mardi 26 mai 2015

Selle SMP : pas si bizarre que ça !

Il arrive de temps à autre que des gens s'intéressent à mon vélo et, plus particulièrement, à cet objet bizarre sur lequel je pose le séant et qu'il convient d'appeler une selle, même s'il ne ressemble pas vraiment à l'image qu'on se fait habituellement d'une selle de vélo.


Les questions les plus fréquentes ont évidemment trait à la forme étrange de ce périphérique essentiel au cycliste, ainsi qu'à sa fermeté. Les observateurs s'inquiètent de mon confort : « Et tu n'as pas mal, là-dessus ? »
Si, évidemment, que j'ai mal là-dessus ; mais uniquement si j'y pose le postérieur plusieurs heures sans interruption pour une longue randonnée cycliste. Évidemment également, ce n'est pas là, dans une telle éventualité, que les douleurs seront les plus vives, mais plutôt aux guibolles ; parce que pédaler, c'est assez éprouvant.


Le choix d'une selle est une affaire délicate, car si toute paire de fesses peut trouver celle qui lui convient (un peu comme à chaque casserole peut s'adapter un couvercle), cela ne se fait pas toujours aisément.


Il existe donc des selles de vélo de toutes matières, tailles, formes ; des lourdes, des moins lourdes, des légères ; des chères et des bon marché ; des ordinaires aux franchement bizarres.






Comme la plupart des gens, lorsque j'ai acheté ma bicyclette, elle était équipée d'une selle. Et comme la plupart des gens, j'ai d'abord roulé avec celle-là. Sachant ce que je sais à présent, je n'essaierais même plus : rien qu'en la regardant, je comprends qu'elle ne peut pas me convenir.

Pour une petite balade d'une heure, à la rigueur ; mais pour cinquante, cent bornes... certainement pas !


Alors, maintenant, quand des gens voient ma Selle SMP au profil tordu, au nez en bec d'aigle et toute trouée au milieu, et qu'ils s'inquiètent de savoir s'il est vraiment possible que ce truc qui ressemble à un instrument de torture puisse être confortable, je leur réponds par l'affirmative. Et sans la moindre hésitation !


Bien entendu, il ne s'agit que de l'avis de mon postérieur, mais il fait pour moi autorité.


Parallèlement aux questions que me posent certaines personnes inquiètes de mon intégrité physique, d'autres questions émergent de temps à autre de manière moins désintéressée. Elles émanent de cyclistes qui se demandent – et me demandent – si pour eux aussi, une selle de ce genre-là n'est pas un choix judicieux.


Je ne peux leur répondre directement ni oui, ni non ; car je le rappelle, un postérieur n'est pas l'autre ; mais à ceux-là, voici plus ou moins ce que j'explique...



1. Quand on s'intéresse à une selle de ce type autrement que par simple curiosité, c'est qu'on a déjà envisagé d'en essayer une parce qu'elle pourrait convenir. Et c'est logique : un cycliste qui se sent bien sur une selle « conventionnelle » ne va pas, autrement que par simple curiosité, s'inquiéter d'un objet aux formes aussi torturées.



2. Ce qui intrigue le plus, c'est le centre complètement évidé. Quand on en arrive à penser qu'on pourrait éventuellement se sentir bien, assis là-dessus pour faire du vélo, c'est que précisément on se sent un peu mal lorsqu'on se trouve en appui sur le périnée sur une selle conventionnelle.



3. Quand le bec plongeant apparaît comme une possible solution, c'est peut-être qu'on connaît des problèmes de frottement du côté des cuisses ou d'appui malencontreux au niveau des parties génitales.




Les médecins vous le diront : une activité sportive, pour autant qu'on la pratique raisonnablement et qu'elle soit compatible avec notre état de santé, c'est toujours bénéfique. La marche, la natation, le cyclisme, un peu de footing ou de gymnastique... qu'importe ! Bouger, prendre l'air, manger sainement sont les meilleurs atouts pour conserver une bonne santé ou tenter de la retrouver.


À ceux qui choisissent le vélo, le médecin conseillera de pratiquer sans excès et, même, modérément s'il ne s'agit pas de leur profession. Un urologue me confiait d'ailleurs récemment recevoir presque tous les jours des cyclistes en consultation. Car c'est bien là un des problèmes principaux en la matière : la bicyclette est bonne pour la santé, mais sévère pour l'entrejambe !



