidiennement que ce qui paraît clair aux
uns peut s’avérer d’une grande opacité pour les autres.
Quand
Francis Cabrel chante, adaptant J.J. Cale, que « Madame n’aime
pas » ceci ou cela, il y ajoute quelques nuances de langage
précisant que ce que la dame en question n’aime pas échappe
également à son entendement. Il est tellement plus simple de
rejeter ou mépriser les choses qui nous échappent que de faire
l’effort de tenter de les comprendre voire de les aimer. Ce
principe peut s’appliquer à des aliments aussi bien qu’à des
œuvres d’art, à de la philosophie, aux religions… mais aussi à
des gens qui ne sont pas comme nous parce qu’ils ne parlent pas
comme nous, ne vivent pas comme nous et ne pensent pas comme nous.
Loin
de moi l’idée de créer un amalgame entre ce qui constitue le
fondement du racisme et de la xénophobie et de simples divergences
d’opinions quant aux petites choses de la vie rattachées à notre
confort occidental, même si le titre de cette bafouille pourrait le
donner à penser ; mon objectif étant simplement de dire que ne
pas aimer quelque chose, c’est souvent ne pas comprendre pourquoi
d’autres en pensent le contraire.
Lorsque
j’écris en titre que « Madame n’aime pas la stéréo »,
je fais aussi une sorte d’amalgame. Ce n’est pas qu’elle ne
l’aime pas. Elle ne s’en soucie pas, tout simplement. C’est
quelque chose qui l’indiffère. Chez nous, c’est comme ça :
Chérie aime bien la musique, mais sans plus. La chaîne stéréo,
elle s’en fout. À la limite, les différents boutons et
commutateurs, ça l’emmerde de devoir s’y retrouver. C’est
tellement plus simple d’allumer le combiné radio/CD de la cuisine
que de maîtriser les commandes d’un ampli intégré ! Et tout
ça pour quoi ? Pour entendre la musique un peu plus fort. Ou
même beaucoup plus fort, ce qui est quand même pratique quand on
fait le ménage ou qu’on essaie de couvrir le bruit de
l’aspirateur. Mais c’est tout. La chaîne hifi, pour Chérie,
c’est juste un truc compliqué à dompter, mais qui offre
l’avantage de pouvoir jouer fort de temps en temps.
Évidemment,
en ce qui me concerne, c’est différent. D’où quelques séances
de questions/réponses et de discussions qui, même s’il s’agit
de musique, tiennent bien souvent du dialogue de sourds.
Voici
donc ci-après quelques épineuses questions qui m’ont déjà été
posées (chacune plusieurs fois !) et auxquelles, les yeux au
ciel et un soupir de lassitude dans la voix, je préfère dorénavant
répondre par une forme de « tu ne peux pas comprendre,
Chérie » qui signifie en réalité : « Tu ne veux
pas comprendre, Chérie, alors à quoi cela sert-il que je te
l’explique une fois encore ? ».
—
Tu
as vraiment besoin de si gros haut-parleurs ?
Ils
ne sont pas gros. Les autres, avant, étaient plus gros (deux caisses
de 80 litres chacune). Ils étaient au sol, dans le salon. Un peu
trop bas, peut-être, car il aurait fallu les surélever d’une
vingtaine de centimètres, mais ça me convenait. Et puis, ils
fonctionnaient bien : des basses qui sonnaient comme des basses,
chose difficile à faire quand on manque de coffre, et des aigües
qui sonnaient comme des aigües. Sur l’insistance de Chérie, je
les ai donc remplacés par de plus petits. Chérie a néanmoins
trouvé à redire à cette concession :
—
Mais
ça coûte cher, tes nouveaux haut-parleurs !
Ben
oui. De bonnes enceintes, ce n’est pas gratuit. Je les ai prises en
solde, pourtant ; et s’il s’en trouvait quelques modèles
moins coûteux, il en existait surtout de beaucoup plus chers. Et pas
qu’un peu ! Et puis, ce n’est pas de ma faute. Moi, j’aurais
fait l’économie d’un nouvel achat, puisque les anciennes me
plaisaient bien !
—
Ils
sont quand même encore fort gros, tes haut-parleurs.
Ben
non. Deux caisses de 30 litres chacune. C’est
quand même beaucoup plus petit que précédemment !
—
Et
tu dois les surélever ? Tu peux pas les mettre par terre ?
Par
terre ? Comme si j’écoutais la musique avec les mollets !
