dimanche 20 décembre 2020

Impact, impacter : Le nouveau langage schtroumpf

Vous connaissez tous les petits lutins bleus, inventés par le dessinateur de BD belge Pierre Culliford, alias Peyo, et qui apparurent pour la première fois dans une aventure de ses héros médiévaux Johan et Pirlouit intitulée « La flûte à six Schtroumpfs ».

Depuis lors, les Schtroumpfs sont devenus des héros à part entière, bénéficiant non seulement de leur propre série d'albums de bandes dessinées, mais aussi d'apparitions à la télévision et au cinéma d'animation. De multiples produits annexes ont également vu le jour, comme des marionnettes en matériaux divers, dont certains s'échangent à prix d'or auprès des collectionneurs.

On ne présente plus les Schtroumpfs, pas davantage d'ailleurs que leur langage très particulier, qui consiste à remplacer certains mots par le mot « schtroumpf » et, plus particulièrement, les verbes usuels par le verbe « schtroumpfer » conjugué à tous les temps. Le contexte rend néanmoins la langue schtroumpf très compréhensible, car il est le plus souvent extrêmement aisé de deviner quel verbe de la langue française se cache derrière « schtroumpfer ».

En quittant le domaine imaginaire des personnages de BD et en entrant dans la réalité, bien moins drôle, des actualités et des médias, nous constatons qu'une forme de langage « schtroumpf » est progressivement entrée dans les mœurs, qui consiste à remplacer des mots, verbes et expressions pourtant très significatifs par des mots « fourre-tout » qui soit ne signifient plus grand-chose, soit détournent de leur usage des vocables qui n'en demandaient pas tant. Il arrive même que ces mots utilisés à tort et à travers soient des néologismes ou des adoptions issues d'autres langues.

Actuellement, le verbe « impacter », anglicisme très contestable, est utilisé pour un oui ou pour un non dans nos médias, essentiellement au sens figuré. Le moindre reportage, le plus bref entretien diffusé à la radio ou à la télévision, se retrouvent truffés de ce vilain verbe « impacter », comme s'il s'agissait de combler un manque dans notre vocabulaire. Voici ce qu'en dit l'Académie française :

Le substantif Impact, désignant le choc d’un projectile contre un corps, ou la trace, le trou qu’il laisse, ne peut s’employer figurément que pour évoquer un effet d’une grande violence. On ne saurait en faire un simple équivalent de « conséquence », « résultat » ou « influence ».

C’est à tort qu’on a, en s’inspirant de l’anglais, créé la forme verbale Impacter pour dire « avoir des conséquences, des effets, de l’influence sur quelque chose ».

Difficile d'être plus clair !

L'Office québécois de la langue française a également son avis sur la question :

« On entend parfois le verbe impacter, particulièrement dans la langue des affaires. On lui donne alors le sens d’« avoir un effet, un impact sur » ou de « percuter ». En fait, en français, ce verbe n’est accepté sans réserve que dans le domaine de la médecine; il signifie « solidariser avec force deux organes anatomiques ou un organe et un matériel, de façon que leur pénétration soit solide et résistante ». C’est probablement sous l’influence de l’anglais to impact qu’on utilise ce verbe en français dans le sens d’« avoir un effet sur » ou de « percuter ». Il peut être remplacé, selon le contexte, par les verbes percuter, concerner, influencer, intéresser, toucher, viser, etc., ou encore par des locutions telles que avoir un effet sur, produire un impact sur, avoir une incidence sur, avoir des répercussions sur, avoir une importance pour, influer sur, agir sur, peser sur, jouer un rôle dans, se faire sentir sur ou se répercuter sur. »


Les anglicismes et autres néologismes n'ont toutefois pour moi rien d'antipathique lorsqu'ils visent à combler un vide dans notre vocabulaire ; une langue doit évoluer, se moderniser, tout en conservant son identité, son élégance et ses spécificités.