Le coccyx, l'anus, le périnée et les parties génitales ne sont pas conçus pour recevoir des coups, encaisser des trépidations et se faire comprimer pendant des heures. Et sur un vélo, c'est ce qui se produit à moins de ne rouler que très peu et sur de très bonnes routes.


Tant qu'on ne ressent aucune gêne de ce côté-là, une selle conventionnelle ressemble à ce qui se fait de mieux ; mais lorsqu'une heure ou deux de bicyclette suffisent à en créer une dizaine d'engourdissements et douleurs divers, on se dit que quelque chose ne va pas.


On descend la selle, on la remonte, on l'incline, on la fait glisser un peu vers l'avant... mais rien n'y fait ! Quelques kilomètres, et on commence à changer de position, le plus souvent en essayant de se poser vers l'arrière, là où la selle offre la plus grande largeur. Ce faisant, notre postérieur marque clairement son aversion pour le bec de selle (la partie la plus étroite, vers l'avant) et son souhait de disposer d'un appui plus large, qui sollicite les os inférieurs du bassin (les ischions) plutôt que le périnée.


C'est quand on en est là qu'on songe à une selle plus large, plus tendre ou évidée en son centre.


Trop large, elle gênera le pédalage ; trop tendre, on s'y enfoncera et elle deviendra vite inconfortable en augmentant les frottements sans supprimer pour autant l'appui central.


La selle évidée apparaît alors comme une bonne solution.


Mais il existe de nombreuses marques et modèles, certains un peu creusés, d'autres davantage. Le fabricant italien Selle SMP propose l'évidement central sur toute la longueur, le bec plongeant et la forme en berceau. Tout le jargon commercial, tout le pourquoi du comment étant expliqué sur leur site, je ne vais pas me fatiguer à le recopier. Ce n'est de toute façon qu'un jargon commercial et je n'ai aucun intérêt chez ce fabricant, j'ai acheté ma selle avec mes sous et au prix du commerce de détail.


Simplement, pour les cyclistes qui ressentent une gêne au niveau de l'entrejambe lorsqu'ils utilisent une selle « conventionnelle », essayer une SMP est peut-être une solution. À l'intention de ceux-là, je me permettrai d'ajouter ci-après quelques précisions qui pourraient les aider ou répondre à l'une ou l'autre question.



— Personne ne peut dire à votre place si une selle vous conviendra : il faut essayer.


— Le modèle et la largeur qui vous conviendront sont non seulement fonction de votre morphologie, mais également de votre position sur le vélo. Si vous connaissez l'écartement de vos ischions, ça peut être une bonne indication ; mais guère plus fiable que la taille de votre pantalon (SMP se sert de cette dernière donnée). Considérez ça comme un point de départ, sans plus.


— Pour ceux qui lisent l'anglais, un article intéressant a été publié par Steve HOGG, sur son blog. Il y explique les différences entre les modèles proposés par le fabricant italien et donne de précieux conseils concernant les choix les plus judicieux et les divers réglages.


— Si vous envisagez une selle évidée « à titre préventif », armez-vous de courage et de patience, car si vous n'éprouvez ni gêne ni douleur au niveau de l'entrejambe, vous aurez beaucoup de mal à comprendre comment on peut se sentir bien à vélo en posant les fesses seulement « sur deux rails » !


— La largeur d'une selle se mesure à l'endroit où elle présente sa largeur maximale, qui peut être plus ou moins loin vers l'arrière en fonction des modèles (exemple ci-dessous).


— Il y a un tas de manières de mesurer la largeur de ses ischions. Certaines boutiques disposent d'un kit permettant de la mesurer, mais c'est payant. Si la dépense vous rebute, utilisez la méthode scientifique courante nécessitant ce qui suit : une surface horizontale, plate et dure ; un morceau de carton épais mais tendre ou une petite plaque de polystyrène ou une serviette de bain pliée surmontée d'une feuille d'aluminium ménager ; un mètre.

