dimanche 22 septembre 2013

Double ou triple plateau : la guerre des tranchées ?

J'ai toujours eu un faible pour le vélo. Pour les courses cyclistes, certes, sujet que j'ai parfois abordé dans ces pages, mais aussi pour la pratique personnelle de ce sport physiquement exigeant. « Un faible » n'était peut-être pas, en l'occurrence, le terme le plus adéquat si j'avais envisagé d'aborder ce thème avec le plus grand sérieux, mais étant donné que ma préférence s'oriente le plus volontiers vers la légèreté de ton, le mot choisi reste pour moi opportun.

Mon faible pour le vélo remonte à bien longtemps, si longtemps que j'ai peine à me souvenir de mes premiers émois de cycliste en herbe, alors qu'en revanche je pourrais énumérer sans problème les bicyclettes dont je fus propriétaire pendant toutes ces années. De la récompense obtenue de mes parents grâce à d'honnêtes résultats scolaires à l'engin acquis avec mes propres deniers, j'ai toujours su faire long usage de mes quelques vélos. D'ailleurs, un bon vélo, c'est construit pour durer, fait qui se vérifie s'il est bien entretenu et utilisé avec discernement.

Cela faisait donc un paquet d'années que je chevauchais, avec une assiduité variable en fonction des circonstances (obligations professionnelles, occupations familiales, conditions atmosphériques et humeur du moment), la même bicyclette, lorsque celle-ci commença à manifester quelques signaux d'usure. Rien de grave, assurément ; rien d'irréparable, en tout cas ; mais quelques frais à consentir pour remettre à niveau une transmission fatiguée. Couinements dans le pédalier, sauts de chaîne et caprices de manette de commande du dérailleur arrière m'indiquaient la nécessité d'une intervention sérieuse. Compte tenu de l'âge vénérable de l'engin et de sa faible valeur résiduelle, était-il raisonnable de délier les cordons de la bourse sans m'informer au préalable du coût de l'opération en regard du prix d'une nouvelle monture ?

Je me suis donc penché sur le problème, nanti de ces armes redoutables que constituent un ordinateur et une liaison Internet. Car aujourd'hui, de chez soi, sans lever les fesses de sa chaise, il est possible de consulter des catalogues, des boutiques en ligne, des commentaires et des avis de professionnels et d'amateurs éclairés, et même des forums entièrement consacrés à la petite reine. Dois-je préciser que ce luxe de moyens n'existait pas encore le jour où j'ai acquis le vélo dont je parle dans le paragraphe ci-dessus ?

Pendant de longues soirées, j'ai entrepris de m'informer sur ce qui se construit et se vend aujourd'hui en matière de machines à deux roues destinées au transport de personnes et manœuvrées par la force des guibolles.

Assez rapidement, quelques questions cruciales se sont pressées au portillon de mon appareil décisionnel, en tête desquelles le problème du budget, rapidement résolu par ma femme, dont les avis en la matière font généralement autorité. Avec le réalisme et le sens des responsabilités qui la caractérisent, Chérie décréta que mon niveau de performance se passerait bien d'une bicyclette haut de gamme et qu'un cadre en titane ou en carbone ne ferait jamais de moi un vainqueur potentiel de la plus minable des courses de kermesse. Cela m'enleva donc une épine hors du pied : exit, donc, le cadre en carbone. De toute façon, mes vélos ont toujours été en acier. Même mon tout premier, quand j'ai eu cinq ans (laissons de côté l'habituel tricycle qu'on pousse avec les pieds autant qu'avec les pédales).