La crise politique belge, dont je vous ai déjà longuement entretenu et qui s'évertue, année après année, de mettre à l'épreuve aussi bien notre patience que notre sens du compromis, vient de connaître, au cours de l'année écoulée et de celle qui l'a précédée, de nombreux rebondissements qui ont sollicité l'imagination de nos chroniqueurs lorsqu'il s'agissait de décrire l'imbroglio dans lequel nos politiciens s'évertuent inlassablement à plonger le pays. Ajoutez-y la pandémie qui menace quotidiennement la bonne santé du citoyen et de son portefeuille, sa liberté de déplacement et ses apéritifs entre amis ; et vous comprendrez que les occasions de clamer à quel point ces calamités peuvent « impacter » notre quotidien se sont bousculées au portillon des bulletins d'information et continuent à le faire avec enthousiasme.

Dans le cadre de la défense du bon langage(*), je me permettrai donc de reproduire ci-après quelques-unes des approximations dont s'ornementent nos médias, ici en Belgique (mais peut-être est-ce un peu pareil ailleurs dans la francophonie), et qui peuvent susciter tantôt l'agacement, tantôt un sourire, lorsque ce n'est pas une franche hilarité.

Remercions nos journalistes, nos politiciens, nos enseignants, nos syndicalistes, nos travailleurs... de songer à nous divertir lorsqu'ils tiennent le microphone ou parlent dans celui qu'on leur tend (au bout d'une perche et coiffé d'une bonnette, actuellement).

« Certaines régions sont fortement impactées »

« Aider les secteurs impactés par le coronavirus »

« L'impact de la pandémie sur les pays d'Afrique »

Un jour, un responsable d'entreprise s'est même exclamé : « C'est impactant ! »

« Une forêt qui n'a jamais été impactée par l'homme »

Dans le genre, je préfère la forêt où la main de l'homme n'a jamais mis le pied.

Les exemples foisonnent, bien sûr, mais en aligner davantage aurait un effet lassant. Je préfère donc me pencher à présent sur d'autres joyeux exemples de maîtrise de notre belle langue française, entendus dans nos médias...

« Certaines écoles ont préféré postposer la rentrée à plus tard »

Une plus sage décision que de l'anticiper avant, pour autant que « plus tard » ne devienne pas « trop tard ». Et c'était à peu près pareil pour les voyages et les spectacles :

« Au jour d'aujourd'hui, il faut réserver son ticket au préalable »

Une autre manière de faire comprendre aux plus lents à la détente qu'il convient de s'y prendre à l'avance, tout de suite et sans tarder, même pour un train en retard.

« Beaucoup de monde s'y sont mis »

C'est à l'école qu'on apprend que quand c'est beaucoup, il faut le pluriel. Comme, par exemple, quand il y a plusieurs chevals et que, dans ce cas, on doit dire un chevaux.

« Il faudrait connaître la capacité de chaque hôpitaux »

Ce foutu pluriel donne beaucoup de fil (sans « s ») à retordre, semble-t-il...

« On a fait une vidéo sur comment on se lave les mains correctement »

C'est probablement pédagogique, mais ils auraient pu en profiter pour y inclure la manière d'en parler correctement.

« Pourquoi est-ce que vous devez le faire »

Eh bien, c'est justement expliqué dans la vidéo !

« C'est un confinement sensiblement différent que celui du printemps. »

« La pandémie n'est pas prête de s'arrêter ! »

« La situation va s'empirer ! »

Et quand ça s'empire, ça ne sent pas bon !

« Pour les remplacer, la Croix-Rouge recherche des profils aussi divers que variés. »

Un peu de tout, donc. D'ailleurs, on insiste :

« On n'a pas suffisamment de bras que pour faire face à la situation. »

Il faudrait donc trouver de nouvelles idées que pour nous en sortir,

« … voire même de créer des machines... »

Et les approximations ne concernent pas uniquement ce qui se passe chez nous :

« Après que Donald Trump soit passé à l'hôpital »

Quoique...

« Peu après qu'on ait détruit notre stock de masques... »

Oui, parce que quand même, en Belgique, on est très forts. En plus d'ignorer délibérément l'usage du passé antérieur, on détruit (au pire moment) un stock de masques périmés et on néglige de les remplacer.

En matière de remplacement, il fut soudain question d'entamer un petit jeu de « chaise musicale » mettant en scène quelques ministres et parlementaires :

« Quand Valérie Debue s'est faite évincer... »

Cela ne s'est donc pas bien passé, autant en grammaire qu'en politique. Mais laissons-là nos élus, qui manquent trop souvent de fantaisie, et penchons-nous sur l'histoire de nos régions :

« On extractait du charbon »

C'est pour vous dire à quel point c'était difficile !