Vous posez le carton (ou le polystyrène ou la serviette de bain) sur la surface plate ; vous vous y asseyez (sans pantalon) en douceur puis remontez les genoux vers les épaules ; vous vous relevez précautionneusement. Le carton, le polystyrène ou la feuille d'alu garderont les marques de vos os (l'écartement maximal de vos ischions). Vous mesurez l'écart en millimètres du centre d'un des creux à l'autre (éventuellement en y faisant rouler une bille). En ajoutant 20 mm au chiffre obtenu, vous obtiendrez un chiffre de base vous indiquant quelle largeur de selle pourrait vous convenir.

Rappel : pour SMP, utilisez plutôt votre taille de pantalon (S, M, L, XL...).



— Même si vous êtes nanti de tous ces chiffres, aucune garantie de succès ne sera donnée. Il faut essayer, prendre le temps de peaufiner les réglages (hauteur, recul, inclinaison) avant de décider si ça convient ou non.


— Si vous pouvez emprunter un selle pour essai, c'est une excellente chose ; mais bien souvent, vous devrez acheter et revendre ce qui ne convient pas. Songez au marché de l'occasion : on y trouve des selles neuves à très bon prix. Et pour cause !


Une bonne selle de vélo, ça ne se trouve pas sur le dos d'un cheval.

samedi 16 mai 2015

Nettoyage de printemps

Depuis plus d'un mois, nous en sommes aux « travaux de printemps ».
Tout le monde connaît ça. Il suffit de disposer d'un lopin de terre, d'une cour, d'un jardinet... mais aussi de divers endroits où on entasse, pendant la mauvaise saison, tout un bric-à-brac dont on aurait été mieux inspiré de se défaire sans attendre.

La procrastination, alliée au mauvais temps, nous incitant à garder les fesses dans le fauteuil et à nous rouler sous la couette plus que de raison, nous voici contraints de nous retrousser les manches pour de bon une fois que la bise s'en est allée.

Au long des années, qui pourtant ont filé bien trop vite, j'ai pu accumuler une somme d'expériences qui m'autorisent à vous mettre en garde contre certaines pratiques autant qu'à vous faire partager quelques-uns de mes déboires saisonniers.

Vous disposez d'un logement ?
C'est bien.
Mais ne faites pas comme moi : virez tout de suite ce qui ne servira plus à rien.
Je sais : on se dit qu'on va quand même le garder, « parce que ça pourrait encore servir », mais ça ne sert plus jamais. Ou très rarement, à l'occasion, ça sert à nous faire maugréer des « c'est encore là, ce truc-là ? » et des « pourquoi on n'a pas foutu ça à la poubelle ? » ; parce que ces objets dont on a reporté l'évacuation finissent toujours par nous gêner. On entasse, on entasse... et puis on a besoin de quelque chose qui se trouve derrière ou en dessous.

Le vieux service « 6 couverts » qu'on n'a pas jeté lorsqu'on en a acheté un nouveau parce qu'on se disait que pour servir trois personnes et demie supplémentaires, les restes pouvaient encore être utilisés, qu'en avons-nous fait ? Rien.

Enfin, pas tout à fait. Parce qu'un soir où nous recevions du monde et qu'il nous manquait trois assiettes, on est allés piocher dans la vieille boîte (qu'il avait fallu retrouver dans le grenier) pour en récupérer, en laver et en mettre à table. Et c'était moche, une table avec des assiettes dépareillées.
C'est à ce moment-là qu'on se dit que la porcelaine blanche « d'hôtellerie », c'est solide, sobre, facile à compléter et que ça va avec toutes les nappes.

Et en allant chercher les assiettes, on réalise qu'au grenier, vraiment... il faudrait organiser un « nettoyage de printemps » qu'on rebaptiserait facilement « nettoyage par le vide » sans risque de se tromper de beaucoup, si on a décidé d'être pragmatique.

Pourquoi diable conserver ces vieux téléphones portables hors d'usage, ces appareils électroménagers défaillants ou obsolètes qu'on a remplacés ? Eh bien ! C'est pour se donner de l'ouvrage au printemps ! Et direction la déchetterie (je vous en parle plus loin)...

Mais le nettoyage de printemps, c'est surtout dehors que ça se passe. Tout ce qu'on a perdu de vue pendant l'hiver parce qu'on restait frileusement cloîtrés nous adresse de criants reproches : nettoyer, rafraîchir, déblayer, rénover, transformer... Ne cédez pas à la facilité ! Certains choix sont moins judicieux qu'ils n'y paraissent.

