mardi 10 mars 2015

La phrase malencontreuse

Passe-temps, passion ou profession ; en dilettante ou pressées par le temps ; gracieusement ou contre rétribution... nombreuses sont les personnes régulièrement amenées à commenter l'actualité.

Parfois, les sujets se bousculent ; alors qu'à d'autres moments, il faut fouiller les fonds de tiroirs et les vieux disques durs afin de trouver quelque chose à raconter, à commenter, à critiquer.

Très souvent, les journalistes sont rattrapés, dépassés par l'actualité. Le temps de boucler l'article, de l'envoyer dare-dare et de le voir publié dans la foulée... suffit parfois à lui faire franchir la date limite de fraîcheur.

Ainsi, ce matin, dans le petit journal « Métro » et sous le titre « Candeloro et Longo dans le même bateau », on pouvait lire quelques commentaires relatifs au nouveau jeu d'aventure « Dropped », et notamment les deux phrases suivantes :  

« Dropped est un jeu de téléréalité adapté d'un concept suédois. Des sportifs sont lâchés depuis un hélicoptère en pleine nature sauvage. »

La maladresse tient donc à peu de chose, tout au moins en ce qui concerne le temps écoulé entre la publication d'un article et des événements qui rendent soudain celle-ci incongrue, maladroite ou malheureuse.

Le décès tragique et imprévisible d'une dizaine de personnes, la plupart bien connues, est une affreuse nouvelle et, dans de tels cas, on aimerait parfois pouvoir ravaler la phrase qu'on vient à peine de prononcer, faire disparaître les quelques lignes qu'on aurait écrites ou partir se cacher quelque part.

Moi qui n'hésite pas, sur ce blog, à me moquer de diverses personnes, à fustiger certaines attitudes, à critiquer l'une ou l'autre prise de décision... je réalise que, même au motif de faire rire, je peux aisément commettre un impair, écrire des choses que je pourrais regretter.

Bien sûr, il est difficile d'en vouloir à celui qui ne sait pas. Les journalistes ne sont pas devins et, s'ils pouvaient prévoir l'actualité, ils seraient tous à pied d’œuvre au bon endroit, au bon moment, et s'abstiendraient d'écrire par ailleurs des articles qui perdent tout sens quelques heures après leur publication.

Écrire toute son admiration pour monsieur Machin, mademoiselle Truc ou madame Bazar ; puis devoir commenter l'arrestation du premier pour meurtre, la déchéance de la seconde dans l'enfer de la drogue ou les travers politiques soudains de la troisième, ça n'a rien de drôle. Et ce même s'il n'y a, paraît-il, que les imbéciles qui ne changent jamais d'avis.

J'ai donc une pensée émue pour les victimes du dramatique accident d'hélicoptère, leurs familles, leurs proches et ceux qui les aimaient ; et je compatis à l'embarras de ceux qui auraient pu se moquer d'avance de l'émission de téléréalité qui se préparait ou la décrire un peu maladroitement.

Pour l'accident, des responsables seront cherchés, peut-être même trouvés ; mais cela ne rendra pas la vie aux dix malheureux ni n'effacera le bout de phrase malencontreux les annonçant « lâchés depuis un hélicoptère ».

La vie est parfois cruelle, surtout lorsqu'elle s'interrompt prématurément.

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