mardi 16 septembre 2014

L'obsession de l'hygiène

Cette idée m'est venue une nouvelle fois en tête tout récemment, en découvrant les nouveaux appareils qu'on venait d'installer dans les toilettes de l'entreprise où j'exerce mes... heu... mes talents : l'obsession de la propreté.

Nous avons un comité chargé de veiller à la sécurité, à l'hygiène et au bien-être sur le lieu de travail, comme c'est obligatoire dans toute boîte qui emploie un certain nombre de personnes. Alors, ces gens qui se réunissent tous les mois doivent bien meubler le temps qui leur est imparti. Dormir ou multiplier les pauses-café, ça ne se fait pas.

Outre donc d'amener sur le tapis des sujets de discussion bêtes à pleurer ou qui n'intéressent que deux quidams sur cent, les participants se penchent régulièrement sur les questions de sécurité et d'hygiène.

Les fournisseurs de produits d'entretien et d'appareillages divers sont évidemment au courant de ces pratiques, ce qui a pour effet de faire parvenir à qui de droit – généralement au responsable en chef de la sécurité ou à l'un de ses sbires – toute une flopée de dépliants publicitaires et d'offres les plus délirantes qui soient en matière d'hygiène. Offres d'autant plus délirantes que les vérités d'hier se heurtent à des contre-vérités d'aujourd'hui et à d'incessantes supputations quant à l'option qui « aura la cote » en matière de lutte contre ces fichues bactéries qui, paraît-il, nous empoisonnent l'existence.

J'ai connu les bandes de tissu cousues en boucle, pour l'essuyage des mains, ces serviettes rapidement humides puis détrempées bien avant la fin de la journée, sauf dans les rares cas où l'entreprise disposait de davantage de locaux sanitaires que de personnel, ce qui laissait présager une très mauvaise santé financière et un proche dépôt de bilan.

Ces essuie-mains en boucle, ce n'était pas propre. Pas hygiénique du tout. Un nid à bactéries, tout comme ces boules de savon fixées au-dessus de chaque lavabo !

Nous sommes donc passés aux essuie-mains à enrouleur, où il suffisait de tirer une bande de tissu propre, ce qui faisait rentrer dans un second compartiment de la boîte la partie déjà souillée. C'était pas mal, mais bien souvent la réserve d'étoffe sèche était épuisée avant la fin de la journée, ce qui obligeait le personnel à utiliser la même dernière portion de rouleau détrempée. Pas bien !

Les sèche-mains à air chaud qu'on a essayés par la suite possédaient le triple inconvénient d'être bruyants, voraces en électricité et tout aussi inefficaces – paraît-il – en ce qui concerne la lutte contre la prolifération bactérienne. Des trucs du genre à envoyer les microbes dans l'air pour que tout le monde les inhale bien.

Les serviettes en papier, enfilées en zigzag dans un distributeur, ont alors fait leur apparition, ce qui a permis de copieusement remplir les poubelles en très peu de temps, certains ne lésinant pas sur le nombre de serviettes arrachées au paquet pour un simple séchage de mains. Ajoutons que ces morceaux de papier semblent avoir pour habitude de rester vilainement coincés quand ils sont trop serrés dans un distributeur plein et, à l'inverse, de tomber par paquet lorsque la réserve s'approche de l'épuisement. Et on nous répète que ce n'est pas écologique.

Un représentant rencontré récemment nous proposait un nouvel appareil électrique à air pulsé aseptisé et tueur de microbes, économe en diable puisque capable de sécher en quelques secondes la paire de paluches la plus récalcitrante. Le top du top. Plus de déchets, consommation réduite d'électricité et filtres hygiéniques (renouvelés régulièrement via un contrat d'entretien) garantissant l’innocuité du système.
En somme, la contre-vérité d'aujourd'hui quand on songe à ce qu'on pensait hier des souffleries à air chaud.

Fermons la parenthèse et revenons donc à ce que j'ai récemment découvert dans les toilettes de l'entreprise. Quand j'écris « dans les toilettes », lisez « dans les chiottes ». Enfin, non, ne lisez pas dans les chiottes, c'est déconseillé pour des raisons de santé sur lesquelles je ne m'étendrai pas, d'autant plus que je n'écris pas dans les chiottes non plus. Pas même sur les murs.

Dans chaque WC, donc, on a planté au mur un distributeur du type « pshit-pshit » orné de petits dessins qui indiquent qu'il faut tenir un peu de PQ en dessous de l'appareil pendant que, de l'autre main, on actionne le poussoir. Se retrouve sur le papier une solution apparemment bactéricide – ben oui, toujours la lutte contre ces sales bestioles – destinée à être étalée sur la lunette avant de s'y asseoir. Si on veut bien. Personne ne va vérifier qu'on l'a fait.

