La vie nous réserve parfois de bien
mauvaises surprises qui, même sans mettre directement en danger
notre intégrité physique, ont le don de nous mettre en boule, sinon
dans l'embarras.
Un problème avec l'évacuation des
eaux usées domestiques, par exemple, ça peut valoir quelques tracas
du genre de ceux qui nous sont tombés sur le râble il y a plus d'un
an et qui ont un petit peu duré... C'est qu'on a tellement
l'habitude d'ôter la bonde, de tirer la chasse ou de racler vers
l'avaloir qu'on se trouve soudain bien dans la merde lorsque cette
dernière ne s'en va pas comme elle avait coutume de le faire.
Loi de Murphy oblige, ce genre de
situation apparaît généralement au tout début d'un long week-end
pendant lequel on avait planifié des activités plus réjouissantes
que le vain maniement d'un furet ou d'une lance d'arrosage. Le
semblant de débouchage obtenu après de longues heures d'acharnement
autour d'une « chambre de visite », avec l'aide d'un
voisin serviable et de son nettoyeur à haute pression, n'apportera
qu'un soulagement temporaire. Quelques heures et quelques litres
d'eau usée plus tard, le problème est de retour, plus entêté
qu'une mule : c'est bouché. BOU-CHÉ !
Une visite sur Google vous apprend
alors qu'un tas de firmes sont prêtes à vous dépanner, à toute
heure du jour et de la nuit ; samedi, dimanche et jours fériés
s'il le faut. Serruriers, chauffagistes, plombiers, électriciens...
et déboucheurs de canalisations.
Contrairement aux médecins, qui sont
quand même tenus de respecter certaines grilles tarifaires
lorsqu'ils vous réclament leurs honoraires, ces braves dépanneurs
toujours prêts à rendre service n'ont le cœur sur la main que
lorsque vous les appelez et leur expliquez le problème. Ils sont
équipés, ils arrivent de suite, leur prestation n'est pas bon
marché, mais « c'est le tarif, Monsieur, vous pouvez demander
à d'autres sociétés, vous verrez bien ». Tous de mèche,
évidemment ! Il ne faut pas tuer un business lucratif quand il
y a bien assez de place pour tout le monde.
Quand ces gens arrivent chez vous, ils
vous montrent qu'ils sont bien équipés et vous assurent de leur
compétence, tout en vous priant aimablement de régler le prix de
leur intervention (qui a augmenté substantiellement par rapport au
prix annoncé par téléphone, et ce pour tout un tas de bonnes
raisons qui vont de frais de déplacement plus élevés que prévu,
de l'usage d'un tuyau plus long ou de l'orientation et de la vitesse
du vent) avant même qu'ils ne sortent le moindre outil.
« On voit tellement de choses,
Monsieur, vous n'imaginez pas ! Il y a des gens qui nous font
travailler et puis refusent de payer ! Cela ne se fait pas,
n'est-ce pas ? Nous sommes désolés pour vous, vous avez une
bonne tête, mais c'est comme ça. C'est notre patron qui l'exige,
vous comprenez ? On a eu trop de soucis par le passé... »
Entre le tarif salé pour l'usage d'un
système à très haute pression qui vous garantit un débouchage des
plus rapides et un week-end toujours bien long dans de telles
circonstances, on finit par céder. D'autant plus que le quidam nous
assure que c'est couvert par les assurances. « Dégâts des
eaux », dit le contrat. Naturellement, ce n'est pas à cet
instant-là que vous vous mettez à la recherche de votre exemplaire
du fameux contrat et que vous entamez la lecture de tous ces
paragraphes imprimés en caractères minuscules et usant de formules
nébuleuses voulant dire « tout pour nous et des cacahuètes
pour vous » !
Bref, tout ça pour vous dire qu'on a
casqué, que les types ont « débouché » la tuyauterie
et que nous étions bien soulagés d'être tirés d'affaire.
Soulagement de courte durée, vous le devinez, puisque moins de
quarante-huit heures plus tard, le problème était de retour, plus
enquiquinant que jamais et nous faisant émettre, à l'égard des
savants déboucheurs, des qualificatifs vraiment très peu flatteurs.
Un coup de téléphone chez l'assureur
nous confirme la mauvaise nouvelle : pas d'intervention.