« La grande peste de 1348 avait décimé plus d'un tiers de la population européenne. »

C'était il y a longtemps, donc on n'est pas sûr des chiffres. C'était peut-être le tiers, mais on envisage les neuf dixièmes.

Dans le chapitre sportif, on nous avait prédit très sérieusement (et la prédiction s'est ensuite vérifiée) que :

« Le Real de Madrid sera peut-être sans doute champion d'Espagne ».

Et plus tard, pendant un Tour de France cycliste très indécis et à la faveur d'une étape disputée « contre le chrono », on nous annonça que le coureur cycliste slovène Tadej Pogacar

« A assommé littéralement tous ses adversaires »

Ce qui nous a offert le premier Tour de France de l'Histoire remporté à coups de gourdin.

Là où nos reporters sont également très forts, c'est dans l'art du pataquès :

« Trump a reçu deux cent cinquante Zinvités »

« Une situation d'harcèlement sexuel »

« Des Zhamburgers »

Et je ne voudrais pas terminer sans attirer votre attention sur les expressions toutes faites dont nos médias belges raffolent :

« Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain »

« Sortir de sa zone de confort »

« Siffler la fin de la récréation »

« Tirer la sonnette d'alarme »

Ces deux dernières expressions sont – à nouveau – très utilisées en politique belge. C'est souvent notre Premier ministre (quel qu'il soit) qui siffle, et nos parlementaires (de tous bords) qui tirent.

 

Sur cette ultime bafouille d'une année 2020 très chahutée, je vous souhaite de très agréables et très intimes fêtes de fin d'année (nul besoin d'être en nombre pour s'amuser un peu) !


(*) « Dans le cadre de la quinzaine du beau langage, ne disez pas 'disez', disez 'dites'. » (Julos Beaucarne)

Edit 15/02/2023 :


Je vous livre ci-après une petite pelletée supplémentaire de beau langage bien au goût du jour.


- « En fait » : Intercalée un peu n'importe où dans la conversation, cette locution s'ajoute à presque toutes les explications qui nous sont fournies tant par les journalistes que par nos éminences dirigeantes, quand il ne s'agit pas de représentants syndicaux, de travailleurs interviewés ou de l'homme de la rue.

- « Du coup » : Cette expression semble prendre peu à peu la place de « par conséquent » et « en conséquence », aussi bien que des pourtant plus concis « alors » et « donc » ; quand elle n'est pas tout simplement ajoutée dans la phrase.


À titre d'exemple, je vous répète ci-dessous quelques lignes tirées du début du présent article et remises au goût du jour :


« Depuis lors, les Schtroumpfs sont en fait devenus des héros à part entière, bénéficiant non seulement de leur propre série d'albums de bandes dessinées, mais aussi d'apparitions à la télévision et au cinéma d'animation. Du coup, de multiples produits annexes ont également vu le jour, comme des marionnettes en matériaux divers, dont certains s'échangent en fait à prix d'or auprès des collectionneurs.

On ne présente plus les Schtroumpfs, pas davantage que leur langage très particulier, qui consiste en fait à remplacer certains mots par le mot « schtroumpf » et, plus particulièrement, les verbes usuels par le verbe « schtroumpfer » conjugué à tous les temps. Le contexte rend néanmoins la langue schtroumpf très compréhensible, il est du coup le plus souvent extrêmement aisé de deviner quel verbe de la langue française se cache en fait derrière « schtroumpfer ». »


(à suivre ?)



lundi 17 août 2020

Coronavirus : ceux qui n'ont pas eu de bol... et les autres

 Le titre de cette bafouille peut surprendre. S'il laisse entendre que des gens ont été servis par la malchance, il laisse aussi supposer que ça n'a pas été le cas de tout le monde et que, comme bien souvent, le malheur et la détresse des uns ont pu arranger les affaires des autres.


Bien sûr, les malchanceux sont les plus nombreux si l'on considère que, même sans être ou avoir été personnellement atteint par la maladie, presque tout le monde a eu, au minimum, à en supporter les effets parallèles, en tête desquels le confinement, l'entrave à certaines libertés et l'obligation d'obéir à de nouvelles règles sanitaires et de distanciation sociale ; mais, d'un autre côté, si l'on range ces contraintes dans la catégorie des « maux nécessaires », le nombre de vrais malchanceux peut être revu sérieusement à la baisse.


