Expression corporelle



"Expression corporelle" est un recueil de nouvelles écrites pour les grands. Les grands de plus de dix-huit ans, je veux dire. Parce que si vous êtes petit - petit de moins de dix-huit ans -, non seulement vous n'y comprendrez rien, mais en plus c'est interdit. Enfin, si, vous comprendrez peut-être, mais ça n'en sera pas moins interdit. Carré blanc. Cote catholique : pour adultes (avec réserves), comme on écrivait jadis par chez nous dans les journaux, lorsque la religion était encore prise au sérieux par beaucoup de gens.

Comme tout le monde peut accéder à cette page sans exhiber de pièce d'identité, c'est en termes choisis que je vais donc vous présenter ce recueil, qui compte six histoires.

La première vous permettra (si vous êtes grand !) de lire le journal intime de mademoiselle Clothilde, une jeune femme bien comme il faut qui découvre avec effroi que ses nouveaux voisins, dont la chambre à coucher n'est distante de la sienne que de l'épaisseur d'un mur construit à bon marché, ont de bruyantes pratiques intimes que la bonne éducation judéo-chrétienne réprouve vertement...

La seconde histoire vous emmènera (si vous êtes grand - je ne vais pas l'écrire chaque fois !) sur un champ de foire en compagnie de Kim et Rémi, deux universitaires amateurs de sensations. Ils y découvriront une baraque minable appelée "Haunted House", tenue par un petit vieillard miteux, et dans laquelle ils vont vivre une aventure tout à fait inattendue. Quand le fantastique se mêle à la sensualité, l'impensable est à portée de main...

Un homme qui rentre chez lui plus tôt que prévu et s'aperçoit qu'il est cocu, c'est banal. Qu'il découvre la scène sans faire d'esclandre ni même montrer qu'il est là et qu'il sait tout, c'est moins fréquent. Qu'il joue les attentistes dans les jours qui suivent, juste pour essayer de comprendre, c'est un peu plus surprenant. Mais quand il découvre soudain que les motivations de la coupable sont à des années-lumière de ce qu'il aurait pu imaginer, l'histoire prend une autre tournure : chaude et envoûtante.

Un quatrième récit vous conte les (més)aventures de Carole, la plus jeune et la plus délurée des filles de la famille. Entre des parents très bon-enfant et deux soeurs aînées qui jouent les rabat-joie, Carole passe ses vacances bourguignonnes à aguicher ses deux beaux-frères, avec lesquels elle a plus d'un oignon à peler. Une histoire rythmée, pleine d'humour, de soleil et de coquineries.

La cinquième nouvelle nous permet de retrouver le couple de la troisième (le type qui rentrait plus tôt et se découvrait cocu). La rencontre avec un artiste hors du commun a laissé chez Charline et son mari des marques indélébiles qu'ils n'aiment pas mettre au grand jour. Une rencontre inattendue va néanmoins bouleverser leur train-train quotidien, et leur montrer que le monde, parfois, est bien petit. Une suite tout aussi chaude sur l'amour entre couples.

"Mélanie était plutôt jolie, mais elle avait de gros seins"... Je sais, ça fait un peu bizarre de commencer une histoire de cette façon-là, mais dans certaines circonstances, une particularité physique qui peut sembler être un atout peut devenir un handicap. Ou quelque chose de difficile à assumer... Une histoire mâtinée d'humour et de tendresse, dont vous pouvez lire deux séquences en faisant jouer en sourdine un joli slow : "Nights in white satin".


Extrait


15 MAI :

Seigneur ! Quelle histoire ! Il faut absolument que je prenne ma plume pour coucher sur le papier le tumulte des sentiments qui m'assaillent !
Vais-je perdre la raison ? Ma main tremble tandis que j'écris et tente de me remémorer les événements qui se sont succédé ces deux dernières semaines... En réalité, je n'éprouve aucun mal à m'en souvenir, car tout reste encore bien présent dans mon esprit, mais les pensées se bousculent dans un si troublant désordre que je crains de ne jamais parvenir à les retranscrire fidèlement.

Tout a donc commencé au début de ce mois de mai, par un beau dimanche, lorsque mes nouveaux voisins ont emménagé. Les précédents locataires, des gens ô combien aimables, m'avaient avertie de leur départ, et c'est avec un pincement au cœur que je les ai vus s'en aller vers un autre toit. Leur petite famille, récemment agrandie, ne pouvait désormais vivre à l'aise dans un espace aussi restreint !
Quel contraste, depuis lors !
Ce jeune couple nouvellement installé mène si grand bruit que j'ai cru que le mur qui les sépare de moi avait tout à coup minci ! Jamais auparavant, malgré la présence toute proche d'un ménage avec deux enfants, je n'avais réalisé à quel point les maçonneries de l'immeuble sont mal insonorisées.