« Dégâts des eaux », ça ne paie pas le débouchage de
l'égout. Cela rembourse seulement, franchise déduite et si vous
pouvez prouver que vous n'avez pas fait montre de négligence, les
dégâts éventuellement causés par la flotte dans votre habitation.
À nos frais, donc, non seulement le
débouchage manqué, mais également les travaux à prévoir pour
enfin rétablir un fonctionnement parfait de notre évacuation d'eaux
usées. Et nous devinons que ce ne sera ni simple, ni bon marché. Ce
que nous ignorons encore à ce moment-là, c'est que ce ne sera pas
rapide non plus.
Fort heureusement pour nous,
l'évacuation défectueuse n'est pas la seule dont nous disposons. La
seconde reste parfaitement fonctionnelle, nous épargnant de nous
retrouver vraiment dans la merde, si vous me passez le peu d'élégance
de l'expression. Au cours des semaines qui suivent, donc, nous nous
organisons tant bien que mal afin d'éviter de commettre des
maladresses qui pourraient envoyer dans la tuyauterie malade autre
chose que de l'eau et uniquement de l'eau et nous mettre, nous, dans
ce que j'évoquais ci-dessus avec quelque vulgarité.
La force de l'habitude étant chose
difficile à contrarier, à plus d'une reprise il nous faudra sortir
lance d'arrosage et nettoyeur à haute pression et, nous écorchant
les genoux sur le béton et la langue sur moult jurons, entreprendre
un similidébouchage de la contrariante tuyauterie qui ne laisse
passer que de l'eau – et pas très vite !
Mais comment se fait-ce, vous
demanderez-vous, que cela prenne si longtemps pour rétablir une
situation normale ? Un manque de fonds ? Un manque de
temps ? Un manque d'envie ?
Rien de tout cela.
Pour réparer la tuyauterie, il faut
percer un trou. Une tranchée, même. Pas très longue, pas très
large, certes, mais une tranchée dans la rue. Or, la rue, comme nous
l'a si bien expliqué l'employé du service communal des travaux, ce
n'est pas à nous. C'est à tout le monde. À la commune, en fait.
« Mais alors, dis-je naïvement,
c'est vous qui devez réparer ce foutu tuyau ! Vous, la commune,
le service des travaux ! »
« Ben non, me rétorque
l'employé. Le raccordement à l'égout, c'est le vôtre. Nous, on
s'occupe juste du collecteur principal, planté à deux ou trois
mètres de profondeur sous le béton de la rue. »
Donc, afin d'atteindre mon tuyau
obstinément bouché, je dois creuser un trou dans une voirie qui ne
m'appartient pas et, bien sûr, obtenir au préalable auprès des
autorités communales l'autorisation de le faire.
Ici, je sens que vous commencez à
comprendre pourquoi la résolution de ce problème peut prendre du
temps ! Et tout d'abord, avant d'entreprendre, il nous faut
obtenir auprès d'une entreprise spécialisée (et agréée) un devis
et un engagement de mettre la main à la pâte. Pas simple ! Pas
simple du tout, vous allez le voir.
Contacter des entrepreneurs et leur
faire visiter les lieux n'est pas un gros souci. Ils répondent,
certains viennent voir, mais remettre un devis semble leur poser
problème : effectivement, sans ouvrir, difficile de savoir ce
qui se passe là-dessous. Tuyau bouché ? Tuyau cassé ? Et
à quel endroit ?
Je leur explique qu'en envoyant la
lance-déboucheuse, celle-ci bute contre un obstacle, quelque part.
Depuis la chambre de visite, située près de la limite de ma
propriété, la conduite « avale » environ quatre mètres
de tuyau de nettoyeur haute pression, puis plus rien. C'est bloqué.
L'eau s'en va, mais guère plus. Et le tuyau ne passe décidément
pas.
« Et il est où, le collecteur
principal ? À quelle profondeur ? » me demande-t-on.
Je leur explique. Ils font la moue. « Ah, oui. Et c'est du
béton, là ? »
Je hoche la tête. J'ose à peine
ajouter que le béton est armé et que la dalle doit faire quarante
centimètres d'épaisseur, au bas mot (je le sais parce que je l'ai
constaté lorsque la voirie a été refaite, quelques années
auparavant) !