Parmi ce que je classerais volontiers dans les trucs à éviter figure le décrassage au nettoyeur à haute pression. Voilà bien un engin de m*^§#|~ ! D'ailleurs, votre voisin en a certainement acheté un pour « démousser » sa terrasse, ce qui vous garantit un raffut particulièrement agaçant le samedi (ou le dimanche, si c'est un enquiquineur) où il va l'utiliser pendant des heures pour nettoyer tout ce qui passe à portée de lance. C'est si efficace ! Autant pour désincruster la crasse que pour vous casser les oreilles ! Mais ne dites rien. Riez sous cape. L'efficacité et la facilité ont un prix qui s'appelle abrasion du matériau ou destruction des joints.

Donc, ne faites pas comme vos voisins. Ni comme les miens, qui n'ont plus de nettoyeur à haute pression et usent désormais d'huile de bras.

Vous disposez d'un jardin ? Fort bien. D'une pelouse ? C'est sympa. Seulement, il faut la tondre de temps en temps. Et souvent, si vous avec commis la bévue d'y ajouter de l'engrais. Très souvent.
Alors, ne mettez pas d'engrais. Ça coûte cher, l'essence pour la tondeuse coûte cher elle aussi ; et c'est bien plus intéressant de prendre l'apéro sur une chaise longue que de faire des va-et-vient dans la propriété derrière (ou sur) un engin pétaradant qui ne démarre pas toujours avant votre première bordée de jurons.

Vous disposez d'un potager ? Fort bien. Les légumes produits chez soi, il n'y a rien de mieux – sauf si vous résidez à quelques pas d'une autoroute ou d'une zone industrielle, évidemment ! Mais sachez – si vous l'ignorez encore – qu'il n'y a rien de plus décourageant qu'un jardin potager. Et tout d'abord, la terre est basse. La travailler, c'est épuisant. Alors, quand rien de ce que vous avez semé ou planté ne pousse correctement, si ce sont les limaces ou les chenilles qui s'en régalent, imaginez la frustration !

Ce qui pousse bien, par contre, ce sont les mauvaises herbes. Volontaires, opiniâtres, envahissantes... elles résistent à tout ! C'est sûr : le jour où nous aurons décidé d'en manger, elles vont se barrer. Les plantes doivent avoir une sorte d'instinct qui leur indique si on va les mettre au menu. Et n'épandez surtout pas d'herbicides sélectifs et autres saloperies qui coûtent cher et sont inefficaces excepté pour polluer et occasionner des allergies.

Écoutez d'ailleurs les explications de Pascal Poot...



Sympa, non, le jardinage écolo ?


Des haies pour vous protéger des regards indiscrets et des visites non sollicitées, vous en disposez peut-être ? Fort bien. Mais il faut les entretenir. Alors, évitez les trucs qui poussent vite. Je sais qu'au début, c'est intéressant : c'est bon marché, on plante de tout petits arbustes qui deviennent rapidement grands et touffus... puis carrément envahissants. Les lauriers-cerises, par exemple, sont une espèce à éviter.

Des haies épineuses, c'est parfait pour se protéger des intrus. En plus, les oiseaux y viennent construire leurs nids et c'est mignon comme tout ! Par contre, tailler des épineux, c'est un boulot de m*^§#|~ ! Même avec des gants et des manches longues.
Les haies de conifères, c'est plus facile à recouper, mais côté faunesque, c'est néant. Sauf si vous aimez les araignées.

Chez nous, il est interdit de brûler les déchets de jardin. Il faut donc les composter, les tailler menu ou, surtout s'il s'agit de branches épineuses dont on ne sait que faire et qu'on ne voudrait hacher menu et répandre un peu partout, les conduire à la déchetterie.

« Puisque tu vas à la déchetterie avec les déchets verts, me dit Chérie, n'oublie pas les vieilles assiettes, les chaises cassées, l'huile de friture usagée, les cartons d'emballage, la vieille télé, les...
— Hé ! Ho ! Stop ! J'ai une remorque, pas un semi-remorque, moi ! fais-je abruptement observer. Et c'est un trajet par jour, au maximum ! »

Il fut un temps où je ne disposais pas d'une remorque. Je fourrais donc tout dans la voiture, en rabattant les sièges et en étalant une bâche par-dessus. Ça salissait quand même un peu mais je m'en accommodais, jusqu'au jour où je me suis présenté à la déchetterie avec un plein chargement de déchets verts (résultat de la taille d'une haie de conifères) et que le préposé m'a prié de revenir le lendemain parce que les conteneurs étaient remplis. Là, ça n'a plus fonctionné aussi bien. Comme je ne voulais pas décharger mon véhicule, j'ai tout laissé à l'intérieur jusqu'au lendemain.

