mercredi 16 décembre 2015

Tolérance zéro

Ici, en Belgique, nous avons nos génies. Surtout côté politique.

J'imagine que c'est un peu comme partout ailleurs où règne le suffrage universel : on ne nous demande notre avis qu'à l'occasion des élections. Ensuite, une fois élu, on fait un peu ce qu'on veut mais rarement ce qu'on a promis publiquement.

Une autre coutume semble également bien établie, lorsqu'un élu hérite d'un maroquin ministériel : marquer son passage par l'une ou l'autre réforme prétendument indispensable, nécessaire, voire intelligente ; mais qui dans les faits s'avère presque toujours inutile ou contreproductive.

Notre bien-aimée ministre de la mobilité vient donc de nous sortir une idée de génie qu'elle appelle « tolérance zéro ». Un truc très à la mode en cette période agitée où l'on sent bien enfler le spectre de la répression.

Cette tolérance nulle concerne l'alcool au volant. Voilà un truc très meurtrier, très vilain et contre lequel il faut lutter : l'alcool au volant. Car tout le monde le sait : boire ou conduire, il faut choisir.

Donc, notre géniale ministre, s'appuyant sur des statistiques qui donnent le frisson (13 à 15 mille accidents chaque année sont dus à une vitesse excessive ou inappropriée, tandis que l'alcool est responsable d'environ 180 décès par an sur les routes), décide tout de go qu'il faut s'en prendre à ce fléau qu'est l'éthylisme.

Oui, mais attention : pas pour tout le monde. C'est pour les jeunes, nous explique madame Galant : « Quand on conduit, on ne boit pas. Quand on obtient son permis de conduire, on est inexpérimenté, puisqu'on n'a pas encore beaucoup roulé sur la route. Donc, on ne consomme pas d'alcool. » Concrètement, les conducteurs ayant leur permis depuis moins de trois ans ne pourront plus avoir 0,5 g d'alcool par litre de sang, mais 0,2 g. Là, c'est même plus un p'tit verre, c'est rien du tout.

Tudieu ! Quelle idée de génie ! Là, personne n'y aurait songé !

Moi, quand on me balance des chiffres pour justifier quelque chose, je sors la carte méfiance. Et tout d'abord, quels sont les chiffres qu'on nous balance, dans cette histoire d'alcool au volant ?

On nous explique que 3 % des conducteurs sont sous l'effet de l'alcool. Pour moi, ça veut dire que 3 % des conducteurs contrôlés présentaient des signes irréfutables d'intoxication alcoolique, marquée par une quantité de plus de 0,5 g d'alcool par litre de sang. Or, comme tout le monde s'en doute, les barrages de police assortis de tests d'alcoolémie sont installés en des lieux stratégiques, aux heures les plus propices. Cela veut donc dire qu'en temps normal, ça ne fait probablement pas 3 pour cent de conducteurs, mais soit. Admettons.

On nous explique aussi que l'alcool est responsable de nombreux accidents. En d'autres termes, que beaucoup de conducteurs responsables d'un accident ont, lors du test auquel ils ont été soumis, été contrôlés à plus de 0,5 g d'alcool par litre de sang.
Ce qu'on ne nous dit pas, par contre, c'est de combien ils dépassaient ce seuil de tolérance.

On nous explique en outre que ce sont les jeunes qui, lorsqu'ils organisent des petites sorties festives le soir et le week-end, mélangent le plus souvent beuverie et conduite automobile. Et comme ils sont inexpérimentés, ça fait mal : non seulement ils n'ont pas assez d'expérience pour éviter les contrôles de police, mais en outre ils n'en ont pas assez non plus pour éviter les accidents !

Alors, la bonne idée, c'est la « tolérance zéro ».

Honnêtement, je me demande à quoi ça va bien pouvoir servir.

Je n'y suis pas opposé, certes, mais imposer cette mesure uniquement aux jeunes conducteurs, ça me paraît stupide. C'est tout le monde ou personne. Inutile de créer des injustices, des discriminations et des a priori débiles : on en déplore déjà bien assez sans cela.

Et d'autre part, comme je l'écrivais ci-dessus, on ne nous dit pas si les conducteurs – jeunes ou moins jeunes – qui occasionnent des accidents de la route et sont contrôlés positifs à l'alcool présentaient un taux de 0,6 g/l seulement ou bien davantage.