Lors de leur emménagement, les nouveaux occupants étaient accompagnés de quelques proches qui restèrent tard dans la nuit à déplacer avec fracas meubles et bibelots tout en s'interpellant à haute voix. Je n'ai trouvé le sommeil qu'à grand-peine, mais je me suis montrée compréhensive, un déménagement étant toujours un événement.
Il ne s'est guère écoulé plus de deux jours – ou devrais-je écrire « deux nuits » ? – avant que je n'acquière la conviction que mes voisins avaient installé leur chambre à coucher dans la pièce même où dormaient auparavant les deux filles des précédents occupants.

Doux Jésus ! Est-ce donc cela que l'on nomme « péché de la chair » ? Je ne sais pas. Je crains de ne plus le savoir. Initialement, j'ai cru qu'ils se disputaient. J'entendais des bruits et des éclats de voix, alors que je venais de me glisser entre mes draps, et j'ai immédiatement songé qu'ils seraient bien avisés de tenir leurs querelles d'amoureux dans la cuisine ou la salle à manger, plutôt que de l'autre côté de ce mur si léger qui les sépare de moi !
J'ai prêté l'oreille – Seigneur, pardonne-moi ! – et ce que j'ai ouï m'a donné à penser qu'ils étaient loin de se disputer. Sans être aucunement spécialiste en la matière, je ne doutais point qu'une femme se querellant avec son homme n'aurait probablement pas répété plusieurs fois, avec exaltation, « Oh, oui ! Oh, oui ! Oh, oui ! » tandis qu'il poussait des grognements que n'aurait point reniés un goret !

Il me revient que Maman m'avait conté, qui repose au cimetière à présent – paix à son âme ! –, que le devoir conjugal est un passage obligatoire pour toute femme désirant une descendance. « Tu enfanteras dans la douleur », as-tu dit, Seigneur, mais tu n'as pas précisé si l'étape permettant de semer la vie doit être également synonyme de souffrance.
« Ferme les yeux, pense à autre chose et souhaite que ce soit vite terminé », m'expliquait Maman. Et d'ajouter : « Avec Papa – qu'il repose en paix ! – c'était toujours vite terminé, grâce au Ciel ! ».

Les sons qui me parvenaient depuis l'autre côté du mur instillaient toutefois le doute dans mon esprit. Non seulement ce ne semblait pas vite se terminer, mais la voisine ne pensait certainement pas « à autre chose ». Je n'étais même pas sûre qu'elle fermait les yeux. Une nuit, en plus des « Oh, oui ! Oh, oui ! » qu'elle répétait à l'envi, j'ai cru entendre quelque chose comme : « Qu'elle est grosse ! Oh ! Comme elle est grosse ! »
Maman m'avait-elle menti ?

Chaque soir, l'oreille aux aguets, j'écoutais. Un matin, nous sommes sortis en même temps, et nous nous sommes dit bonjour avant d'échanger quelques banalités. Ils m'ont regardée et m'ont souri, mais j'ai nourri l'impression qu'ils se moquaient un peu de moi. Surtout quand j'ai glissé dans la conversation une discrète allusion à leur « tapage nocturne ». Ils n'ont pas émis de commentaire bien précis. Je me montrais indiscrète. Je ne les avais pratiquement jamais rencontrés jusqu'à ce jour et il me semblait impoli d'omettre de leur adresser quelques mots de bienvenue, mais aller plus avant dans l'évocation de leur vie privée était probablement déplacé.
Je n'aurais peut-être pas dû leur parler, finalement. J'aurais même dû éviter de les regarder. Les quelques instants passés ensemble sur le trottoir m'ont permis de mettre une image sur les sons que je percevais chaque soir et de me rendre compte à quel point ma nouvelle voisine est différente de moi.

Allongée dans mon lit, j'imaginais, en entendant les « Oh, oui ! Oh, oui ! », cette femme aux cheveux clairs dont j'avais aperçu la naissance des seins sous un chemisier échancré, les cuisses rondes sous une courte jupe, les ongles des orteils teintés de rose... j'imaginais donc cette femme complètement nue, couverte par son homme dans la moiteur de la chambre et la chaleur du lit. Je voyais cet homme, grand et musclé, à la peau bronzée et luisante de sueur, se saisissant de...
Non ! Je n'en pouvais plus, Seigneur ! Je voulais fermer les yeux, devenir sourde, trouver un sommeil qui s'obstinait à ne pas venir. Je me suis acheté des bouchons, que j'ai placés dans mes oreilles le soir avant de me coucher, espérant passer ainsi de meilleures nuits.

