lundi 15 décembre 2014

Ce fichu droit de grève !

Dans le climat social qui sévit actuellement en Belgique, certains n'hésitent pas à vouloir s'en prendre au droit de grève au nom du droit au travail, formule facile maintes fois utilisée par le patronat et certains salariés qui préfèrent que d'autres aillent au feu à leur place pour la défense des droits acquis.

Récemment, un article – non signé – a été publié dans le journal « Métro », distribué gratuitement dans les gares. Entouré d'un cadre (!), le réquisitoire s'intitulait « Imaginez que... »



Analysons paragraphe par paragraphe le brillant pensum.



Alors donc voilà. Imaginez, les enfants, que ces braves patrons ferment boutique, eux qui n'entretiennent leur business que pour nous faire plaisir, pour nous permettre de vivre décemment. Imaginez qu'ils abandonnent tout ça parce que nous, salariés ingrats, refusons de reconnaître leurs mérites, leurs objectifs philanthropiques. C'est vrai, quoi : on n'est jamais contents. On veut se mettre en grève. C'est fou, non ?
Et en faisant ça, on priverait les pouvoirs publics de milliards d'euros normalement destinés à soutenir la prospérité du pays, à payer le salaire des fonctionnaires, à financer la sécurité sociale.

Donc, si j'ai bien compris, en plus de procurer de l'emploi à des millions de personnes, les patrons d'entreprise alimentent généreusement les finances de l'État de manière à ce qu'Il puisse redistribuer ces richesses, pour le plus grand bien de tous, via la sécurité sociale.
Moi, j'ai toujours eu l'impression que la sécu, c'était les travailleurs qui la payaient avec les trente-cinq à quarante pour cent d'impôts directs retenus sur leur salaire et la TVA qu'ils acquittent à chaque fois qu'ils achètent quelque chose ; alors qu'au contraire les patrons ne paient que quelques maigres pour cent d'impôts pour ne pas dire aucun. Comme on peut se tromper, n'est-ce pas ?


Quitter le pays ! Un comble ! C'est vrai que les travailleurs qui partent en grève, ça incite les patrons à mettre la clé sous le paillasson et à délocaliser. Enfin, c'est ce qui est expliqué sur le papier.
Là encore, je me trompais. Moi, je pensais qu'en réalité, les grèves, on les faisait justement quand les patrons décidaient de restructurer ou d'aller s'établir ailleurs. Je pensais qu'on les faisait pour inciter les pouvoirs publics à intervenir et pour attirer l'attention de nos compatriotes sur une manœuvre malhonnête consistant à mettre des travailleurs au chômage en allant produire ailleurs où les salaires sont moins élevés.
Moi, je croyais que les patrons des multinationales étaient contents de rester chez nous où les travailleurs sont qualifiés et productifs, et où les dirigeants de droite libérale leur assurent de ne pas payer d'impôts ou de les récupérer via un système d'intérêts notionnels.
Comme je me trompais !


Les jeunes ne veulent plus devenir entrepreneurs. C'est aussi à cause des ouvriers qui font grève.
Je l'ignorais aussi, mais c'est comme ça, apparemment : les grèves, ça empêche des jeunes d'ouvrir des entreprises. Ce sont sans doute les patrons qui les aident à lancer leur propre business, mais comme ils sont fâchés à cause des syndicalistes gréviculteurs, ils ne veulent plus donner un coup de pouce aux jeunes entrepreneurs.
Encore une fois, je me trompais. Moi qui croyais que les nouvelles entreprises étaient aidées par l'État belge, dans les premières années, au moyen d'allègements des charges et d'aides à l'emploi...
Ah ! Oui ! Mais j'oubliais : ce sont les patrons qui alimentent les finances de l'État.


C'est vrai que nous avons une dette colossale. Mais moi, je pensais que les dettes, c'était quelque chose d'inévitable. D'ailleurs, si je n'avais pas emprunté, je n'aurais rien de ce que j'ai maintenant.
Je croyais qu'une dette, ce n'est préoccupant qu'à partir du moment où on ne peut plus la rembourser.
Je me trompais.
À force de refuser les réformes indispensables (diminutions des dépenses de l'État, économies dans la sécu...), nous allons nous enfoncer dans l'endettement. Il serait quand même plus simple de revendre au secteur privé quelques grosses entreprises d'État afin de dégager des liquidités qui permettraient de rembourser une partie de notre dette !
Vous imaginez ? Si on écoute les syndicalistes, les socialistes et les gens de gauche, on va continuer à s'endetter et ce n'est pas bon. C'est même très mauvais.
J'ai des remords, maintenant. Je n'aurais jamais dû m'endetter. Je serais probablement à la rue ou peut-être que je vivrais dans un taudis, mais au moins, je n'aurais pas contracté de dettes.