Et puis, les vieux
haut-parleurs, ils étaient par terre, eux ! Si c’était pour
mettre les nouveaux à la même place, j’aurais conservé les
anciens ! Ceux-ci, ils sont petits, ils doivent donc être
surélevés. Et aussi installés hors de portée de la serpillière,
soit dit en passant.
—
Je
les aurais préférés plus petits encore.
Ben
tiens ! 10x15x20 cm, façon HP de computer, peut-être ? Et
mes basses ? On ne joue pas correctement les basses avec un cône
de 8 cm de diamètre ! Bien sûr, Chérie m’avait montré
des haut-parleurs, sur une pub de Lidl ou d’Aldi, je ne sais plus
très bien. 100 Watts, 29 euros la pièce, ou un truc comme ça. Ils
étaient même rechargeables et pouvaient fonctionner sans fil. J’ai
soupiré. Non, un HP Bluetooth pour Smartphone, ça ne convient pas
en sortie d’ampli d’une chaîne hifi.
—
Et
si tu le posais là, ça n’irait pas ? Et l’autre, en le
mettant là-haut ?
« Là »,
c’est au sol, derrière un fauteuil ; et « là-haut »,
c’est sur le dessus d’une armoire qui culmine à 50 cm du
plafond. Or, pas davantage que pour les chevilles ou les mollets, la
musique sortant d’une chaîne hifi n’est destinée aux dossiers
des fauteuils ou aux lustres et moulures d’angles.
—
On
pourrait les mettre dans l’armoire, en fait ; et quand tu
écoutes, tu ouvres les portes et…
Euh…
Des HP dans une armoire, ce n’est pas bon, mais vraiment pas bon
pour leur sonorité. L’armoire fait caisse de résonnance et, en
outre, à cinquante centimètres l’un de l’autre, il n’y aurait
plus d’image stéréo.
—
L’image
stéréo ?
Ben
oui, c’est à ça que ça sert, la stéréophonie : créer une
image sonore, placer les musiciens dans l’espace, comme s’ils
étaient sur une scène et non empaquetés au même endroit. Il faut
un peu de réalisme.
Elle
est gentille, Chérie, mais elle n’aime pas la stéréo. Ce n’est
pas que ça lui déplait, mais elle s’en fout. Elle aime bien la
musique, mais ce qui compte pour elle, c’est de l’entendre bien
davantage que de l’écouter. S’il y a de la musique pendant
qu’elle fait le ménage ou en sourdine pendant qu’elle lit, ça
lui suffit. La qualité de diffusion, ça ne la touche pas. Elle aime
mieux trimbaler une radio portable ou en disposer plusieurs à
quelques endroits stratégiques de la maison, que de brancher la
chaîne hifi. Tant que la réception n’est pas pourrie par des
parasites, tant qu’elle entend valablement le chanteur dont elle
fait jouer le CD, ça lui suffit. Les Watts de la chaîne stéréo,
c’est pratique seulement pour gueuler plus fort que l’aspirateur.
Oh !
bien sûr, de temps à autre, Chérie s’installe au salon et écoute
attentivement un enregistrement, pochette de disque à la main, comme
je le fais nettement plus souvent qu’elle. Mais la hifi, ce n’est
pas son truc. D’ailleurs, c’est rarement une chose prisée par
les femmes, la hifi. Les chaînes stéréo, c’est la plupart du
temps une affaire d’hommes. N’étant ni sociologue, ni
psychologue, je ne m’acharnerai pas à en chercher les raisons. Je
me contenterai du constat.
En
revanche, j’avoue que je n’ai jamais branché la télévision sur
la chaîne stéréo. Je pressens néanmoins que ça ferait son petit
effet et que Chérie trouverait l’expérience à son goût. Parce
que si Madame n’aime pas la stéréo, en revanche elle aime bien la
vidéo. Or, je n’ai pas envie de tenter de lui expliquer que non,
une chaîne hifi ça ne sert pas à faire hurler la télé quand il
s’y diffuse « The voice » et l’une ou l’autre de
ces émissions de téléréalité dont la musique sort grande
gagnante. Pour cet usage, les systèmes home-cinéma sont beaucoup
plus adaptés.
Si
un jour il vient à Chérie l’idée de s’équiper d’un
système 5.1 et que j'expose mes raisons de rechigner, elle se
dira peut-être que « Chéri n’aime pas la vidéo ».
Mais ce n’est pas que je ne l’aime pas. En réalité, je m’en
fous complètement. Du moment que je vois les images et que j'entends
ce qu'on dit...
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