Nous n'en sommes pas à l'heure des bilans, loin de là, mais je vais néanmoins me permettre de brosser un tableau très personnel de la situation telle que je l'ai vécue et la vis encore, additionnée d'informations glanées dans mon entourage ainsi que dans les médias. Voici donc...



Ceux qui n'ont vraiment pas eu de bol :


Parmi ceux-là, il convient en premier lieu de ranger les malheureux qui ne sont plus parmi nous pour témoigner de leurs souffrances. Le virus donne à penser que nous ne sommes vraiment pas égaux face à la maladie et que s'il n'est actuellement pas possible d'affirmer, comme dans la fable, que tous sont atteints, force est de constater que la majorité des personnes testées ne ressentent aucun symptôme, même si elles sont réellement porteuses du virus.

Les malchanceux sont donc ceux qui sont partis alors qu'ils n'éprouvaient aucune envie suicidaire, leurs familles, leurs proches.

Malchanceux aussi, même s'ils ont eu au bout du compte la chance de s'en tirer, ceux qui ont souffert longuement, à cheval entre la vie et la mort, et qui maintenant tentent peu à peu de reprendre une vie normale malgré les séquelles que leur a laissé leur combat contre le virus

Parmi les malheureux, n'oublions pas nos aînés, enfermés dans leur chambre en maison de repos, privés de visites, de sorties, de distractions, et qui souffrent probablement aussi bien moralement que d'autres physiquement. Les laissés-pour-compte de la pandémie, c'est bien eux !



Ceux qui n'ont pas eu de bol non plus :


La santé étant notre bien le plus précieux et plaie d'argent n'étant pas mortelle, pouvons-nous néanmoins oublier de ranger parmi les malchanceux ceux qui ont perdu leurs moyens de subsistance ? Certainement pas ! Des entreprises ont mis définitivement la clé sous le paillasson, des travailleurs se sont retrouvés sans emploi et, pour nombre d'entre eux, sans revenu, même de remplacement.

Pas de bol pour eux, c'est incontestable, d'autant plus que le marasme économique qui sévit un peu partout n'est pas de nature à relancer l'emploi. Les moins malchanceux, parmi ceux-là, ont pu retrouver un job, soit parce que leur mise au chômage n'était qu'une mesure transitoire, certes désagréable, et que leur employeur a repris ses activités, soit parce qu'ils ont trouvé embauche ailleurs.



D'autres qui n'ont pas eu beaucoup de bol :


Si conserver son emploi en ces temps difficiles peut être perçu comme une situation enviable, n'oublions pas que tous les emplois ne se valent pas : salaires et conditions de travail peuvent être très divers.

En tête de liste des malchanceux ayant conservé leur job, on peut mettre les courageux risquant leur propre santé, souvent au prix de conditions de travail rendues pénibles, pour sauver celle d'autrui. Personnel soignant, vous êtes les héros de cette pandémie : trop souvent exposés, parfois atteints à votre tour par la maladie, vous pouvez entrer dans la catégorie des moins chanceux parmi les moins chanceux quand, après des jours voire des nuits de dévouement, vous succombez à votre tour face à l'ennemi. Nous ne vous remercierons jamais assez !



Encore pas de bol !


C'est moins grave, certes, mais quand même ! Il est des travailleurs que la crise n'a pas épargnés, même s'ils n'ont pas eu à soigner eux-mêmes les malades. Parce que s'ils ont eu la chance de conserver leur emploi, ils ont par contre eu la déveine de devoir modifier leurs méthodes de travail, de bosser davantage à cause de la pandémie elle-même ou pour suppléer à l'absence de collègues malades. Nombreux sont, parmi ceux-là, ceux qui ont dû renoncer à leurs congés ou les reporter, non pas parce qu'un tour-opérateur a dû annuler leur réservation, mais parce que le boulot supplémentaire les a privés d'un repos auquel ils auraient eu droit.

Cela viendra plus tard, certes, mais quand ? Quand les beaux jours seront passés, peut-être...