Alors là, c'est la catastrophe : nous vivons plus longtemps. Donc nous devrions travailler plus longtemps pour financer nos pensions, parce qu'au rythme où nous progressons, les finances de l'État vont capoter.
Je veux bien, moi, mais je pensais que c'était les patrons qui finançaient l'État et assuraient la prospérité de la population. Or, dans l'article, il est écrit que « les travailleurs devraient payer plus pour davantage de personnes retraitées ». Donc, je me trompais, ici plus haut. Ce ne sont pas les patrons qui soutiennent la sécurité sociale, mais bien les salariés.
Donc, en fait, je ne me trompais pas.
C'est bizarre, comme on peut se tromper ou, plus précisément, essayer de nous tromper.


Et on a gardé le meilleur pour la fin : les grèves, ça ne sert à rien. Paralyser le pays, ça ne va pas régler les problèmes. Au contraire : ça va contribuer à torpiller les finances publiques et la sécurité sociale. C'est fou ce qu'elle déguste, la sécurité sociale.

Vous savez quoi ? Il faudrait interdire les grèves.

Et je profite de ma journée de grève (celle où je me suis empêché moi-même d'aller au boulot) pour vous l'écrire.

3 commentaires:

  1. Parfait ! J'adore !

    J'ai été sidéré en lisant le tract que tu mets en début d'article ; c'est presque étonnant que ce genre de trucs ait droit de cité dans un journal gratos.

    Mais je me suis délecté en lisant tout ce qui suit. C'est formidable.
    Et au moins, c'est rassurant de se dire qu'on n'est pas seul à penser des trucs de ce type.


    En fait, c'est tellement absurde, comme raisonnement, qu'il faudrait sans doute pouvoir répondre un truc encore plus énorme allant dans le même sens. À la manière des fausses lettres de la sécu qui s'adressent directement aux assurés pour leur dire qu'ils coûtent trop cher.

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    1. Oui, la lettre ci-après...
      J'avais déjà vu ça (mais on ne me l'avait pas envoyée - j'ai encore de la marge pour la limite d'âge).
      Je n'aime pas les grèves, encore moins les piquets de grève et sûrement pas certaines méthodes utilisées comme celle qui a fait le buzz hier (un leader syndical mettant le bronx dans une boutique dont le gérant refusait de fermer). Le droit au travail est à respecter aussi bien que le droit de grève. Par contre, quelques barrages filtrants, juste pour conscientiser, pourquoi pas ?
      Quand les travailleurs partent en grève pour tenter de préserver des acquis sociaux que nos parents et grands-parents ont obtenu de haute lutte, je pense que tout le monde est plus ou moins concerné. Du moins les salariés.
      Un salarié qui n'est pas solidaire, c'est son droit, mais dans ce cas pouvons-nous considérer qu'il est content de son sort ? Qu'il est d'accord avec les restrictions ?
      Souvent, il n'est pas solidaire parce qu'il sait que d'autres se battent et qu'il profitera de leur possible victoire.

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  2. Un sombre truc comme ça qu'il faudrait prendre le temps d'adapter...



    Caisse d’Assurances Sociales et de Compensation
    U.R.S.S.A.F
    Bruxelles, le 15.12.2014


    Monsieur

    Vous avez, selon nos listes de contrôle, atteint la limite d’âge prescrite.

    En conséquence, d’après nos statistiques, votre vie n’offre plus aucun avantage à la Société, mais apporte au contraire une charge supplémentaire à la Caisse d’Assurances Sociales et de Compensation et des désagréments pour votre entourage.

    C’est pourquoi vous recevrez, en vertu de la Loi du 28 février 1959, Article 317, alinéas 2 et 3 du Code des Obligations, l’ordre de vous présenter au crématoire municipal du cimetière, trois jours après réception de la présente convocation, à 9 heures du matin, devant le four n°2, clapet 3, pour nous permettre de procéder à votre incinération.

    Afin d’éviter tout danger d’explosion, ordre vous est donné dès à présent de ne plus absorber d’alcool, sous quelque forme que ce soit.

    Par mesure d’économie, vous voudrez bien vous faire administrer un lavement à l’eau de javel, pour chasser les mauvaises odeurs.

    D’autre part, le matin de votre incinération, vous devrez absorber à jeun un litre d’huile pure, le rectum fermé hermétiquement avec un bouchon de liège paraffiné.

    Veuillez apporter avec vous :
    - une corbeille de bois de sapin sec
    - un sac pour les cendres
    - un pot pour les goudrons.

    Une demande d’ajournement de l’incinération ne pourra être prise en considération que si vous pouvez prouver que vos impôts de l’année en cours ne sont pas payés.

    Afin d’éviter tout accident désagréable, nous vous prions de bien vouloir vous présenter seul, c’est-à-dire non accompagné de vos parents et encore moins de vos créanciers.

    Veuillez agréer, madame, monsieur, l’expression de nos salutations distinguées.


    Le directeur,

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