Avec mon pragmatisme usuel, je me dis que ceux qui roulent bourrés s'embarrassent finalement très peu du taux minimal ; et que 0,2 ou 0,5 g/l, qu'on soit jeune ou vieux, ça ne va rien changer du tout. Simplement, la « tolérance zéro » risque de changer une seule chose : obliger ceux qui boivent vraiment très peu (un seul verre de vin ou de bière en mangeant, par exemple) à s'en priver lorsqu'ils savent qu'ils devront ensuite prendre le volant. Or, ce ne sont pas ceux-là qui provoquent les accidents. Pas plus que d'autres qui carburent aux boissons énergisantes, par exemple, ou même aux jus de fruits.

Alors, madame Galant, votre « tolérance zéro », appliquez-la à tout le monde ou à personne ; et dites-vous bien qu'elle ne changera rien du tout ; mais que ce qui serait bien plus efficace, c'est d'intensifier les contrôles en maintenant le seuil là où il est déjà fixé depuis longtemps : à 0,5 g/l.

Mais évidemment, en ne changeant rien, vous ne « marqueriez pas votre ministère », que vous avez jusqu'à présent plutôt marqué par des maladresses et divers dérapages qui nous feraient plutôt rire s'ils n'étaient pas aussi navrants.

Le mieux, bien entendu, serait de redorer votre blason à l'aide d'une initiative vraiment intelligente ; mais je crains que ce soit là un objectif bien ambitieux.

lundi 9 novembre 2015

J'aime ma banque

J'ai déjà expliqué dans ces pages tout le bien que je pense de ma banque et des banques en général, ces bienfaitrices de l'Humanité, ces sociétés œuvrant activement et inlassablement à notre bonheur et à la sécurité de nos avoirs financiers.

Client depuis de longues années d'une grande enseigne qui, à diverses reprises au cours de cette période de son histoire et de la mienne, a pris soin de se rebaptiser au hasard des fusions, absorptions, restructurations et menaces de faillite ; je me suis déjà demandé pourquoi je lui accordais une telle fidélité car, non contente de réduire la qualité de son service, le nombre de membres de son personnel et, accessoirement, le taux d'intérêt de mon compte-épargne, cette même banque n'accorde crédit qu'à grand-peine et à des taux usuraires, ne reçoit le client que sur rendez-vous et facture des frais administratifs lorsque vous lui demandez d'effectuer un virement que vous ne pouvez encoder vous-même au guichet automatique parce que dépassant le montant maximal admissible.

À chaque fois que je me pose cette question, les réponses se bousculent : force de l'habitude, paresse, interminables problèmes administratifs et, surtout, aucune garantie de trouver moins mauvais ailleurs.

Tout récemment, ma banque chérie m'adresse donc un courrier postal pour m'avertir que la « carte à puce » qui me sert à effectuer un tas d'opérations depuis mon compte courant sera bientôt remplacée car arrivant au terme de sa période de validité. Un regard sur le bout de plastique en question m'indiquant que c'est vrai, je me dis « fort bien », d'autant que l'objet commençait à afficher de méchantes traces d'usure (sans jeu de mots).

Ma banque chérie, dans son courrier, m'explique (texto) qu’« Optimiser sans cesse votre confort est pour nous une mission quotidienne ». Et elle ajoute ceci : « Votre carte de banque actuelle doit être mise à jour. Nous allons donc bientôt vous en envoyer une nouvelle. Ainsi, vous pourrez continuer à profiter du confort de paiement avec votre carte de banque. »

S'ensuit alors une description de la procédure :

1. Nous avons déjà commandé votre nouvelle carte.
2. Vous allez d'abord recevoir un nouveau code secret par la poste. Veuillez le conserver précieusement. Une fois votre nouvelle carte activée, vous pourrez le modifier à tout moment à un automate de notre banque.
3. Quelques jours plus tard, vous recevrez, par courrier distinct, votre nouvelle carte.
4. Vous pouvez activer votre carte dès réception. Vous trouverez ci-joint les instructions de la procédure d'activation.
5. Une fois que vous aurez utilisé votre nouvelle carte, vous ne saurez(*) plus utiliser l'ancienne.

Important : Veuillez conserver cette lettre et son annexe jusqu'au moment de l'activation de la carte.
(*) En belge dans le texte.