Pas de bol non plus pour ceux qui ont échappé à tout ce qui précède, mais n'ont pas la chance de disposer d'un grand espace vital, style maison à la campagne avec terrasse et jardin, et qui ont dû s'organiser vaille que vaille en télétravail dans un petit appartement avec des enfants qui courent et crient, un partenaire irritable devenant peut à peu insupportable et un manque d'oxygène qui finit par nuire à la meilleure des santés nerveuses.




Après ce sombre tableau dans lequel j'ai probablement omis de citer d'autres malchanceux, veuillez m'en excuser, je vais m'autoriser quelques paragraphes consacrés aux veinards, le malheur des uns faisant souvent le bonheur des autres, c'est bien connu. Alors, voici...



Les veinards :


Ils ont parfois bossé dur, se sont décarcassés pour trouver des solutions, du matériel de soin, des équipements de protection... et ils ont gagné du pognon. Beaucoup. La loi de l'offre et de la demande étant ce qu'elle est, quelques malins se sont enrichis ou sont en passe de le faire grâce à un petit business juteux. Quand vous proposez à la vente ce que tout le monde a besoin d'acheter, la fortune n'est pas loin.

Les veinards les plus cyniques sont évidemment ceux qui prêtent. Avec intérêts. Les États s'endettent pour surmonter la crise, les banques se frottent les mains. Avec cynisme puisque lorsqu'elles sont en difficultés (comme en 2008), c'est aux finances publiques qu'elles font appel.


Il existe d'autres veinards qui, tout en ayant été privés de leur boulot pendant des semaines, voire des mois, ont néanmoins conservé leur salaire et leurs droits. Pas de chômage temporaire, non. Juste une période d'inactivité professionnelle néanmoins rémunérée comme si de rien n'était. J'en connais. Des tas. Ce n'est pas une majorité, tant s'en faut, mais une quantité non négligeable. Et, ne riez pas, certains d'entre eux sont actuellement en vacances, comme ils l'avaient normalement prévu.



Et celui qui rédige ces lignes, demanderez-vous, dans quelle catégorie se range-t-il ?


Eh bien, je vous l'avoue, je n'ai pas souffert du coronavirus, bien que des proches ont été testés positifs parce qu'ils en ressentaient les symptômes. Peut-être l'ai-je contracté sans m'en apercevoir. En tout cas, j'ai conservé mon job, mais j'ai dû revoir mes méthodes de travail. Les heures supplémentaires non prises en compte (autrement dit ni rémunérées, ni récupérables) ont été et sont encore mon lot. J'ai dû ouvrir régulièrement ma messagerie professionnelle pendant les deux semaines de vacances que j'avais prises... pour travailler dans la maison et au jardin.


Pas de bol pour mon blog, que j'ai négligé encore plus que de coutume, mais je demande à bénéficier de circonstances atténuantes. Enfermé dans mon bureau à longueur de journée devant mon ordinateur, télétravail oblige, je n'ai qu'une envie lorsque ma journée se termine ; sortir d'ici et prendre l'apéro sur ma terrasse.

Car j'ai du bol : un emploi stable, une maison, un jardin, une terrasse, une bonne petite vie de famille et – croisons les doigts – une santé convenable.




samedi 21 mars 2020

Ce coronavirus qui va changer nos vies

Je sais qu'en ce moment, le Monde entier ne parle que de cela, à un point tel que la crise politique belge en est passée au second plan, l'émission « The Voice » aux oubliettes (non, pas encore, mais on peut toujours rêver...) et les vacances au soleil dans la catégorie des plans sur la Comète ; mais je vais néanmoins m'autoriser une petite bafouille sur la question.

Ne regardez surtout pas en l'air !

C'est probablement l'association de notre curiosité naturelle et de notre esprit de contrariété qui veut cela, mais si vous plantez sur le trottoir un panonceau avertissant « ne regardez surtout pas en l'air ! », les passants vont naturellement faire le contraire de ce qui leur est recommandé et, instantanément, lever le nez au lieu de regarder où ils posent les pieds. Le second panneau, placé quelques mètres plus loin, énonçant narquoisement « vous savez à présent pourquoi vous avez marché dans la merde » sera pris pour une injure plutôt que pour une piqûre de rappel.