Mais les temps ont changé. Aujourd'hui, les vélos sont en alu. Parce que l'aluminium, c'est plus léger que l'acier et aussi moins cher à produire, même si ça n'a pas toujours été le cas. Donc, si j'ai bien compris tout ce qu'on raconte sur Internet, l'alu c'est mieux parce que plus rigide que l'acier, à poids égal, et que ça ne rouille pas. Et ça ne prend pas à l'aimant (très pratique dans les zones sujettes aux champs magnétiques). Mais ça présente par ailleurs l'inconvénient de manquer de souplesse, ce qui nuit au confort, et de vieillir moins bien quand c'est soumis aux contraintes mécaniques répétées, surtout si le cycliste pèse plus d'un quintal et roule comme une bête sur des chemins défoncés. Autant dire que l'athlète qui vous raconte présentement un épisode de sa vie n'a pas trop de soucis à se faire quant à la solidité d'un cadre en aluminium. Va donc pour l'alu. De toute façon, des cadres en acier, c'est devenu rare et plus cher, sauf quand on peut se contenter d'un engin bas de gamme de quinze à vingt kilos assemblé vaille que vaille et vendu à prix écrasé dans les supermarchés. Faut pas exagérer. Je vaux plus que ça, même s'il s'en faut de peu.

Survint alors une autre question délicate : fourche en acier, fourche en alu, fourche en carbone ? Le budget alloué par Chérie me permettant d'envisager les trois, je pris mes informations auprès de mes éminents collègues internautes : le carbone, c'est le mieux. La fourche en acier, c'est bien aussi, même si c'est plus lourd ; le moins recommandable étant le vélo « tout alu ». Rigide, mais trop sautillant, renvoyant dans les mains les cahots de la route. Comme ici en Belgique le meilleur des revêtements routiers peut rarement être encore qualifié de « billard » trois mois après qu'il a été posé, je sais ce que c'est que de se prendre dans les pattes les aspérités de la chaussée ! Vive le carbone ! Enfin, à ce qu'il paraît...

J'en profite au passage pour signaler une particularité des gammes de bicyclettes proposées par les grandes marques : une cohérence douteuse lorsqu'il s'agit d'établir la hiérarchie des différentes versions d'un même modèle. L'acier a déserté les cadres, mais garde ses droits pour constituer les fourches d'entrée de gamme. Ensuite, on passe au « tout alu ». Au-dessus, la fibre de carbone est utilisée pour la fourche et, en haut de gamme, c'est du « tout carbone ».
C'est donc un des paradoxes courants, selon ce que j'ai pu lire en de nombreux endroits : l'entrée de gamme est une meilleure affaire que les modèles juste supérieurs, offrant la souplesse de la fourche en acier plutôt que la dureté du « tout alu ». Bref, quand les finances le permettent, mieux vaut viser plus haut. Merci, Chérie.

Plus encore que les matériaux utilisés, les types de bicyclettes se sont multipliés. Ce que nous appelions jadis « vélo de course » est simplement renommé « vélo de route ». Le terme « course » étant réservé aux vélos... de course. Ce qui n'empêche évidemment pas les cyclotouristes fortunés de s'offrir le même modèle que Cancellara pour jouer les Spartacus du dimanche matin. Et de terminer la sortie hebdomadaire à la buvette du club.

Considérant l'état de mes vertèbres et ma tendance naturelle à éviter les balades dont le kilométrage à l'étape excède les deux chiffres avant la virgule, je décrétai que le cintre de route, c'était bon quand j'étais nettement plus jeune que maintenant, et qu'il n'était pas nécessaire d'y revenir après de longues années à me satisfaire d'un guidon droit équipé de cornes de vache (ça vous donne inexplicablement un de ces petits airs agressifs, alors que les bovidés sont généralement de paisibles ruminants – à quand les cornes de buffle, animal connu pour son vilain caractère ?)

C'est lorsque je commençai à m'intéresser à cette autre question cruciale qui enflamme les forums jusqu'à occasionner des joutes verbales qui ont tout de la bataille de tranchées, chacun des protagonistes campant farouchement sur ses positions, que je compris que j'avais effleuré ce qui constitue un des sujets de réflexion les plus sérieux : double ou triple plateau ?