Ce vendredi, j'ai dû y renoncer ! Jeudi, je n'avais pas entendu le réveille-matin, et j'ai failli manquer l'autobus ! Je ne puis arriver en retard en l'étude. Maître Duponchel est très attaché à la ponctualité. Pourquoi devrais-je lui donner tort ? La ponctualité n'est-elle pas la politesse des rois ?

Nous sommes à présent dimanche, et ce soir je ne pourrai utiliser les boules antibruit de crainte de ne pouvoir me réveiller demain à sept heures ! Je prie afin qu'ils ne recommencent pas. Il arrive qu'ils se montrent calmes, comme quelques jours après leur arrivée lorsque j'ai supposé que Madame était indisposée, mais le répit fut de si courte durée que j'ai prestement chassé cette hypothèse !
J'écris « Madame », mais elle se prénomme Gabrielle. Elle me l'a dit, quand nous avons un peu bavardé. Lui, il s'appelle Jean-Louis, mais je le savais déjà, car elle crie souvent son prénom au milieu des « Oh, oui ! »

Il se fait tard. Tout reste tranquille. Je pose ici ma plume pour une ultime prière avant de me glisser sous la couette. Seigneur ! Accorde-moi une nuit paisible, au sommeil réparateur ! Mais si ce n'est point là ce que tu veux, Seigneur, que ta volonté soit donc faite !



16 MAI :

Je suis épuisée ! La nuit dernière, j'ai à peine fermé l'œil. Je guettais, enfouie sous les draps, les clameurs et gémissements qui ne pourraient manquer de traverser la minceur du mur, mais rien n'est venu ! Le calme absolu ! Pourtant, dans la soirée, j'avais entendu le bourdonnement de leur télévision et perçu quelques bruits de voix. Ils étaient donc bien présents ! Jamais auparavant je n'avais réalisé à quel point le propriétaire de la maison avait effectué une curieuse opération en aménageant deux logis au départ d'un seul ! Le vaste bungalow avec jardin avait été scindé en deux dans la recherche d'un profit locatif maximal. Et tant pis pour ce mince mur de séparation !

C'est incroyable comme le silence peut ressembler à du vacarme lorsqu'on n'a plus coutume de l'entendre ! D'entendre le silence, veux-je dire, pour autant qu'on puisse entendre du silence.

J'ai commis quelques bévues dont je ne suis pas coutumière, à l'étude. Fort heureusement, j'ai pu les rectifier avant que Maître Duponchel ne s'en aperçoive. Il est très à cheval sur la précision du travail. Je ne voudrais pas qu'il me gronde, il affiche déjà habituellement une humeur bougonne et, je l'avoue, il m'effraie un brin !
Je sais pourtant qu'il apprécie ma collaboration. Dernièrement, il m'a même complimentée.

— Vous faites de l'excellent ouvrage, Clothilde.

Mais il avait ajouté, d'un ton bourru :

— Ne pourriez-vous vous montrer plus gaie ?

Qu'entendait-il par là ? Je n'avais pas osé le lui demander, et de toute façon je n'en aurais pas eu le temps, car il avait immédiatement quitté le bureau pour aller déjeuner. Comment peut-on se montrer gaie lorsqu'on travaille chez un notaire ?
Quelques minutes plus tard, Félicie était entrée, un petit arrosoir à la main.

— Maître Duponchel est particulièrement grognon, aujourd'hui, avait-elle soupiré en abreuvant les plantes vertes.
— Vous trouvez ?
— Quand même. Pas vous ?
— Il m'a priée de me montrer plus gaie. Plus gaie ! Devrais-je rire davantage ?
— Ah, ben ! Il faisait peut-être allusion à votre tenue, hein, mademoiselle...
— Ma... ma tenue ?
— Ben, oui ! Vos jupes plissées, là, et vos petits cols serrés... Ça fait sérieux, je vous l'accorde, mais ça fait pas très gai ! Et puis, si vous voulez vous marier un jour, eh ben... Vous savez quoi, hein ! On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre !

J'avais médité là-dessus, et puis ça a commencé à me trotter dans la tête, surtout à cause de ma nouvelle voisine, Gabrielle. Sûr qu'elle devait attirer les regards des hommes, bien qu'elle eût déjà le sien !
Je me suis morigénée d'avoir de telles pensées. Je ne pouvais injustement la soupçonner d'être ce qu'elle n'était pas. Jusqu'à preuve du contraire, je me devais de la classer parmi les épouses fidèles, très attachées à leur mari !