Tout cela pour vous dire que, à l'évidence, il était inutile de lancer des appels à la population pour leur dire que nous n'étions pas à l'aube de la Troisième Guerre mondiale, qu'il n'y avait aucune pénurie en vue et qu'il était non seulement inutile mais également contreproductif de se ruer dans les boutiques pour faire provision de denrées de première nécessité telles les pâtes, le riz, la farine, le sucre, le sel, le café, le lait ou le papier de toilette.
Le papier de toilette ! Le PQ ! Je vous en ai déjà parlé, du PQ, mais jamais je n'avais imaginé que ça pouvait être un produit de première nécessité. Non qu'il soit inutile, certes, puisque sans lui nous serions plutôt em*dés dans certaines situations, mais ça n'a quand même rien de dramatique d'en manquer. Surtout qu'il n'y avait aucune rupture de stock à envisager. Mais voilà : des acheteurs angoissés ont surchargé leur chariot, les rayons des supermarchés se sont vidés et des clients se sont mis sur la g* parce qu'ils ne parvenaient pas à se partager le dernier pack de six rouleaux ! Le magasinier essayait par ailleurs d'arriver jusqu'au présentoir avec son transpalette, mais la foule l'a déshabillé (le transpalette, pas le magasinier) avant le terme de son court trajet.
J'ai tenté de comprendre ce qui motivait cette ruée, essayé de savoir s'il était possible de se fabriquer des masques respiratoires avec du PQ ou de l'utiliser en remplacement des pâtes et du pain, mais non. Rien de tout cela. Il paraît que disposer d'un stock de PQ à la maison, c'est sécurisant. Moi, ça ne me sécurise pas, ce truc-là. Je ne suis pas psychologue, mais je me dis qu'on arrive toujours bien à s'en tirer. Confinés à la maison et tant qu'on dispose de l'eau courante, je ne vois pas de raison de paniquer sur la question.

Donc, esprit de contrariété, stupidité et égoïsme obligent : on désobéit. On ne suit pas les recommandations, on brave les interdictions. Des abrutis organisent des « rave-parties » clandestines, des optimistes s'entassent dans les bistrots et les restos pour profiter des dernières heures avant la fermeture obligatoire, comme si le confinement était ordonné uniquement pour les faire ch*r (ça aide à comprendre le rush sur le PQ, peut-être) en les privant de liberté et que le covid-19 allait sagement attendre minuit avant d'essayer de se répandre d'un individu à l'autre.

Je ne suis pas du genre moutonnier, mais ça ne me semblait pas sorcier de réaliser que moins on s'approche les uns des autres, plus on a de chances d'enrayer la progression de cette saloperie. Enfin ! dirai-je en soupirant – essayez, ce n'est pas évident – avant de passer à autre chose...

Le coup de pied aux fesses

Pour toutes sortes de raisons qui ont trait à la fois à l'écologie, à la lutte contre le stress, au désengorgement du réseau routier, à une meilleure flexibilité opérationnelle, à la rentabilité financière et à l'évolution technologique, on évoquait le télétravail, les horaires adaptés de manière à mieux concilier les obligations professionnelles et les aléas de la vie privée (ou vice-versa), sans toutefois passer vraiment à l'acte.
Il y avait des freins à cela : le besoin des patrons de garder le contrôle de leurs employés, le peu d'enthousiasme de certains travailleurs à se priver des relations sociales en entreprise ou à devoir s'aménager au domicile un coin calme dédié au taf pour lequel ils sont rétribués, le manque d'outils de travail adaptés ou suffisamment maîtrisés, une frilosité économique entretenue par le peu de points de référence fiables quant à la rentabilité de l'opération...

L'an dernier, une expérience de télétravail avait été menée au sein de l'entreprise qui recourt à mes services. Sur base volontaire, plusieurs employés s'étaient livrés à l'exercice : bosser depuis leur domicile aussi efficacement qu'ils le faisaient dans leur bureau, auprès de leurs collègues. Les motivations de ceux qui s'étaient jetés à l'eau étaient diverses : s'épargner des déplacements fastidieux et stressants, aménager un horaire mieux en harmonie avec leur vie privée, fuir un lieu de travail jugé trop bruyant ou, comme dans mon cas, tromper la routine en relevant un défi organisationnel.