Oui : faut-il un double ou un triple plateau ? Pourquoi pas un quadruple ou un quintuple, tant qu'on y est ? Certains prétendent que ça existe ou a déjà existé.

Dans ma mémoire défilèrent mes vélos successifs : pignon fixe, simple plateau et dérailleur arrière à trois vitesses, puis le luxe des « dix vitesses », fort en vogue à une certaine époque sur les vélos de course, avec les deux leviers non indexés fixés sur le cadre ; et enfin le 3x6 que je m'obstine à utiliser sachant qu'il existe depuis longtemps des 3x7, des 3x8 et même pire.

En prenant connaissance de tous ces messages, de tous ces débats autour des calculs de braquets et des commentaires tantôt méprisants, tantôt condescendants à l'égard des tenants du « triple » quand on utilise un double et vice-versa, je me suis rendu compte à quel point je devais marcher sur des œufs en abordant ce délicat problème : devais-je opter pour un « compact » ou pour un « triple » ? Devais-je choisir le « 2x10 » ou le « 3x9 » vendus au même prix ? Question délicate.

À force de lire et de relire – en allant me coucher plusieurs fois entretemps et en ayant à diverses reprises fait appel au paracétamol – les discussions, et après m'être penché sur mon expérience personnelle qui ne vaut jamais plus que ce qu'elle vaut mais qui vaut quand même beaucoup quand elle me concerne, j'en suis arrivé à la conclusion suivante : on nous prend pour des pigeons, et ça marche.

Je vous ai déjà parlé du « tout-en-un », dans d'anciens messages. Les fabricants débordent d'inventivité lorsqu'il s'agit de nous vendre des objets dont nous n'avons pas besoin. C'est une des bases du commerce : créer le besoin.

Après nous avoir vendu des téléphones portables, des appareils photo, des ordinateurs, des agendas électroniques... ils nous vendent le « tout-en-un ». Des engins qui font tout ça – téléphoner, envoyer et recevoir des messages, prendre des photos, surfer sur Internet, jouer... – un peu ou beaucoup moins bien que les engins dédiés, et qui vous privent du tout en cas de panne, de perte ou de vol.

Avec les bicyclettes, c'est un peu la même chose : on nous en propose de très séduisantes, appelées « hybrides », qui sont supposées détentrices de la plus grande polyvalence. Elles peuvent rouler agréablement sur l'asphalte, s'aventurer sur les voies vertes et les sentiers, assurer sereinement dans la circulation urbaine.

À moins d'être un spécialiste dans un domaine particulier (cyclo-cross, vélo tout-terrain, course en ligne), on est supposé entrer dans la catégorie du cyclotouriste touche-à-tout. Qu'on opte pour le carbone ou l'alu, le cintre droit ou le guidon de route, on a besoin d'une certaine gamme de vitesses, la plus large possible apparemment, qui permette de grimper les pires côtes en s'évitant la honte de mettre pied à terre – quitte à adopter une allure des plus pépère – tout en offrant la certitude de pouvoir s'éclater à fond la caisse dans les descentes en moulinant comme un échappé d'une étape du Tour.

C'est en lisant ça que j'ai eu l'impression d'être pris pour un pigeon. Parce que franchement, quand on a recours à de tout petits braquets pour grimper une côte, quel besoin a-t-on d'en pousser d'énormes dans une descente ? Et inversement, quand on a vraiment besoin d'emmener des développements dignes d'un coureur professionnel – en d'autres termes, quand on fait vraiment la course –, quelles sont les probabilités de se servir des tout petits braquets ?

Mon expérience personnelle, dont je faisais mention précédemment, m'ayant appris que des 3x6 rapports de mon vélo actuel je n'en utilisais réellement que six ou sept, qu'aurais-je besoin d'en avoir vingt, vingt-sept ou davantage ?