Pendant plus d'une semaine, chaque matin voyait de nouvelles toiles d'araignée tissées ici et là entre les sièges, le tableau de bord, le volant...

L'expédition à la déchetterie, ça fait aussi partie des corvées qu'il faut se farcir toute l'année, mais qui sont les plus pénibles au printemps, quand justement tout le monde fait son grand nettoyage : chaises cassées, vieille vaisselle, télévisions usagées, bidons d'huile de friture qui traînaient dans le garage, cartons d'emballage...

J'aime bien le printemps, mais sans les corvées, ce serait quand même mieux !

mercredi 22 avril 2015

Le courage ou la patience, pour le vélotaf ?

Susciter l'admiration et recevoir des compliments sont des choses agréables, mais souvent embarrassantes quand on ne cultive pas l'art de « se la péter ». La tendance est alors de minimiser l'importance de l'acte accompli, même si cette attitude est dictée autant par l'hypocrisie que par la modestie.

À un collègue qui me félicitait d'emprunter de temps à autre ma bicyclette plutôt que ma voiture pour me rendre au boulot ; et ajoutait qu'il serait bien incapable d'en faire autant, j'avais répondu que « c'est une question d'habitude ».

« N'empêche ! avait-il insisté. Je n'aurais pas ce courage. »

En y réfléchissant un peu, je me suis dit que « non, décidément, ce n'est pas du courage ». Pas dans mon cas. Si je faisais ça tous les jours, même quand il fait froid, même quand il pleut, même quand le vent devient méchant... ce serait réellement du courage. Mais comme je ne me hasarde sur ce trajet à vélo que lorsque je pressens que les conditions météorologiques ne transformeront pas l'exercice en séance de torture, je préfère éviter d'évoquer le courage.

— Ce n'est pas du courage, qu'il faut. C'est de la patience, ai-je affirmé.
— De la patience ? s'est étonné mon collègue.
— Parfaitement. Parce qu'à vélo, tu vas moins vite qu'en voiture et que ce qu'il te faut, ce n'est pas le courage de faire le trajet, mais la patience de le faire au rythme qui te convient.
— Ouais, ouais. Je vais quand même pas partir la veille, hein ! Parce que trente bornes...

Trente bornes, ce n'est pas rien, mais nul besoin de rouler toute une nuit pour arriver à l'heure le matin au boulot.

Évidemment, quand on n'a jamais enfourché sa bicyclette que pour aller chercher le pain à quelques centaines de mètres ou faire une petite balade en famille le dimanche après-midi, trente bornes, c'est presque le bout du Monde.

— C'est sûr, ai-je expliqué à mon collègue, que tu ne vas pas rouler trente kilomètres le matin, faire ta journée de boulot, puis te taper la même distance au retour sans un minimum de préparation. Avant d'envisager ça, il faut d'abord voir plus petit. C'est pour ça qu'il faut de la patience.

À bicyclette, tout est question de patience. S'il suffisait de courage, je connais des gens qui rouleraient plus et mieux que moi. Chérie, par exemple, est une femme courageuse, travailleuse, dure à la tâche. Mais la patience n'est pas sa vertu première lorsqu'il s'agit de se déplacer ; que ce soit en voiture, à vélo ou à pied. Pour Chérie, un déplacement, c'est du temps perdu. Elle préfère rester une demi-heure de plus dans son lit et utiliser le moyen de transport le plus rapide. Le vélo, ça ne l'intéresse que pour la petite balade en famille.

Tant qu'on reste dans le domaine du raisonnable, on peut utiliser la comparaison entre l'engin motorisé (voiture, moto, transports en commun) et l'usage de ses propres guibolles (marche, vélo) : la majorité des gens bien portants opteront pour le moyen le plus rapide ou le plus économique avant de se poser la question de l'opportunité de se fatiguer un peu.