Les entrepreneurs s'en vont avec de
vagues promesses de m'envoyer un devis, mais je ne reçois rien. Ils
n'ont pas envie de faire ça, manifestement, parce que quand je les
relance, ils ont toujours une excuse...
Finalement, j'en trouve un pour me
remettre un devis. Je lui donne mon accord, mais il ne vient jamais.
Il a toujours trop de boulot, il promet pour le mois suivant, le mois
d'après, la Saint-Glinglin... pour finalement me dire que si je fais
appel à quelqu'un d'autre, il ne sera pas fâché.
Les mois ont passé et la routine s'est
installée : la cuisine et les salles d'eau sont fonctionnelles,
une des deux toilettes itou, la seconde étant interdite de papier et
de gros besoins. Il y a pire, comme situation, avouons-le. C'est
juste vexant, ce W-C du rez-de-chaussée qu'on ne peut pas utiliser
normalement ! Il faut se rendre à l'étage, mais on fait avec.
Ou plus exactement, on fait sans.
Sur la suggestion de l'entrepreneur qui
voulait bien faire le boulot mais ne le pouvait pas en réalité,
j'en contacte d'autres. L'un me dit « au beau temps ». Ça
tombe mal. Nous sommes en novembre. Un autre me dit « OK ».
Il est sympathique, paraît sérieux et, à l'évidence, connaît son
affaire. Je n'ai pas besoin de lui décrire le béton, il sait
comment sont faites ces dalles. C'est du dur, mais ça ne paraît pas
le tracasser. On fait affaire. Mais il ne peut pas venir tout de
suite. Mais le mois prochain, peut-être...
Je reste calme. Philosophe, même. J'ai
l'expérience, moi aussi, maintenant. Je sais que ça n'ira pas vite.
Le gars est de bonne volonté, paraît honnête, je lui fais
confiance. Il viendra en décembre, comme il l'a annoncé.
Seulement, il y a un autre problème.
Je vous l'ai déjà dit : j'habite en face d'une école. Outre
les charmes de la situation, cela entraîne un souci supplémentaire :
pour les autorités communales, il est hors de question d'accorder
l'autorisation de percer la voirie en dehors des périodes de
vacances scolaires. Donc, en décembre, ça va être difficile :
les journées sont courtes, très courtes, et l'on est en plein dans
les fêtes de fin d'année quand nos galopins ont leurs deux semaines
de congés.
Report à Pâques, donc. Ou à la
Trinité.
Non, je vous l'ai dit, l'entrepreneur
est sympa, sérieux et connaît son affaire. Pendant les vacances de
Pâques, il m'envoie ses ouvriers munis du feu vert communal. On
troue ! Enfin !
Comme leur patron, les ouvriers
connaissent le métier. Ils en ont installé et réparé, des
tuyauteries. Avant de donner le premier coup de tronçonneuse dans le
béton, l'aîné m'annonce qu'à son avis, le tuyau est cassé.
« Là », m'indique-t-il du bout de sa godasse boueuse.
Pendant une bonne demi-journée, à
coups de pelle et de marteau-piqueur, les deux vaillants ouvriers
vont déblayer une petite tranchée. Profonde, car la tuyauterie file
en pente vive vers le collecteur principal, plus de deux mètres sous
la surface de la voirie.
Au milieu de l'après-midi, l'aîné
m'appelle, un sourire satisfait sur les lèvres : « j'vous
l'avais dit, qu'il était cassé là ! » triomphe-t-il. Je
réalise que le mec a vraiment l'expérience. C'est juste dessous
l'endroit qu'il avait désigné du bout du pied.
« C'est une pierre enfoncée dans
le tuyau », m'explique l'homme en tétant sa cigarette (une
toute mince, roulée à la main). « Ils ont refait les
bordures » ?
— Oui, dis-je. Ils ont refait les
trottoirs, bordures et caniveaux. Y a deux-trois ans.
— Ah ! C'est en damant le
terrain qu'ils ont bourré une pierre dans l'tuyau. Bizarre que c'est
seulement bouché maintenant...
