En conduisant ma voiture le matin sur
la route où tant de dangers me guettent (chauffards, flics, piétons,
nids-de-poule, chats essayant de se faire écraser...), il arrive que
mon attention soit soudain attirée par une information issue de la
radio et d'un ordinaire synonyme de conflits, crise économique,
problèmes sociaux, salaires des grands patrons, évasion fiscale,
déboires conjugaux de nos élus, etc.
Dernièrement, alors qu'était à peine
sèche l'encre virtuelle de ma dernière bafouille en date vous
entretenant de la jeunesse d'aujourd'hui et de mon statut de vieux
croûton dépassé par le progrès, un sujet d'actualité m'a
brutalement remémoré mon adolescence sous la forme d'une phrase que
j'avais lue jadis, griffonnée sur une table de l'école :
« Heureux qui, comme la rivière, peut suivre son cours dans
son lit ».
L'étudiant qui avait gribouillé ces
quelques mots était-il un visionnaire ? Un être prenant ses
rêves pour de bien hypothétiques réalités ? Un poète
spirituel ? Un gaillard doté d'une bonne mémoire lui
permettant de se souvenir d'un bon mot lu ailleurs et de le recopier
au hasard d'un cours aux vertus soporifiques ?
À l'époque, j'avais dû trouver ça
drôle. Et le fait que je m'en souvienne aujourd'hui tendrait à
prouver que ma mémoire, même si elle n'est plus ce qu'elle était,
possède encore quelques beaux restes.
Toujours est-il que le rêve ou
l'utopie de jadis semble prendre la forme d'une réalité
d'aujourd'hui. Pas partout, certes, puisque nous n'en sommes,
paraît-il, qu'au stade expérimental, mais l'affaire est en cours :
le robot à l'école.
Ne riez pas, ça existe : une
espèce d'avatar électronique formé d'une sorte de tête montée
sur un genre de manche de brosse pourvu à la base d'un système de
roulettes permettant de le déplacer et tenant en classe la place de
l'étudiant. Je ne suis plus sûr à cent pour cent de la description
de l'engin, mais ses fonctions ne laisseraient plus rêveur mon
étudiant-visionnaire-poète d'autrefois, puisque ledit engin semble
capable de lui permettre aujourd'hui de suivre son cours dans son
lit. Depuis son lit. Par une sorte de webcam interposée.
Tandis qu'il reste chez lui bien au
chaud (pas nécessairement dans son lit, d'ailleurs), s'épargnant
des déplacements toujours aléatoires compte tenu des qualités des
transports en commun, l'étudiant est remplacé en classe par un
robot. Une sorte d'avatar qui regarde et écoute le prof, lit ce qui
s'écrit au tableau tout en étant capable d'illuminer tel ou tel
endroit dudit tableau en cas de besoin. Évidemment, l'élève n'est
pas dispensé du cours – du mois, pas encore –, mais grâce aux
merveilles que lui propose notre monde des télécommunications, il
peut désormais suivre ce cours à distance. La webcam à la
puissance dix, puisqu'il peut intervenir, poser des questions à
l'enseignant ou répondre à celles qui lui sont soumises et, en cas
de chahut avec ses avatars de condisciples, le prof peut même agir
radicalement en baissant le son (certains professeurs de certains
établissements devraient être contents : les robots ne sont
conçus ni pour donner des coups ni pour trimbaler des couteaux, ils
ne bouffent pas en classe, ne sniffent rien du tout et n'ont même
pas besoin de cour de récréation).
Tout ça, moi, ça me dépasse. Je suis
encore de la vieille école. Quand le prof m'engueulait, mes parents
m'engueulaient aussi plutôt que d'engueuler le prof. Et puis,
j'aimais bien me déplacer, voir mes potes...
On est de plus en plus dans le virtuel.
Ce n'est pas que ça me dérange, mais ça m'intrigue. C'est un monde
différent. Les télécommunications ont tout bouleversé.
La manière d'aborder autrui, par
exemple, a beaucoup changé. Pas encore pour les plus petits, mais
pour les adolescents et bon nombre d'adultes, certainement. Avant, on
était obligés de rencontrer des gens. Beaucoup de gens. Bien sûr,
la plupart de ceux-là demeuraient de parfaits inconnus, très peu
devenaient de vraies connaissances et encore plus rares étaient nos
amis. « Ami » était d'ailleurs un mot employé
différemment dans la réalité d'autrefois qu'il ne l'est
aujourd'hui sur les réseaux sociaux.
La différence fondamentale est
qu'aujourd'hui nous rencontrons des tas de gens sans vraiment les
voir ni vraiment leur parler, sans les toucher. Au fil de ces
rencontres, nous tissons des liens très virtuels, nous nous
découvrons des affinités et, parfois, nous décidons de franchir le
pas : nous nous retrouvons en chair et en os dans la vie réelle.
Le principe du « qui se ressemble
s'assemble » n'a pas changé. C'est sa mise en pratique qui a
évolué. Autrefois, nous devions d'abord rencontrer des gens, puis
trouver parmi eux ceux dont les goûts et les intérêts
s'assortissaient aux nôtres. Aujourd'hui, nous trouvons d'abord des
goûts et des intérêts qui nous conviennent avant d'essayer de
rencontrer les vraies personnes cachées derrière.
Autres temps, autres méthodes. Ce
n'est pas plus mal, me semble-t-il.
Une seule chose m'inquiète vraiment
là-dedans : notre bonne forme physique et mentale. Parce que je
me demande si toutes ces télécommunications, toutes ces ondes qui
traversent tout et à toute heure du jour et de la nuit, ça ne va
pas finir par nous détruire la santé.
Aujourd'hui, on ne nous dit rien. On ne
sait rien. On nous donne vaguement quelques conseils de prudence, de
modération. Mais dans quelques dizaines d'années, qui sait si
toutes ces micro-ondes n'auront pas fini par nous cuire la cervelle ?
Est-ce qu'on nous dira à l'école –
virtuelle – que l'abus du sans-fil peut nuire à la santé ?
Ah ! Tu l'as entendu aussi, alors... À un moment, je me suis demandé si j'avais rêvé... Parce que finalement, c'est un bon scénar de SF dans pas mal de BD ; notamment dans celles où ils se moquent gentiment des profs...
RépondreSupprimerMais ça doit être assez drôle, remarque, d'engueuler un robot...
Engueuler un robot ? Ouais, probablement.
SupprimerEngueuler une machine, en tout cas, c'est cocasse. Mais tu tapes "con de PC" sur ton clavier, le PC s'en tape. Ha, ha, ha !