Un exemple ? Si vingt minutes de marche suffisent là où quarante de voiture et la recherche d'un emplacement de stationnement mettent les nerfs à vif, seuls les indécrottables paresseux choisiront la voiture lorsqu'il fait beau.

Quand une option est plus rapide qu'une autre, même si elle est moins confortable, nous opterons généralement pour celle-là. La plupart des gens qui voyagent en avion détestent cela, mais c'est si rapide... L'autoroute n'a aucun charme, elle est souvent payante, mais généralement plus rapide que les routes ordinaires...

Évidemment, quand le moyen le plus rapide est aussi le plus fatigant, il faut se motiver un peu pour franchir le pas ! Imaginons alors ce qui se passe quand le moyen le plus fatigant n'est pas le plus rapide mais seulement le plus économique, écologique, favorable à la santé...

Donc, à la patience, il faut ajouter la motivation. Mais la motivation, il la faut pour beaucoup de choses, sinon nous serions tous réfractaires à l'effort, aussi modeste soit-il. À partir du moment où on se motive, où on décide de se mettre au vélo, la patience est la qualité qui s'impose. Il faut s'accorder du temps. Le temps de s'habiller confortablement pour la pratique du vélo, le temps de vérifier avant de partir que le matériel est en bon état (pneus, freins...), le temps de s'échauffer avant de tenter un effort violent, le temps de rouler à un rythme qu'on peut soutenir sans souffler comme un phoque.

— Suppose, dis-je à mon collègue, une boucle de cinq kilomètres à parcourir comprenant une partie plate, une petite bosse, une seconde partie plate, une côte, une descente et retour sur le plat au point de départ. Ce n'est pas long. Le soir en rentrant, tu prends ton vélo et tu fais le tour. Tranquille. Sans forcer. Si tu es essoufflé en arrivant au-dessus de la petite bosse, prends le temps de récupérer. Tu t'arrêtes s'il le faut. La côte, plus loin, si tu la termines à pied en poussant ton vélo, ce n'est pas grave. Tu profiteras ensuite de la descente avant de revenir au point de départ. L'important, c'est de faire la boucle en entier. Même si ça te prend trente minutes.

— Et si ça me prend une heure ?

— Une heure, c'est comme si tu faisais tout à pied. Mais peu importe ! Dès que possible, un autre jour, tu fais le même trajet à vélo. Sans forcer. Si tu as la patience de faire le tour le plus souvent possible, toujours à ton rythme, tu constateras que tu progresses : plus d'arrêt en haut de la petite bosse, la côte sans mettre pied à terre... et soudain l'envie de tenter une seconde boucle ou un parcours un peu plus long. Parce qu'une fois qu'on s'est lancé et qu'on progresse, la motivation s'entretient plus aisément. L'important, c'est de rester patient.

— Ce sera difficile.

— La patience, ça ne coûte rien. C'est juste psychologique. Ne pas forcer dans les côtes, car elles sont toujours plus longues qu'il n'y paraît. On a souvent l'impression de s'être hissé en haut, mais parfois, juste après, ça monte encore légèrement. Il faut la patience de gérer l'effort, de ne pas rouler trop vite avant d'être sûr d'arriver au bout du parcours. C'est en vue de l'arrivée qu'on peut « se lâcher » et donner tout ce qu'il nous reste.

— Ouais, mais ce n'est pas avec ma boucle de cinq kilomètres, même si je réussis à la faire deux ou trois fois, que je vais pouvoir me taper deux fois trente bornes comme tu le fais !

— C'est sûr. Mais personne ne te suggère de rouler trente bornes. Pas dans l'immédiat. D'ailleurs, moi-même, la première fois que j'ai tenté le coup (un essai, un dimanche), j'ai fait demi-tour à mi-chemin ! Je pensais que je n'y parviendrais pas, mais c'est venu. Quelques semaines plus tard, après avoir progressivement allongé mes petites boucles près de chez moi.

— Ouais... Mais quand même !

— Et toi, c'est pas trente kilomètres, non ? Une quinzaine, à tout casser. Alors, qu'est-ce que t'attends ?

— Heu... en bagnole, c'est quinze à vingt minutes seulement ! À vélo, je mettrais une heure, au minimum.

— Ah ! Tu vois que c'est la patience, qui te manque le plus !