... et chaque chose à sa place. C'est
un principe sage et bien connu.
Chez moi, c'est un peu comme ça. Et
même beaucoup comme ça, si l'on se place du point de vue de Chérie.
Dans ma logique de mâle normalement
constitué, je dirais que les chemises se rangent dans la penderie,
les chaussettes dans le tiroir à chaussettes, les chaussures dans
l'armoire à chaussures, la monnaie dans le porte-monnaie, les
bouteilles de rouge dans la cave et les cannettes de bière dans le
frigo. J'ajouterais qu'on enferme la tondeuse à gazon dans
l'appentis, les poules dans le poulailler et le chat dehors parce que
c'est là que ce bon à rien fait le moins de conneries.
Parfois, je commets de coupables
exceptions, notamment avec la petite monnaie que je glisse souvent
dans la minipoche de mon blue-jean, bien qu'il me soit pénible de
l'en retirer parce que j'ai les doigts trop gros ou, plus que
probablement, parce que les fabricants sont des radins et que les
petits Chinois ont de petites mains. Alors, la monnaie y reste
jusqu'à ce que le pantalon file dans le panier à linge sale, à
moins qu'elle ne se soit barrée bruyamment entretemps sur le
carrelage de la salle de bain ou celui des toilettes de l'entreprise et de leur célèbre PQ.
S'asseoir sur le trône, au boulot, dans le but de vivre quelques
longues minutes de tranquillité, et voir d'emblée quelques euros
rouler par-dessous la porte, ça n'a rien de drôle. Surtout si l'on
décide de finir avant d'avoir commencé de peur qu'un visiteur ne
s'empare à nos dépens de la monnaie sonnante et trébuchante !
Pour tous ces objets, donc, Chérie et
moi entretenons la même logique, en dépit de quelques nuances.
Concernant les chaussures, par exemple ; parce que l'armoire à
chaussures est trop exigüe pour toutes les contenir et qu'il faut
donc opérer des tris saisonniers afin d'évacuer vers les boîtes du
grenier celles qui ne serviront plus avant quelques mois. C'est
l'occasion pour Chérie d'opérer un inventaire en extrayant de
l'armoire en question l'une ou l'autre de mes trois ou quatre paires
de pompes en vue de laisser de la place à deux ou trois des siennes.
J'ai de grands pieds, elle pas ; et bien que ça n'excuse pas le
fait que je m'en trouve réduit à n'avoir à portée d'orteils que
trois ou quatre paires de godasses alors qu'elle en dispose de trois
fois plus, la réalité est là : ce sont mes affaires qui
encombrent le plus, même si globalement elles prennent beaucoup
moins de place que les siennes.
À côté de ces rangements somme toute
logiques et obéissant plus ou moins à la règle d'une place pour
chaque chose, nous possédons un tas d'objets plus ou moins utiles
qu'on change parfois de place et qu'on finit même par évacuer ;
comme le gaufrier ou la pierrade qui servent deux fois par an, le
robot électrique qu'on évite d'utiliser pour râper quelques
carottes tant il est pénible à démonter et à nettoyer, la
sorbetière qui n'a servi qu'une fois et la yaourtière qui ne
servira plus jamais. Une obscure armoire dans une chambre, un coffre
dans le grenier ou un enfant qui se met en ménage... et la place est
nette !
Entre ces deux extrêmes, nous
possédons quantité d'ustensiles qui servent assez souvent mais
n'ont pas d'emplacement logique où les ranger sans hésiter. Je
citerai, pêle-mêle : les appareils photo, les foutus chargeurs
de téléphones portables et autres engins fonctionnant au lithium-ion, la réserve de bougies chauffe-plat, les bocaux
fraîchement lavés qu'on garde pour les confitures, le carnet de
vaccination du p... de chat, l'appareil à raclette, les factures
payées, les factures impayées, les lettres de menaces d'huissiers
et le célèbre et cætera.
Chacun de ces trucs-là, on le met un
jour là où il y a de la place, un peu au hasard, en se disant que
quand on trouvera mieux, on agira. Et finalement, on s'habitue :
ça se trouve là et, quand on en a besoin, c'est là qu'on le prend.
Et quand il faut ranger, c'est encore là que ça retourne. Jusqu'au
jour où...
Jusqu'au jour où, à l'occasion d'un
grand nettoyage, de la nécessité de faire place à une nouvelle
acquisition volumineuse ou d'une soudaine et imprévisible envie de
changement, un ou plusieurs de ces objets en arrivent à migrer vers
une planche ou un tiroir qu'on estime plus approprié. Et c'est là
que commencent les problèmes, les « outami » et
les « ilèou ». La mémoire, en ces circonstances,
nous fait autant défaut que la force de l'habitude a ancré dans
notre esprit que la réserve de bougies chauffe-plat se trouvait dans
le tiroir du bureau, le marqueur et les étiquettes autocollantes
pour le congélateur dans le second tiroir de droite de la cuisine,
et l'appareil à raclette dans la grande armoire au fond du salon
(parce qu'on manquait de place en cuisine).
Quand on est deux à opérer lors du
chambardement, on possède davantage de chances de se souvenir de
« ce qu'on a fait de » et de « où on a
mis les », autant qu'on diminue celles de s'engueuler à
grands coups de « kèstaféde » ou « tamioulès ».
Ce serait dommage de se fâcher pour de
bêtes ustensiles. On le fait déjà assez lors des courses de la semaine !
C'est d'ailleurs ce que je répète
gentiment à Chérie qui, avec l'âge, a tendance à souffrir du même
problème que le mien : la mémoire qui flanche. C'est la raison
pour laquelle je répugne à changer quelque chose de place. Peu à
peu, Chérie adopte ce principe, surtout en mon absence.
Pour maîtriser le changement, nous
avons désormais besoin de nos deux têtes.
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