Les raisons pour lesquelles ceux qui avaient tenté l'aventure ont remis un rapport peu enthousiaste, à l'issue de l'expérience, étaient aussi très diverses. Le gain en temps de déplacement n'était pas toujours compensé par un gain de productivité, soit par la faute d'une mauvaise adaptation technologique ou psychologique, soit à cause du manque de concentration occasionné par la présence à la maison d'autres membres de la famille, soit encore en raison du manque de contacts sociaux. L'autonomie professionnelle, cela exige de l'organisation, de la discipline, de l'esprit d'initiative et un sens des responsabilités que ne se mettent pas en place en deux coups de cuiller à pot. Sauf si...

Sauf si, contraints et forcés par les circonstances, patrons et travailleurs se trouvent mis au pied du mur : imaginer des solutions, les mettre en place et les rendre efficaces.

Notre vie ne sera plus la même

Ceux qui survivront au covid-19 verront la vie autrement. Cet ennemi invisible, impitoyable et sournois est occupé à changer le Monde. Des chiffres commencent à sortir, autres que ceux de la loterie et des statistiques nécrologiques. Le confinement, les rues vides, le tourisme en léthargie forcée, les voyages et déplacements strictement limités... tout contribue à modifier notre société.

Ce qui paraissait difficile voire impossible la semaine dernière s'envisage ou se réalise aujourd'hui. De chez soi, on fait beaucoup de choses. On travaille, on s'occupe, on réagit, on invente. On trouve des manières de s'entraider, on apprend à s'approvisionner en circuit court. Pour le monde des affaires, pour les traders, les temps sont durs. Les États trinquent. La sacro-sainte croissance économique prend un bon coup dans l'aile. Chacun perd de l'argent, de diverses manières, mais chacun doit trouver des solutions pour passer le cap. Nous gagnons moins, mais nous dépensons moins. Nous mettons nos priorités sur l'essentiel.
Ce qui ne nous tuera pas nous rendra plus forts, selon la formule consacrée.

Rien, désormais, ne sera pareil pour un Monde qui apprend de ses erreurs. Il y aura un après-coronavirus. Un coup de frein à la folie collective et, je l'espère, un retour à l'essentiel : une vie plus saine, plus simple, mieux en harmonie avec la Nature.

En attendant des jours meilleurs, prenez soin de vous !

mercredi 19 février 2020

La vanne thermostatique

Voilà un truc que j'aurais pu ranger dans la catégorie des objets qui énervent ; mais, tout bien pensé, je m'en suis abstenu, car la vanne thermostatique est quand même une chouette invention. Un peu comme le PQ qui, même s'il n'a pas grand-chose à voir avec une pièce de chauffage central, est une belle trouvaille lui aussi. Mais je vous parle du vrai PQ, multicouches pour éviter de trouer au mauvais moment, constitué de pure ouate de cellulose très douce pour le bienfait des fosses septiques et le respect des hémorroïdes.
Ce ne sont pas là des objets qui énervent par leur nature, mais plutôt par l'usage qu'on en fait.

La vanne thermostatique, donc, quand elle agace les nerfs, c'est quand quelqu'un y a touché. Et que ce même quelqu'un a oublié qu'il y avait touché.

Pour vous donner un exemple concret, qui peut-être vous rappellera l'une ou l'autre situation que vous auriez personnellement vécue, parlons des vannes thermostatiques installées sur les radiateurs du chauffage central, dans le bâtiment où je trime comme un dingue pour un salaire de misère (ou l'inverse, selon mon patron).
La chaudière, qui a pour elle le mérite de non seulement chauffer, mais en outre de respecter les consignes – et ça, ce n'est pas le cas de tout le monde ! – la chaudière, donc, se met respectueusement en veille à dix-huit heures pour redémarrer le lendemain à six heures. On appelle cela une gestion intelligente de l'énergie ou, plus prosaïquement, une mesure d'économie. Et le week-end, c'est la léthargie générale, sauf s'il gèle à pierre fendre, auquel cas elle se remet en route afin d'éviter des dégâts aux tuyauteries. Brave chaudière, gérée comme il faut.

Comme la maison est grande, les bureaux diversement occupés et les gens qui les fréquentent pas tous aussi frileux les uns que les autres, la température dans les pièces est gérée par des vannes thermostatiques.