17 MAI :

Encore le calme, la nuit dernière ! Seraient-ils lassés de leurs ébats ? Serait-ce une mauvaise période pour Gabrielle ? Quelle étrangeté ! À présent que j'ai droit au silence, j'en viens à regretter le bruit ! Une chose est sûre : si le tapage m'empêche usuellement de dormir, son absence ne génère pas l'effet inverse ! J'ai dû me lever pendant la nuit et me préparer une camomille. Il faudra que j'y pense avant de me mettre au lit, désormais. C'est une bonne boisson pour le soir.



19 MAI :

Je me sens mieux ! Ils demeurent plus calmes. Parfois, je les entends rire, mais je reprends peu à peu des forces, grâce à un meilleur sommeil. Mes voisins étaient probablement trop enthousiastes à la suite de leur emménagement. C'est vrai que l'habitation est idéalement située, avec une vue agréable depuis la baie vitrée qui donne sur le jardin et les alentours plutôt bien pourvus en espaces verts.

Peut-être ont-ils tenu compte de ma petite remarque au sujet de leur tapage nocturne et choisi de mettre la sourdine. Tant mieux !



22 MAI :

Est-ce l'arrivée du printemps ? La fièvre du samedi soir ? Ou tout simplement la fin d'une période défavorable ? La nuit dernière a été agitée. J'en frémis encore ! Je n'oserais transcrire ici tout ce que j'ai ouï, mais mes voisins paraissaient tenir la grande forme !
En rentrant de la réunion mensuelle du Cercle des Amis de la Feuille Séchée, où j'étais allée présenter les récentes trouvailles ayant enrichi mon herbier, j'ai croisé sur le trottoir quelques personnes qui s'en retournaient d'avoir passé la soirée avec Gabrielle et Jean-Louis, et auxquelles ces derniers lançaient des « au revoir » depuis la porte de leur logis.
Il devait être environ vingt-trois heures.

— Bonne nuit ! leur ai-je dit en rentrant chez moi.
— Oui, bonne nuit ! m'a jeté Gabrielle.

En fermant derrière moi, il m'a semblé entendre ma voisine pouffer, mais sur le moment je me suis cru victime de mon imagination.
J'avais hâte de me coucher. Les réunions du CAFS sont passionnantes, mais se terminent tard. Une fois dans mon lit, j'ai compris que la nuit ne serait pas tranquille. Au chaud dans les draps, j'ai bien vite réalisé qu'ils « remettaient ça ». Pardonne-moi, Seigneur ! J'aurais dû à ce moment faire usage de mes boules antibruit, mais la boîte était dans la salle de bain, ce qui m'a occasionné un temps d'hésitation – assez coupable – pendant lequel je me suis interrogée : « je me lève ou je ne me lève pas ? »
Je pense qu'elle disait, si j'ai bien tout compris :

— Hmmmm...hmmmmpfff... hllmmlllmmm...

En tout cas, quelque chose qui ressemblait à ça. Et puis, lui, c'était plus distinct :

— Aaah... Aaaah...

Il y avait aussi des :

— Oooh... Oh !

Et ça s'est terminé par :

— Aaaah... Aaaah... Arrête ! Arrête !

J'ai collé mon oreille contre le mur – oui, je l'avoue, je me laissais aller à quelque indiscrétion – pour mieux entendre ce qui se disait chez mes voisins. J'en ai honte, à présent, mais sur le moment ce fut plus fort que moi ! Mon corps frémissait, mais je n'avais pas froid. C'étaient des frissons d'origine nerveuse.

— Oui... Comme ça ! Encore... disait Gabrielle.

Jean-Louis ne répondait pas, alors elle a poursuivi :

— Oui... Oh ! Oui ! Oh, c'est bon ! C'est booooon ! Oh ouîîî ! Aaaaah... Aaah !

Et puis une série de cris qui en disaient long mais qui ne montraient rien, alors que j'aurais bien voulu voir ce qu'elle subissait qui lui procurait tant de plaisir. Je pouvais l'imaginer, mais malaisément puisque je n'ai nulle pratique de la chose...
Maman, m'as-tu menti, toi qui prétendais que le devoir conjugal n'a rien d'agréable ? Ou alors, c'était ce père que je n'ai pas connu qui te rendait cette chose difficile à supporter ?



1 commentaire:

  1. Bravo
    Excellent article, excellente approche.
    CONTINUEZ AINSI MERCI
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