Sur la feuille annexe, en sus de mon nom et de mon adresse, figurent mes coordonnées IBAN, une suite de 11 chiffres et la procédure d'activation de la nouvelle carte. C'est facile :

1. La carte que nous vous envoyons est encore bloquée quand vous la recevez.
2. Pour la débloquer, vous avez besoin d'un code d'activation de 11 chiffres. Attention : ne confondez pas ce code d'activation avec le code secret qui vous a été envoyé séparément par la poste. Votre code d'activation se trouve en haut de cette annexe. Gardez ce numéro à portée de main quand vous allez appeler.
3. Formez le numéro gratuit **** *** **. Vous pouvez téléphoner 24h/24, 7j/7.
4. Suivez les instructions.
5. C'est fait ? Votre carte est alors immédiatement activée. Attention : votre ancienne carte reste encore active jusqu'à la première utilisation de la nouvelle.

Muni de la carte, bien reçue dans une autre enveloppe, de cette lettre et de son annexe, j'ai donc appelé le numéro gratuit et suivi les instructions... qui consistaient simplement à me dire d'envoyer le code de onze chiffres. Aucune vérification de quoi que ce soit. Cela consiste donc probablement à vérifier que le courrier contenant la carte est bien dans les mêmes mains que celui contenant le code d'activation. Peu importe que ces mains ne soient pas les miennes.

Je résume donc en quelques lignes le sens de la sécurité de ma banque adorée :
— Un courrier m'annonçant l'arrivée de ma nouvelle carte, m'expliquant la procédure d'activation et contenant un code à onze chiffres à envoyer par téléphone.
— Un courrier contenant la carte en question.
— Un courrier contenant le nouveau code secret lié à cette même carte.

Les trois missives ayant atterri dans ma boîte à lettres en moins d'une semaine, j'ose à peine imaginer ce qu'un postier indélicat aurait pu mettre en place en quelques jours en interceptant les enveloppes (identifiables car porteuses du logo de la banque) : en possession de la carte, de la procédure et de tous les codes nécessaires, il aurait non seulement pu agir à ma place, mais aussi rendre inopérant le sésame encore en ma possession.

Inquiet par la fragilité de la procédure, je me suis rendu à mon agence habituelle en vue d'y utiliser ma nouvelle carte et d'en modifier le code secret : peine perdue ! La machine m'a averti d'une erreur système. J'ai donc fait quelques virements avec l'ancienne, heureusement toujours active.

Le lendemain, j'ai tenté la même opération, toujours aussi infructueuse ; mais comme cette fois le guichet était ouvert, j'ai pu exposer le problème à un employé qui m'a expliqué que mon cas n'était pas isolé. Apparemment, les courriers ont été envoyés trop tôt ! Il m'a été suggéré de recommencer dans une semaine.

La semaine écoulée, j'ai amorcé une nouvelle tentative d'utilisation, mais sans succès. Trop tôt, encore ?

Voilà donc environ dix jours que je promène deux cartes de banque et deux codes secrets, ce qui, à mon âge et compte tenu de ma mémoire déjà lourdement mise à contribution, n'a rien de confortable ni de rassurant.

Alors, là, pour le coup, j'aime vraiment ma banque !

samedi 24 octobre 2015

Suppression du klaxon

Les usagers de la route dits faibles – piétons, cyclistes – sont fréquemment soumis au stress du coup de klaxon : sursaut, frayeur, écart... Bien souvent, lesdits usagers ignorent à qui l'avertissement sonore est réellement destiné, mais qu'il le soit à eux-mêmes ou à quelqu'un d'autre, le résultat en est inévitablement un emballement soudain du rythme cardiaque.
Le klaxon, ça effraie l'usager faible.

Au volant de votre voiture, vous entendez souvent l'un ou l'autre coup de klaxon, mais à moins de voir et de savoir qu'il vous est destiné – auquel cas vous marmonnerez ou crierez à haute voix quelques imprécations bien senties assorties de qualificatifs peu flatteurs à l'intention de celui qui vient de perturber votre sérénité –, vous vous demanderez également pour qui et pour quoi il a retenti. Et vous regarderez peut-être ailleurs que là où vous vous dirigez, ce qui est rarement sécurisant. Car c'est bien là une des caractéristiques de base du coup de klaxon : il est presque toujours destiné à une seule personne, mais nous sommes nombreux à l'entendre.
Le klaxon, ça perturbe l'attention au volant.

Il arrive évidemment que le coup d'avertisseur vous soit destiné et que vous le sachiez ; mais, comme nous venons de l'évoquer brièvement ci-dessus, votre réaction sera probablement davantage à ranger dans la catégorie des agressions verbales voire gestuelles que dans celle des humbles excuses et attitudes contrites. Car, il faut bien le dire : le klaxon, ça énerve.