Or, à l'inverse du thermostat d'ambiance auquel on confie des consignes de température liées à une horloge et un calendrier, la vanne thermostatique ne fait rien d'elle-même, sauf une seule chose : laisser passer l'eau ou l'empêcher de passer, suivant qu'il fait suffisamment chaud dans la pièce.

En pratique, par exemple, une tête de vanne graduée de zéro à cinq ne laissera passer l'eau, quand elle est à zéro, que si le gel menace ; alors qu'à l'opposé, sur le repère « 5 », elle ne l'arrêtera probablement jamais. Les graduations intermédiaires correspondent plus ou moins à certaines températures, mais devant le manque de précision du dispositif, les fabricants préfèrent éviter d'y graver lesdites températures. Toujours est-il que « 3 » correspond bien souvent à une ambiance de plus ou moins 20°C. La bonne sélection pour un bureau, sans doute.

Une des principales caractéristiques des vannes thermostatiques, c'est qu'elles fonctionnent en « tout ou rien ». L'eau passe si la température sélectionnée n'est pas atteinte, elle ne passe pas dans le cas inverse.
Et une des principales caractéristiques de ceux qui se mêlent d'y toucher, c'est de fonctionner en « tout ou rien » eux aussi. Ainsi, quand une de vos collègues est en proie aux vapeurs annonçant sa prochaine ménopause, il est probable qu'elle estime que la température de 20°C est trop difficile à supporter et que, dans un geste agacé, elle tourne la vanne sur zéro. « Pour que ce truc arrête de chauffer », même s'il ne chauffait déjà plus à ce moment-là. Évidemment, en quittant les lieux le soir, elle aura oublié son geste et, si personne ne s'assure à sa place que la vanne a été remise en position, le lendemain matin, ça va cailler ferme dans le bureau pour autant qu'il fasse un peu froid dehors.

De manière compréhensible, la première personne arrivant sur les lieux, réalisant à quel point il fait frais dans le local, va s'empresser de rouvrir la vanne. Et, « pour que ça chauffe plus vite », elle va la positionner sur « 5 ». À fond. Or, je vous l'ai dit, une vanne thermostatique, ça n'a pas davantage de cervelle que ceux qui n'essaient même pas de comprendre son fonctionnement. Le radiateur va donc chauffer, chauffer, jusqu'à ce que quelqu'un trouve qu'il fait étouffant et repositionne la vanne sur zéro. « Comme ça c'est coupé », dira cette personne en s'épongeant le front et en grommelant un « je me demande qui a encore foutu cette vanne à fond ».

À ces gens-là, vous avez beau leur expliquer que non, le radiateur ne chauffe pas plus vite et plus fort quand la vanne est à « 5 », mais qu'il va chauffer inlassablement jusqu'à dix-huit heures quand la consigne de la chaudière (intelligente, celle-là) prendra le dessus (depuis la cave, il faut le faire). Ces gens-là s'entêtent. Et si vous leur dites de « laisser une bonne fois pour toutes cette putain de vanne sur trois, ou deux et demi, ou trois et demi » ; et qu'elle se chargera du reste, c'est-à-dire de ne faire cuire ni geler personne, ils estimeront que vous avez un mauvais caractère et que vous n'y connaissez rien.

C'est la caractéristique de l'ignorant qui s'ignore : il s'entête dans son ignorance, parce qu'il pense avoir raison. De toute bonne foi. Le genre de personne qui va vous répondre, quand vous lui montrerez une page du Bescherelle, du Larousse ou du Grevisse, « qu'il y a des tas de conneries, dans ce bouquin ».

Donc, la vanne thermostatique, ça se manœuvre avec délicatesse. Un peu à la fois. Si « 3 », c'est trop chaud, « 2,5 » conviendra. Inutile de s'énerver. Pas la peine de risquer de se tordre le poignet. Un peu de doigté suffit amplement.

Mais, je l'ai dit, bien que la vanne thermostatique soit une belle invention, il suffit de la mettre à disposition de mains maladroites dirigées par des esprits obtus pour qu'elle devienne un objet qui énerve. Un objet qui tantôt jette un froid, tantôt échauffe les esprits.

C'est trop triste. Trop injuste.
Elle ne mérite pas ça, la vanne.