Les banquiers qui, comme nous le savons
tous, sont les gardiens fidèles du petit épargnant et les
bienfaiteurs de nos régimes ultralibéraux, savent user de formules
tantôt pudiques, tantôt savantes lorsqu'il s'agit de nous en
convaincre.
Pas plus tard qu'il y a quelques
années, ils nous juraient, la main sur le cœur et alors que de
vilains requins politicards ou d'obscurs promoteurs immobiliers les
avaient roulés dans la farine, qu'ils souhaitaient veiller avant
tout à la sauvegarde de notre tranquillité financière et qu'il
n'était que logique que la collectivité se coupe en dix-huit (dans
le sens de l'épaisseur) pour les sortir de ce mauvais pas, eux qui
avaient tant fait pour notre bien-être.
C'est vrai qu'en y réfléchissant un
peu, nous devons admettre qu'ils nous ont, au cours des années,
bien amélioré le confort et la sécurité de nos existences. Ils
nous ont d'abord dispensés de transporter une ou deux fois par mois
l'enveloppe contenant la rétribution de nos efforts, en s'arrangeant
avec nos employeurs pour qu'ils nous la versent directement sur le
compte que nous avions été aimablement invités à ouvrir à cet
effet. Quelle sécurité !
En récompense, nous étions accueillis
par un guichetier souriant, tout prêt à nous rendre service et, par
petites quantités si nous avions omis de l'en avertir, nos espèces
durement gagnées.
Pour notre facilité et notre sécurité,
ils ont créé l'eurochèque ; qu'ils ont ensuite supprimé pour
notre sécurité et leur facilité – ou l'inverse, je ne suis pas
sûr d'avoir tout compris sur ce coup-là.
Ils ont également créé le paiement
par carte, les guichets pour le retrait automatique des billets et
même la banque-soi-même et la banque-en-ligne.
Au début, les retraits au guichet
étaient gratuits. Les virements (nous remplissions le formulaire et
ils se chargeaient de l'encodage et de l'exécution) aussi, tant
qu'on n'en faisait pas beaucoup. Et puis, pour plus de sécurité
(pour nous – un hold-up, c'est désagréable), ils ont supprimé
les retraits gratuits au guichet, réduit le nombre de virements
inclus dans les frais forfaitaires et viré les deux tiers de leurs
agences et les trois quarts de leurs employés. Grâce à ces
mesures, ils ont pu rogner les frais et nous offrir un meilleur
service. Normal : on fait tout nous-mêmes.
D'une grande modestie, les banquiers
ont réduit leurs taux d'intérêt. Je veux dire : quand ils
nous prêtent de l'argent qu'ils sont à peu près sûrs de pouvoir
récupérer soit directement lorsqu'on les rembourse, soit en se
remboursant eux-mêmes la mort dans l'âme au moyen de saisies.
Tout récemment, en allant chercher les
relevés de mon compte-épargne, je prends connaissance de cette
formule d'une extrême pudeur, imprimée sur un des feuillets
humblement tendus par l'automate de l'agence : « À partir
du 1er décembre 2013, le taux de base devient 0,50 % ; la
prime de fidélité devient 0,10 % ».
Vous aurez certainement relevé l'usage
du verbe « devenir », choix tactique approprié lorsqu'il
s'agit d'annoncer une baisse.
Je me souvenais bien qu'avant ça, les
taux étaient – eux aussi – d'une grande modestie, mais pas d'une
manière suffisamment précise pour pouvoir affirmer à coup sûr que
les nouveaux taux annoncés étaient plus ou moins généreux ;
mais la formule très courtoise utilisée pour me le signifier ne
permettait guère de doute. Vérification faite sur le ticket
informatif du quinze mai de cette même année, les valeurs
précédentes étaient fixées à 0,55 et 0,15 pour cent et annoncées
au moyen de la même tournure sibylline.
Étant donné la faible quantité
d'opérations effectuées sur mon compte-épargne (je n'ai pas les
moyens d'y verser fréquemment des sommes importantes, et encore
moins de les y laisser si je les y avais mises), le classement des
relevés est une tâche rapidement menée qui ne m'a jamais incité à
me débarrasser d'un historique qui tient, en dépit des années,
dans un petit classeur au format A5.
En remontant au 2 avril 2012, j'ai
trouvé un feuillet m'informant que le taux de base devenait 0,75 %
et que la prime de fidélité « restait » à 0,25 %.
Au 15 août 2009, le taux de base « restait » à 1,00 %
et la prime de fidélité « passait » à 0,25 % ;
mais il convient de signaler qu'au premier juillet, les chiffres
« restaient » à 1,00 % et « passaient »
déjà à 0,50 %.
L'objectif de ce petit exposé n'étant
pas d'assommer le peuple avec des chiffres, je vous épargne quelques
communications intermédiaires de la même eau, me contentant de
signaler que la « prime d'accroissement », petite
largesse supplémentaire, a été supprimée au 01/04/2009 alors
qu'elle était de 0,50 %.
En remontant en juillet 2008, j'ai
enfin trouvé un extrait de compte où mon banquier m'annonçait une
modification en termes suffisamment précis pour que je n'aie pas à
vérifier si la nouvelle était bonne ou mauvaise. Il utilisait les
mots « augmente » et « augmentations » pour
me signifier le passage du taux de base de 1,50 à 1,75 % et le
passage des primes de fidélité et d'accroissement de 0,50 à
0,75 %.
En réalité, le langage du banquier
est facile à comprendre : s'il ne dit pas que les conditions
deviennent plus favorables pour l'épargnant, c'est qu'elles ne le
sont pas.
En attendant, je peux le dire haut et
fort : le petit épargnant est bien plus généreux que son
banquier. Beaucoup plus.
Il suffit de voir le taux d'intérêt
qu'il lui consent sur les découverts de son compte-courant !
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