Je lui explique que cette évacuation-là
était peu utilisée. Juste pour de l'eau, jusqu'à récemment, quand
on a construit une nouvelle annexe avec une salle d'eau et un W-C, au
rez-de-chaussée.
Donc voilà. C'est la commune qui a
fait faire des travaux dans la rue qui est à elle, et qui par la
magie de l'opération a cassé le tuyau qui est à moi. Je
m'interroge. Vais-je téléphoner au service des travaux et expliquer
que c'est de leur faute, tout ça ? Leur écrire ? Leur
envoyer la note ?
Je suis déjà bien content que le
problème puisse être résolu, alors je décide de ne pas entamer la
lutte du pot de terre contre le pot-de-vin (comme disait Coluche) !
Mais je ne suis pas encore au bout de
mes surprises : l'ouvrier m'annonce qu'il est trop tard, qu'ils
viendront achever demain, c'est-à-dire remplacer le tuyau cassé par
un autre, pas cassé. En attendant, son pote est parti avec le camion
chercher du stabilisé « pour reboucher »,
m'explique-t-il.
— Reboucher ?
— Ouais. On préfère reboucher. Vous
comprenez, c'est la rue, laisser un trou comme ça pendant la nuit,
c'est dangereux. Il pourrait y avoir un accident !
— Mais... en mettant une
signalisation ?
— On fait plus ça ! ricane
l'ouvrier. Fini ! Et vous savez pourquoi ? ajoute-t-il en
se penchant vers moi avec un air grave. Parce qu'on nous vole le
matériel. Oui, Monsieur ! On nous pique les barrières, les
panneaux, les loupiotes... Et puis il y a un trou et les gens peuvent
tomber dedans, les bagnoles passer dessus et avoir de la casse et
nous des emmerdements !
C'est clair et net. Ils préfèrent
reboucher.
« C'est juste du stabilisé,
m'explique l'homme alors que le camion manœuvre. On tasse bien et
demain, en moins de deux, on débouche et on termine. »
La benne se lève, je vois qu'ils ont
mis un gros morceau de plastique épais sur le trou du tuyau. « Comme
ça, la terre ne va pas entrer dedans et aller tout boucher plus
loin », m'annonce l'astucieux bonhomme. Le mélange tombe dans
la tranchée, quelques coups de pelle, puis quelques passages des
pneus du camion en marche avant-marche arrière pour bien tasser.
Quelques coups de dameuse, et le tour est joué. Et je dirais même
plus : le trou est bouché.
Le lendemain, les deux gars seront de
retour, comme annoncé ; et le sympathique entrepreneur
m'enverra sa facture seulement un mois plus tard. Pas plus salée que
ce qu'il m'avait annoncé.
Comme quoi des gens honnêtes, il y en
a. Et des ouvriers compétents aussi.
Des mois ont passé, notre évacuation
fonctionne tip-top et c'est à peine si l'on s'aperçoit qu'un trou a
été fait dans la rue. Malgré le trafic, la réparation ne s'est
aucunement affaissée, preuve qu'elle a été effectuée par des gens
connaissant leur métier.
Finalement, ça valait la peine
d'attendre puisque maintenant, quand on en parle, ça nous fait juste
marrer. La seule chose qui nous reste un peu en travers, ce sont les
déboucheurs, serruriers, plombiers, électriciens ou mécaniciens
peu scrupuleux profitant de l'embarras d'autrui pour s'en mettre
plein les poches ; et qui, outre leur malhonnêteté, sont d'une
incompétence crasse.
Aïe aïe aïe ! C'est vraiment pénible, ce genre de trucs ! Et ça ne vaut vraiment pas le coup d'essayer d'expliquer à la commune que leurs travaux ont engendré ces dégâts ?
RépondreSupprimerEn tout cas, j'aime bien l'article et surtout sa conclusion !
(Ça précise aussi au passage aux lecteurs d'autres pays que l'herbe n'est pas forcément plus verte ailleurs...)
Bon, eh bien voici l'occasion de monter une entreprise de débouchage/tuyautage/ramonage... je suis sûr que ça aussi, ça ferait un excellent pitch pour une histoire décalée ici ou là sur la toile...
Doit y avoir moyen de gagner du fric, avec ça, c'est certain. Mais faut être un chouïa malhonnête ; et ça, je peux pas...
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