Sur les forums, les défenseurs les plus acharnés des transmissions « grande plage » indiquent souvent qu'ils n'utilisent presque jamais les tout petits développements, mais qu'ils aiment bien en disposer « au cas où ». Dans l'éventualité d'un improbable gros coup de pompe. C'est vrai que ça rassure. Et ils aiment bien disposer des plus grands braquets. Au cas où, sans doute, ils auraient encore beaucoup de force à dépenser dans une descente après leur éventuel coup de pompe dans la montée.

Pour se rassurer, parce qu'on ne sait jamais ce qui peut arriver d'autre qu'un gros coup de pompe ou qu'une envie folle de s'éclater dans une descente, ces ardents défenseurs des braquets à tout faire pourraient aussi emporter, lors de chacune de leurs sorties, au minimum deux chambres à air et un pneu de rechange, un câble et deux patins de freins, un câble de dérailleur et dix litres d'eau, des moufles, un ciré et un passe-montagne « au cas où », parce qu'on ne sait jamais...

J'étais occupé à me demander si on faisait encore des vélos à simple plateau, avec sept ou huit pignons à l'arrière, lorsque je suis tombé sur cette question d'une importance capitale, et à laquelle je n'ai pas encore pu trouver de réponse satisfaisante à l'instant où j'écris ces lignes : « Pour ou contre le port du slip sous le cuissard ? »

2 commentaires:

  1. Contre !

    Mais autrement, il va de soi qu'il te faut opter pour un simple pignon avec sept plateaux. C'est ce qu'on fait de mieux aujourd'hui. Plateaux en titane et pignon en zirconium. Chaîne en tungstène. Selle en mousse de skroll, rembourrée en poils de yack. Et cinq pédales, deux de chaque côté et une derrière, différentielle. Et puis, évidemment, un double jeu de roues, avec... hmmm... une charnière et bouton qui fait contact quand on appuie... pour passer des gros pneus tout terrain à de fins pneus de course.

    Si avec ça tu ne laisses pas Froome sur place, c'est que tu n'es pas fait pour ce sport... ha ha !


    Bon... alors pour ma part, j'ai grandi avec un "vélo de route", tout en acier bien lourd, avec un plateau et cinq pignons. C'était bien, et ça m'a forgé les jambes. Aujourd'hui, j'ai un VTT pour aller faire le guignol sur les sentiers forestiers, et un truc hybride, jantes et pneus fins, avec un cadre et une position VTT, et tout un tas de vitesses pour aller sur les routes. Et je suis content.

    Mais le VTT commence à vieillir, et comme j'en fais finalement pas mal, il faudrait sans doute que je prenne la gamme au-dessus. En tout cas, il va falloir le conduire à la retape. Jusque-là, je parvenais à le bidouiller tout seul, mais là...

    Alors ensuite, quand tu lis lesdits forums, tu hallucines sur les prix que les mecs te conseillent de mettre. Certains t'expliquent soigneusement qu'un VTT en-dessous de 2500 euros, c'est forcément de la merde.

    Bah...

    Mais c'est vrai que pour être déjà monté sur un VTT à 2500 euros, force m'est de reconnaître que c'est mieux que le mien à 400 euros.

    Mais à ce point-là mieux ? vraiment ?

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    1. Il semble aussi y avoir consensus au sujet des prix : au-delà d'un certain niveau de gamme (disons, le milieu), les améliorations grimpent beaucoup moins vite que les prix. Mais comme on dit dans "Les tontons flingueurs" : le prix s'oublie, la qualité reste. Et de toute façon, quand on aime, on ne compte pas. C'est Madame qui s'en charge.
      Il n'en reste pas moins que j'ai aussi surpris cette formule alarmante : n=N+1.
      Où n est le nombre de vélos dont tu as besoin et N le nombre de vélos que tu possèdes. (La formule est d'ailleurs valable dans d'autres disciplines où la course au matériel est entrée dans les habitudes.)
      Tout ça ne répond évidemment pas à l'angoissante question du port du slip sous le cuissard.

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