mardi 26 décembre 2017

Les fous sont lâchés !

En cette période de fêtes, j'aimerais bien faire montre d'optimisme, mais j'avoue que c'est compliqué. Et quand on est comme moi plutôt enclin à suivre les actualités, à se tenir informé et à rester curieux de tout, cela ne simplifie guère les choses.

J'ai cette particularité, que partagent bien entendu les gens de ma génération, d'être un de ces hommes qui n'ont pas vu l'ours, mais qui ont longuement côtoyé et côtoient encore des hommes et femmes qui, eux, l'ont vu de près. Ces hommes et femmes, ce sont mes parents et grands-parents, oncles, tantes et leurs amis qui ont vécu assez longtemps pour pouvoir me raconter directement les principaux faits majeurs ayant émaillé leur existence bien plus difficile que la mienne.

Nombre de ceux-là, que j'ai fréquentés mais tous disparus aujourd'hui, avaient survécu à deux conflits majeurs et ne manquaient jamais de raconter les événements dramatiques, les traumatismes qu'ils avaient subis et toutes les douleurs, peines et privations qu'ils avaient endurées. La guerre, c'est horrible. Et à chaque fois, lorsqu'elle est terminée, on promet « plus jamais ça ! », les yeux rauques et la voix embuée – ou plus logiquement le contraire.

Après la fin de la Première, seuls les plus grands optimistes se sont évertués à croire, niant l'évidence qui s'agitait devant leur nez, que cette Première serait aussi la dernière. Les autres, qui pourtant avaient senti venir la Seconde, n'ont rien fait ou rien pu faire pour l'empêcher d'éclater.

Les signes avant-coureurs étaient pourtant bien là : frustrations et rancœurs engendrées par un passé douloureux aux conclusions injustes et aux sanctions insupportables pour ceux qui avaient fauté et tentaient vainement de se reconstruire ; crise économique née par la grâce de ceux qui font métier de s'enrichir en jouant avec l'argent d'autrui ; peur et haine de l'Autre entretenues par d'habiles tribuns n'ayant trouvé moyen d'arriver et de se maintenir au pouvoir qu'en désignant des boucs émissaires seulement coupables d'être venus d'ailleurs ou d'être un peu différents.

Grâce à ces excités agitant l'épouvantail de la haine, nos parents et grands-parents ont subi la Deuxième. L'horrible Seconde Guerre Mondiale. La dernière aussi, déclamerait-on après qu'elle serait finie, le tout sur fond de drapeaux, de gerbes mortuaires, de flambeaux et d'hymnes nationaux entrecoupés de « plus jamais ça ». Car il ne fallait pas oublier. Il fallait filmer, photographier, raconter.

Alors, moi qui n'ai pas vu l'ours mais qui ai vécu avec des gens qui l'ont vu de près, je frémis aujourd'hui en constatant que les fous sont à nouveau lâchés. Pas seulement là où l'on se bat depuis de longues années ; mais ailleurs, dans des pays en paix où la merde noire que l'on croyait, que l'on espérait enfouie à jamais, est en train de refaire surface.

Au début, on s'offusquait : « Non, jamais avec l'extrême-ceci ou l'extrême-cela » ; « Oui, de tels propos sont intolérables » ; « Non, ce ne sont pas là les valeurs démocratiques que nous défendons avec force ». Mais à présent, on s'indiffère. On cesse de s'étonner, de protester, de punir. Les discours belliqueux, les slogans faciles, la peur de la différence, le protectionnisme, l'isolationnisme... on ne les conteste plus que du bout des lèvres au lieu de les sanctionner. Mieux : on les banalise, on les approuve un peu, on les soutient beaucoup ou l'on choisit lâchement de se taire et de laisser dire avant de laisser faire. Car laisser dire aujourd'hui, ce sera laisser faire demain.

Par la porte ou par la fenêtre, la haine se hisse au pouvoir dans de nombreux pays, souvent aidée par l'opportunisme de ceux qui préfèrent choisir le camp de la lâcheté, toute honte bue, fraternisant et pactisant avec le diable au lieu de s'en méfier ou de le renvoyer au fin fond des enfers. En quelque sorte, les collabos sont déjà actifs avant la guerre.

C'est un message bien triste, bien alarmiste que je poste sur mon blog en cette fin d'année. Ce ne sont que des mots, mais je les ai écrits. Ce sont des phrases que je pense et qui, peut-être, me seront un jour reprochées, même si j'espère ardemment qu'un tel jour ne naîtra jamais.

Je souhaite au Monde entier une heureuse et paisible année 2018, quitte à être entièrement d'accord avec le pape François. Quant à vous, mes lecteurs, à vous qui êtes aussi égaux que les autres sont égaux parmi les égaux, je vous souhaite, par contre, une heureuse et paisible année 2018.