Bien
du temps est passé depuis que je vous ai entretenu de la crise politique belge ; mais l’Histoire étant un perpétuel
recommencement, une mauvaise langue me glisse à l’oreille que nous
pourrions être en train d'en écrire un nouveau chapitre.
Pour
ceux qui n’ont pas suivi l’actu, qu’elle soit toute récente ou
vieille d'une demi-douzaine d'années, rappelons que la Belgique est un pays
étrange, composé artificiellement de gens qui ont peu ou prou les
mêmes problèmes mais n’ont pas la même approche de la manière
de les résoudre.
C’est
pourquoi dans le nord (néerlandophone), on vote plutôt « à
droite » ; tandis que dans le sud (francophone), c’est
traditionnellement « la gauche » qui domine. Ajoutons
qu’au milieu de tout cela, il y a Bruxelles (majoritairement
francophone mais où votent aussi les néerlandophones) ; et à
l’est, près de la frontière allemande, une communauté
germanophone active mais incluse dans la partie francophone. Vous
suivez ?
Tout
cela pour essayer de vous expliquer à quel point ça peut être
compliqué, puisque nous avons plusieurs parlements (élus) et
gouvernements (coalitions) à composer : il y a le « fédéral »
(entendez « national ») et ceux des régions
(« wallonne » et « flamande »).
Au
fédéral, les Flamands, qui sont plus nombreux (60 % de la
population, environ), pourraient former une majorité à eux seuls,
mais ce n’est pas permis par notre Constitution : les deux
communautés doivent être représentées dans la majorité fédérale.
Cela dit, il n’est pas indispensable que la coalition au pouvoir
possède la majorité dans les deux communautés (cela s’est déjà
produit, et plus précisément avec le gouvernement sortant,
minoritaire en francophonie) ; excepté en cas de révision de
ladite Constitution, auquel cas le gouvernement doit être
majoritaire dans chacune des deux parties du pays et représenter, au
total, une majorité des 2/3 des parlementaires. Vous suivez
toujours ?
C’est
donc en partie pour ces raisons que la formation d’une majorité
fédérale peut prendre du temps (le record est à plus de 500 jours) : mettre d’accord des élus de gauche et de droite, qui
plus est de langue et de culture différentes, n’est jamais une
promenade de santé. Ces dernières années, les gouvernements issus
de majorités de centre-gauche ou de centre-droit ont été
minoritaires en Flandre pour le premier et en Wallonie pour le
second.
Les
élections du 26 mai dernier n’ont pas arrangé les choses, puisque
la tendance s’est accentuée. Une extrême droite à 20 % en
Flandre et une extrême gauche à 10 % en Wallonie. Et comme dès
avant le scrutin, plusieurs partis ont lancé des « exclusives »
(pas avec l’extrême droite, pas avec l’extrême gauche, pas avec
les socialistes francophones, pas avec les nationalistes flamands,
c'est impensable avec les écolos, etc.), constituer une majorité va
exiger non seulement du temps, mais aussi pas mal d’imagination. Le
risque étant la constitution d’une majorité bancale, asymétrique
droite-gauche, et dont les constituants auront dû ravaler leurs
paroles, promesses et interdits (autrement dit, « oublier »
leurs exclusives). Ravaler paroles et promesses, c’est courant dans
le milieu, mais cette fois nos politiciens y sont allés fort. Très
fort.
Alors,
la énième crise politique belge sera-t-elle longue ? Oui.
Allons-nous
en sortir ? Peut-être, car nous l’avons toujours fait, en
spécialistes mondiaux du compromis (rappelons qu’un compromis,
c’est l’art de trouver un accord qui satisfait toutes les parties
ou qui les satisfait parce qu’aucune n’est satisfaite).
Mon
intuition, toutefois, est que nous retournerons bientôt aux urnes,
avec en perspective la menace (selon les uns) ou la promesse (selon
les autres) de l’éclatement du pays. Il n’y aura plus
d’exclusives. Nos élus pourront alors dire que « c’était
la volonté de l’électeur ». Parce que l’électeur a
toujours raison. Même quand on le trompe ou qu’il se trompe.
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