À mon avis, ça va foutrement faire grimper la consommation de PQ ! Et puis, ça doit coûter quelque chose, ces trucs-là. Et aussi le produit qu'on met dedans (on n'a pas dit qui se chargerait d'en rajouter au besoin, mais je suppose que ça va encore tomber sur la carafe du brave type ou de la brave dame qui nettoie nos crasses chaque soir en semaine aux heures où on prend notre repas en famille).

En attendant, à côté de l'appareil, on peut encore trouver un distributeur de lunettes en papier. Encore des trucs hygiéniques pour protéger nos fesses des vilains microbes !

Quand j'étais gamin, on me disait que je devais faire ma toilette tous les jours, me brosser les dents et me laver les mains avant de passer à table. Et chez les scouts, en plus de ça, on disait la prière. Il est vrai qu'il valait mieux, compte tenu de ce qui nous était parfois servi...

Aujourd'hui, il y a une obsession de l'hygiène. Tout doit être propre. Surtout la bouffe.
Quand vous allez dans un fast-food bouffer des hamburgers et des frites avec des sodas géants, tout est propre. Surtout en cuisine. C'est sévèrement contrôlé par les services d'hygiène qu'on désigne par des sigles barbares, différents d'un pays à l'autre, mais qui ont toujours la même raison d'exister : le contrôle de ce que vous mettez (ou de ce qu'on vous met) dans l'assiette ou dans le sac en papier. Il faut que ce soit propre. La santé du bon peuple en dépend.

Les aliments qu'on achète, c'est pareil : dates de péremption, chaîne du froid à respecter et étiquetage précis. D'ailleurs, il suffit de lire les étiquettes : la composition des aliments est si complexe qu'elle est impossible à retenir. On y met un tas de produits aux noms barbares destinés à veiller sur notre bonne santé, à prévenir ou ralentir la prolifération des vilaines bactéries et, très accessoirement, à augmenter les marges bénéficiaires.

Parce qu'aujourd'hui, vous l'aurez sûrement déjà remarqué, outre l'obsession de l'hygiène sanitaire, on entretient celle de l'hygiène alimentaire. Mangeons propre !

Bien sûr, on nous fait manger de la crasse, mais du moment que c'est de la crasse propre, on ne va pas s'arrêter sur un détail aussi futile.

lundi 8 septembre 2014

Dressage de chien

Je vous ai déjà fait partager, dans un précédent message, les sentiments qui m'animent à l'égard du chat, cet animal inutile, paresseux, égoïste, désobéissant et si profondément humain parce qu'il n'a pas de maître et attachant parce qu'il n'existe pas de pire racoleur que lui (surtout s'il est très jeune) dans le monde animal.
Un chat, c'est pétri de qualités dont on n'a généralement que faire. Tandis qu'un chien...

Oui, un chien possède des qualités ; et si on interroge les gens à son sujet, ils vous répondront qu'on trouve parmi elles la fidélité, l'obéissance, le sens de la famille, l'attachement...

Bien sûr, un chien, ça bave, ça perd ses poils et ça n'enterre pas ses crottes ; et là où le chat se frotte et ronronne pour obtenir ce qu'il désire, le chien tire la langue et affiche un air malheureux.

Un chien, c'est un animal de meute ; et dans une meute il y a non seulement un chef, mais toute une hiérarchie dans laquelle chacun est supposé tenir son rang. Pour ce loup domestique qu'on accueille dans nos maisons, la meute, c'est la famille. Et le chef, en principe, c'est le propriétaire du chien, dont la société attend qu'il éduque correctement son animal.

Près de chez moi, on trouve un espace de dressage canin. Des gens vont là avec Médor, Mirza, Whisky, Toby, Poupette ou simplement « le chien », dans le dessein qu'il apprenne à bien se tenir : marcher aux pieds, s'asseoir quand on le lui ordonne, rapporter la baballe, ne pas mettre les pattes sur le beau manteau de Tante Lucie, ne pas mordre le facteur même quand il apporte une vilaine facture, faire caca dans l'herbe (*) et non sur le trottoir afin de ne pas obliger son maître à ramasser l'objet du délit, ne pas aboyer pendant un quart d'heure même quand on lui dit de la boucler, etc. Tout un programme.

Près de chez moi, donc, des gens se réunissent par petits groupes, leur toutou au bout d'une laisse, pendant que l'instructeur explique comment faire marcher l'animal sans qu'il tire comme un chien de traîneau.

J'ai remarqué que le spécialiste donne de longues explications, que tout le monde écoute d'une oreille attentive. Tout le monde sauf les clebs, bien entendu, qui n'en ont rien à cirer de tout ce charabia et qui aimeraient bien batifoler à leur aise plutôt que de rester là comme des cons. Car, vous l'aurez compris, le dressage, ça ne s'adresse pas aux chiens. C'est le maître qu'il faut éduquer, pas l'animal.