Peut-être avez-vous déjà vécu la situation consistant à se trouver deuxième d'une file immobilisée à un feu rouge ? Peut-être aussi avez-vous déjà vécu la situation où le premier de file, distrait, ne se décide pas à démarrer alors que le feu est passé au vert ?
Patient, vous attendez. Mais, derrière vous, le troisième de file klaxonne. Immanquablement, le premier sort de sa léthargie et, dans le meilleur des cas, démarre immédiatement. Mais il est possible aussi qu'il se retourne vers vous et, gestes à l'appui, vous crie des insanités que vous n'entendez pas mais dont vous devinez la teneur. Pas de doute : il croit que vous êtes l'auteur du coup de klaxon. Vous avez beau lui faire un geste d'impuissance et désigner l'automobiliste qui vous suit, rien n'y fait.
Le klaxon, ça suscite l'incompréhension.

Furieux et décidé à se venger, le premier automobiliste démarre alors que le feu passe à l'orange. Vous voilà bon pour attendre la phase verte suivante ! En ruminant de sombres pensées et un qualificatif peu amène précédé du mot « quel ».
Le klaxon, ça rend agressif.

Dans le même ordre d'idées, si vous voulez faire perdre ses moyens à un conducteur débutant qui a misérablement « calé » à un carrefour au moment de démarrer, klaxonnez impatiemment derrière lui. Il calera son moteur deux, trois, cinq, dix fois, peut-être, et c'est tout ce que vous aurez gagné : pour vous la colère, pour lui, la frayeur.
Le klaxon, c'est source de stress.

J'ai un jour été témoin d'un grave accident de circulation : un automobiliste voulant quitter la chaussée pour s'engager vers la gauche dans une rue adjacente avait coupé la route à un autre automobiliste circulant en sens inverse.
Alors que l'ambulance s'éloignait, emportant le conducteur imprudent et sa passagère, tous deux sérieusement blessés, l'autre conducteur – indemne – me répétait pour la énième fois son « et pourtant, j'ai klaxonné ».
Je ne lui ai pas dit que moi, quand je vois une voiture qui se prépare à me couper la route, je ne songe pas à klaxonner. Je songe à freiner. Car un puissant coup d'avertisseur n'éloigne pas nécessairement le danger ni ne force à s'arrêter le chauffeur distrait ; mais malheureusement, certains automobilistes restent encore persuadés du contraire.
Le klaxon, ça rend idiot.

Mode apparemment importée en Belgique depuis l'Italie, le concert de coups de klaxon qui accompagne un cortège nuptial reste encore de mise aujourd'hui. Après la cérémonie et pour se rendre à la salle de banquet, les voitures précédant ou suivant celle qui emporte les heureux mariés sont brillantes comme des sous neufs et parées de rubans blancs. En salivant à l'idée du bon repas qui s'annonce, les chauffeurs actionnent l'avertisseur. Le riverains entendent de loin arriver le cortège, regardent la mariée descendre de la voiture, commentent sa toilette...
Les coups de klaxon, parfois, ça promène un air de fête.
À trois heures du matin, quand les derniers invités quitteront la salle de fêtes, certains n'hésiteront pas à adresser aux autres de gentils coups de klaxon en guise d'ultime « au revoir ». Et tant pis pour le sommeil des riverains !
Le klaxon, ça rend irrespectueux.

D'ailleurs, lorsque l'une ou l'autre équipe de football, à l'occasion d'une Coupe du Monde ou d'une Coupe d'Europe des nations, forgera un bon résultat, les supporters enthousiastes n'hésiteront pas à défiler en voiture dans les rues, bien après vingt-deux heures, en agitant des drapeaux et en usant et abusant du klaxon.
Le klaxon, ça attise les hystéries collectives.

La loi interdit pourtant l'usage de l'avertisseur sonore, sauf pour signaler un danger ; mais force est de constater que cette loi est si rarement respectée que le klaxon est devenu en lui-même la principale source de danger : stress, distraction, incompréhension, agressivité, irrespect, tapage, bêtise, hystérie...

Non, franchement, le klaxon, ça ne sert à rien. Et puisque l'interdiction pure et simple est impossible à faire respecter, je ne vois à ce problème qu'une seule solution : la suppression du klaxon.