C’est fou ce qu’on ne peut plus se balader quelque part sans voir des gens prendre des photos ! Autour de moi, en toute occasion, les petits appareils sortent des poches ou des sacs et les doigts s’affairent. On plisse les yeux sous le soleil, on tend les bras devant soi – ou on les plie à demi – en adoptant l’air le plus concentré possible, et l’image est dans la boîte.
À plusieurs reprises, déjà, j’ai avoué ma tendance à éviter de suivre les modes. Et tout d’abord, les modes, elles vont trop vite. C’est fatigant d’essayer d’accrocher chaque fois le bon wagon ; alors, de temps à autre et même de plus en plus souvent, on se sent largué. Je suis largué.
Autrefois – mais ce n’est pas si loin, les réunions de famille, les retrouvailles entre potes étaient une occasion d’échanger les dernières nouvelles et de se montrer les photos des vacances, d’une fête de village ou de toutes autres choses auxquelles on avait assisté ou participé.
Tante Ginette sortait le minialbum du film récemment développé : douze vues entamées à Noël et terminées à Pâques. C’est vrai qu’elle regardait à la dépense.
Lorsqu’on se hasardait chez le cousin Eugène, on avait droit à la projection des sept cent soixante-trois diapositives rapportées de son dernier voyage ; ce qui, bien souvent, se révélait aussi pénible qu’intéressant si on ne parvenait pas à s’endormir discrètement en cours de séance.
Entre ces deux extrêmes, l’album de l’anniversaire du petit dernier ou du barbecue chez les voisins apportait son lot de fraîcheur, de plaisir et de franche rigolade.
Aujourd’hui, écrivais-je, tout le monde fait des photos. On voit les gens mitrailler à tout-va, avec leur téléphone ou leur appareil photo… mais on ne voit jamais les images.
Je sais bien que tous les gens qui m’entourent ne sont pas venus là pour me montrer le fruit de leurs coups d’œil de photographes ; mais parmi les amis, les collègues, les membres de la famille – ou de cette foutue belle-famille, il en est qui pourraient…
Moi, je suis démodé. C’est quelque chose que je ne comprends pas. Mais les jeunes, par exemple, ils sont comme ça : ils sont ensemble, ils s’amusent, ils prennent des photos. Des fois, ils tournent l’appareil dans l’autre sens, bras tendu, pour un autoportrait (seul ou joue contre joue avec l’un ou l’autre pote).
Ensuite, ils regardent les images sur l’écran de l’appareil. Ils en enverront par courrier électronique ou en déposeront sur les réseaux sociaux, mais la plupart de celles-là disparaîtront : effacées pour faire de la place, oubliées sur le disque dur d’un vieux PC ou sur une carte-mémoire devenue mystérieusement illisible.
C’est comme ça, maintenant. Comme pour la musique, les films… On télécharge, on écoute, on regarde, on échange mais on ne garde rien. Ou alors, très mal ; dans un tel désordre que retrouver ensuite quelque chose relève de l’entreprise désespérée.
On n’a jamais fait autant de photos, mais rarement sans doute on en aura imprimé aussi peu. C’est pourtant joli, ces albums. Et puis, ça se conserve bien : pas de piles, pas d’électricité, juste un peu de carton, de papier fort. On ouvre un tiroir ou une armoire, on visite une étagère… et on sort quelques albums.
Il y a les photos de quand j’étais petit. On n’avait souvent pas d’autre choix que de les imprimer si on voulait les voir, donc on les imprimait et, comme on les avait payées, on les gardait.
Aujourd’hui, prendre dix vues ou dix mille, c’est à peu près le même prix si on ne les garde pas pour la postérité.
Alors, bêtement, comme je suis démodé, je continue à imprimer des photos et à en faire des albums. J’y note les dates, les lieux et, parfois, les noms des gens. Ensuite, je les range soigneusement et, de temps en temps – mais pas très souvent, on les sort et on les regarde. On les montre à des amis, à la famille. « Oh ! J’étais comme ça, moi ? Et cette coiffure ! Et machin, là : il a vachement grossi, hein ! C’était quand, encore, ces photos ? Et lui ? Qui est-ce ? Non, je ne l’ai pas connu. J’étais trop jeune, à l’époque. Toi ? T’étais même pas né. »
J’ai des photos de moi, quand j’étais tout petit. Et des photos de mes enfants, tout petits eux aussi.
J’ai des photos prises du temps de mes parents, quand ils étaient jeunes et beaux ; et de mes grands-parents, jeunes aussi. Certaines de ces photos sont petites, en noir et blanc, avec des bords festonnés. Mais elles sont toujours là.
En tout cas, j’espère que les plus jeunes songent de temps à autre à imprimer et à ranger dans des albums leurs images qu’on ne voit jamais.
Oui, je crois que l'usage en est devenu éclair, comme de pas mal d'autres trucs. On prend une photo, on la fait passer par je ne sais quel réseau social à la con, et elle disparaît ensuite sous le flot de commentaires débilous. Ou alors elle croupit dans un recoin d'un disque dur.
RépondreSupprimerCe qu'on peut faire, ce qu'il existe, ce sont des albums photos en ligne, à défaut. On peut aussi les montrer à des potes, un peu comme un blog, finalement. On doit même pouvoir filer un code aux gens qu'on aime bien pour les autoriser à aller voir les photos de la soirée où Popol bourré a bourré Popolette. Je me souviens qu'il y a peu, j'avais des copains qui me filaient des codes pour aller voir leurs albums photos.
Mais ça m'a vite fait chier, faut avouer.
C'est clair que ça n'a pas le côté à la fois rigolo et désuet du bon vieil album photo papier.
Après, ce que j'aime bien faire, moi, c'est foutre les photos qui me plaisent, ou celles d'un voyage, d'une sortie, d'une soirée, de je ne sais quoi, sur un CD ou sur une clé, et les balancer ensuite sur un écran de télé ou un projecteur. Et on peut, du coup, se faire un peu comme avec Tonton Albert et ses vieilles diapos, mais en version moderne, sans les clic-clac, avec juste une télécommande digne de ce nom.
Mais c'est agréable, aussi, d'envoyer une petite photo de temps en temps à des gens qu'on apprécie. Tout bêtement par courrier...
Merci, Rahoud, pour votre contribution.
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