Les chiens sont des êtres simples, qui apprennent vite à interpréter chacun de vos gestes parce qu'ils n'ont rien d'autre à faire que de vous observer ; ce qui fait que lorsque vous levez les fesses de votre fauteuil, Médor (ou Fido, ou Mirza, ou un autre nom) sait déjà bien si c'est pour aller pisser ou pour aller prendre l'apéro.

Si vous dites, en restant bien assis : « et dans dix secondes je vais me lever pour aller promener ce foutu clebs », sans insister sur « promener », par exemple, et sans esquisser le moindre geste ni jeter le moindre regard vers votre chien, il y a de fortes chances qu'il ne moufte pas. Mais au moment où vous allez poser fermement les deux mains sur les accoudoirs pour vous aider à vous arracher au confort de votre siège, son attention va s'éveiller. Et il saura déjà si vous vous levez pour quelque chose qui l'intéresse.

Un clebs, c'est comme ça. Inutile de faire des discours, il ne comprend que des mots brefs auxquels il est habitué et des gestes simples et sans équivoque. Vous pouvez même l'habituer à réagir à de simples sifflotements.

Alors, si les gens vont au dressage pour essayer de s'en sortir (entendez : se faire obéir) avec leur clebs, dites-vous bien que c'est eux qu'il faut surtout éduquer en premier. Et longuement.

Un exemple ?
Vous connaissez certainement cette suite d'ordres aboyés par le propriétaire d'un chien : « Viens, Mirza, viens ! Allez, viens ! Mais viens ! Est-ce que tu vas venir, oui ou non ? Allez, viens ! »
Et vous connaissez sans doute aussi cette seconde suite : « Va chercher la baballe, Mirza. Allez ! Allez, va chercher la baballe. Allez, la baballe... »

Le chien, qu'il s'appelle Médor, Fido, Mirza ou ce que vous voulez, est un être simple et logique. « Viens », c'est « viens ». « Allez », c'est « allez ». « Allez, viens » et « allez, va », c'est confus et ça l'embrouille.

D'où la nécessité d'être simple et logique. Un ordre est clair et ne doit pas se répéter parce qu'il doit être exécuté. S'il ne l'est pas, le maître n'est pas le maître. « Aux pieds ! » c'est « aux pieds ! » ; et tout de suite.

Au dressage, près de chez moi, on voit donc des gens qui ont, malgré tout, compris qu'ils devaient vraiment apprendre comment éduquer un chien et qui vont là pour ça. C'est déjà bien.

J'ai remarqué aussi qu'on y voit surtout de grands chiens. Et aussi quelques congénères de taille moyenne. Jamais de petits roquets. Les petits chiens, ils sont difficiles à éduquer. Les grands, c'est plus facile. Question de logique.

Imaginez cette scène de rue avec, arrivant d'un côté et tenant Mirza (quatre kilos toute mouillée) en laisse, mademoiselle Philémone et, se pointant de l'autre côté avec Médor (soixante-dix kilos après satisfaction d'un gros besoin) et son collier étrangleur, monsieur Aldebert.

Les réactions naturelles des deux clebs sont généralement de se diriger l'un vers l'autre ; Médor pour faire connaissance, Mirza pour attaquer hargneusement. Les deux « maîtres » vont s'efforcer de retenir chacun leur animal, ce qui paraît relativement aisé pour mademoiselle Philémone. De son côté, monsieur Aldebert, aux prises avec la force de traction intégrale de son 4x4 canin catégorie demi-lourds, a beaucoup moins de chances de réussir. Sentant le danger, mademoiselle Philémone finira peut-être par prendre Mirza sous son bras.

Voilà pourquoi ce sont les propriétaires de grands chiens qui vont au dressage ; et que ce sont aussi les grands chiens qui sont les plus faciles à éduquer, parce que leur taille impose presque d'elle-même des limites qui restent floues avec leurs congénères de poche. Ainsi, on ne leur permet pas le meilleur fauteuil, on ne les prend pas sur les genoux ou sous le bras, on ne tolère pas qu'ils envoient belle-maman sur le cul en voulant lui faire un gros câlin... bref, on les éduque. Un grand clebs bien éduqué est doux avec les enfants, méfiant envers les étrangers, ferme avec les chats.

Un petit chien bien éduqué, ça passe par un propriétaire qui veut vraiment rester le chef. Mais Mirza est si petite qu'on lui pardonne tout et qu'on lui tolère des comportements de tyran : manger avant tout le monde, prendre la meilleure place, grogner sur les visiteurs, aboyer après les passants, mordre le pantalon du facteur, tirer sur la laisse...

Tout compte fait, j'aime mieux Félix. Il n'en touche pas une, mais il sort tout seul, enterre ses crottes et fout la paix aux gens quand il a eu sa gamelle.

(*) Rien de plus hilarant, quand quelqu'un promène son chien (ou l'inverse, souvent), que d'admirer l'air détaché qu'il prend pendant que son animal souille l'espace public. Il faut impérativement regarder ailleurs, mine de rien, et se remettre en marche aussitôt que possible, en affectant de n'avoir rien remarqué.