lundi 9 avril 2012

Sonnez la nurse !


— P'tain ! Mais c'est quoi, ce bronx ?

L'infirmière n'avait pu retenir ni ses mots, ni sa grimace de dégoût.

— C'est vous qui avez appelé ? s'enquit-elle horrifiée en me regardant tout en cherchant par quel orifice respirer le moins péniblement.
— Ben, oui. Valait mieux moi que lui, hein ! Sinon je vous raconte pas l'état du bouton de sonnette !

La jeune femme blonde en blouse blanche abandonna son air désespéré au profit d'une mimique accompagnant la ferme décision qu'elle venait de prendre :

— Je vais chercher de l'aide. Ne bougez surtout pas, monsieur Kroszay.

Et elle disparut dans le couloir à la recherche d'oxygène, en prenant néanmoins la précaution de refermer vivement la porte derrière elle.

— Vous avez entendu, Hubert ? jetai-je à mon voisin de chambre. Ne bougez surtout pas.

Moi, j'aurais bien voulu bouger, mais sortir de mon lit aurait été un exercice à haut risque, compte tenu de ma condition physique et de l'état du terrain. Le parcours de la fenêtre à la porte avait tout du champ de mines.

— Keumeuf ! clama Hubert Kroszay.
— Vous avez bien raison ! approuvai-je pour lui indiquer que j'avais compris.
— Attoyer ! ajouta-t-il en recommençant à frotter vigoureusement le linoléum avec sa couche-culotte.

Assis sur mon lit, j'évaluai la situation et en arrivai à conclure qu'elle n'allait pas tarder à être particulièrement pénible pour plusieurs personnes.

Hubert était assis par terre, complètement nu, et entreprenait de nettoyer à sa manière les impressionnants débordements de ses intestins. Il y en avait partout !

Comment ce vieil homme avait réussi à quitter sa couche, malgré les barreaux, demeurait pour moi un mystère ; car bien qu'installé en première loge, je n'avais pu assister à l'exploit pour cause d'assoupissement.

— Attoyer ! s'entêtait mon vieux voisin en faisant l'exact contraire.

L'infirmière blonde reparut accompagnée d'une brune collègue et d'une technicienne de surface qui resta prudemment sur le seuil, accrochée à son matériel de nettoyage.

— Ouh ! s'exclama la nurse de renfort en mesurant l'ampleur des dégâts.
— Je t'avais prévenue ! grimaça l'autre qui était déjà au courant mais semblait toujours aussi épouvantée que quelques minutes auparavant.

Elles avaient emporté des tenues de protection – tablier, gants, chaussons – dont elles s'équipèrent à la hâte avant de s'enhardir dans la chambre en sélectionnant néanmoins soigneusement les endroits où elles posaient les pieds. Je notai qu'elles s'étaient abstenues de prendre des masques respiratoires, peut-être pour éviter toute provocation à mon égard.

— Vous auriez pu sonner plus tôt ! grimaça la blonde.
— Désolé, je dormais. C'est l'odeur qui m'a réveillé, probablement.
— Venez, monsieur Kroszay.
— Attoyer !
— En effet. Attoyer. À commencer par vous.

Elles emmenèrent Hubert Kroszay dans le cabinet de toilette, puis la brune revint dans la chambre pendant que sa collègue récurait mon voisin fouteur de merde.

— Vous tenez le coup, monsieur Mir ? s'inquiéta la brune au moment où je pivotais sur les fesses pour m'asseoir et chausser mon unique pantoufle. J'attrapai mon déambulateur et, en soulevant mon pied plâtré, entrepris de contourner mon lit.
— J'essaie.

L'infirmière avait enlevé les draps complètement souillés tandis que, surmontant sa répugnance, la technicienne de surface venait de se coller elle aussi au boulot.

Comme un soldat jaugeant la piste d'obstacles avant de s'y aventurer, je tentai de repérer un itinéraire dégagé jusqu'à la porte, mais ce n'était pas gagné d'avance. L'inconvénient d'être installé côté fenêtre, car dans le cas contraire, je me serais empressé de trouver refuge dans le couloir plusieurs minutes auparavant.

— Soyez prudent ! recommanda l'infirmière.
— Et comment !
— Attendez, monsieur Mir. Je vais vous aider, proposa-t-elle en tendant une main secourable.
— Non ! m'exclamai-je épouvanté en voyant ses gants.
— Oups ! Pardon ! s'excusa-t-elle.

La technicienne de surface activa la serpillière devant moi à la manière des joueurs de curling frottant la glace devant la pierre en train de glisser.

— Attendez un peu, monsieur Mir ! recommanda la nurse. Je ne voudrais pas vous voir vous étaler dans la... heu...
— Je n'attends pas ! clamai-je en respirant par la bouche et en m'efforçant de contenir la nausée qui menaçait de plus en plus.

En aucun cas, je n'aurais voulu ajouter à la peine de ces aimables jeunes femmes en versant moi aussi mon obole sur le sol de la chambre.
Debout dans le corridor à quelques mètres de la porte, cramponné à mon déambulateur, je repris peu à peu ma respiration tout en songeant que certains métiers ont quelque chose de l'apostolat.


Je dédie ce petit texte au courage et à l'abnégation dont doivent souvent faire preuve les membres du personnel hospitalier, et pour lesquels je leur exprime ma gratitude autant que mon admiration.

3 commentaires:

  1. Le méchant chieur a un petit quelque chose d'un président de république d'un état ouest-européen...

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  2. il est vrai que ce ne doit pas être "rose" tous les jours...

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  3. C'est sympa de votre part d'y penser. Les stages en gériatrie de l'école d'infirmières, à 20 ans, sur le coup ça donne le cafard. J'en pleurais, même. Mais ça "forge". Oh, c'est moins prestigieux que l'École du Louvre, bien sûr. Mais autrement utile !

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