vendredi 15 novembre 2013

Bouffer de la m...

Il arrive qu'on me demande, au hasard des conversations, si j'ai regardé telle ou telle émission de télé, réponse à laquelle je réponds généralement par la négative, n'étant pas du tout accro à la petite lucarne.

Depuis quelque temps déjà, les reportages et autres enquêtes qui s'intéressent au monde dans lequel nous essayons de trouver le bonheur fleurissent ici et là, et il m'arrive d'en regarder l'un ou l'autre. Invariablement, ces documents semblent avoir pour principe directeur de nous faire comprendre à quel point l'Humanité – qui ne mérite pas le grand H que je lui ai attribué – est gouvernée par le pouvoir de l'argent et pourrie jusqu'à la moelle par la recherche du profit maximal.

Oh ! ce n'est bien sûr pas là le fait des petites gens et autres travailleurs de l'ombre, même s'ils contribuent involontairement – par nécessité de survie – au pourrissement général d'une grande partie des valeurs qu'on devrait respecter, mais celui de ceux qui recherchent inlassablement de nouveaux moyens d'accroître leur marge bénéficiaire.

Aujourd'hui, en matière d'alimentation, lorsqu'on décide de mettre un produit sur le marché, une étude financière doit d'abord être menée qui consiste essentiellement en ceci : comment réussir à produire le moins cher possible ce qu'il faudra vendre à un prix bien déterminé ?
Quand une enseigne souhaite vendre, par exemple, de la pizza au jambon à un tarif concurrentiel, le premier souci est de trouver un producteur qui va fabriquer ladite pizza pour un coût unitaire le plus réduit possible. Un produit d'appel, ça se vend bon marché, donc ça doit revenir encore meilleur marché.

On apprend alors, au gré de l'enquête menée plus ou moins discrètement par une équipe mandatée par une chaîne de télévision ou une association de consommateurs, que l'usine – il faut bien appeler ça une usine – qui produira la fameuse pizza en produit aussi de toutes sortes, pour d'autres concurrents, pour d'autres marques. Mais pour la grande surface qui cherche un produit d'appel à écouler en grande quantité, ce qui compte en premier lieu, c'est le prix de revient. Peu importe donc que le jambon ne soit pas du vrai jambon, que le fromage ne ressemble que très vaguement à du fromage et que la pizza n'ait qu'un très lointain rapport avec celle que prépare avec talent un bon pizzaïolo. Tant qu'on peut écrire « jambon-fromage... » dans la liste des ingrédients devant figurer sur l'étiquette, c'est bien suffisant. Les colorants et additifs précédés de la lettre E – cette assurance de qualité dûment homologuée par nos génies européens – sont évidemment inoffensifs.

Le producteur explique alors qu'à ce prix-là, non, il ne peut pas faire de la vraie pizza. Et le responsable commercial de l'enseigne qui écoule le produit nous donne le renseignement qui tue : « c'est le consommateur qui veut ça ». En d'autres termes, en nous vendant de la merde, il répond à notre attente. Nous voulons de la merde. Nous ne voulons pas payer cher (c'est normal, on n'a plus de sous), donc nous nous ruons sur la merde.

Une collègue outrée me racontait récemment qu'elle n'oserait plus manger de poisson, après avoir vu le reportage consacré à l'élevage, la préparation et la commercialisation de ces petites bêtes et des produits dérivés. Elle pensait que le poisson, c'était sain. À moi aussi, on me l'avait dit. Il y a là-dedans de bonnes graisses, pleines d'Omega3 – et les Omega3 c'est bon, ne me demandez pas comment ça se fait, mais il paraît que c'est bon – qui garantissent le maintien d'un faible taux de cholestérol. Le saumon, c'est le meilleur, paraît-il.

Oui, mais ça dépend du saumon. Comment on l'élève, ce qu'on lui donne à manger... Parce que vous pensez bien que tout le saumon qu'on nous vend n'est pas du saumon sauvage pêché en plein océan. Il est élevé dans des parcs spécialisés. Un peu comme bon nombre d'autres poissons auxquels on fait bouffer de la merde. Parce que les poissons, c'est un peu comme la pizza du supermarché : il faut qu'ils soient produits à faible coût. Mais comme un poisson, surtout quand il est vendu en entier, c'est plus difficile à imiter avec quelque chose qui n'est pas vraiment du poisson que d'imiter la pizza jambon-fromage avec des ingrédients qui ne sont pas vraiment du jambon et du fromage, il faut bien faire des économies autre part. Donc, les poissons, ils bouffent de la merde, et cette merde atterrit dans notre assiette. Il paraît qu'on aime ça.

Déjà, le poulet, je m'en méfiais. Et pas seulement de celui en uniforme. Mais le poulet, qu'on dit « élevé au sol » ou « élevé en plein air » pour nous faire croire qu'il est comme un coq en pâte depuis qu'il échappe à l'élevage en batteries, que croyez-vous qu'il mange ?

Exactement.

Et en plus, comme il est « élevé au sol » sans préciser qu'il dispose de la place à peine suffisante pour picorer au milieu de ses dizaines de milliers de congénères qui se bousculent et se marchent dessus, ou « élevé en plein air » dans des conditions à peu près identiques à l'exception du toit, imaginez-vous dans quoi il pose les pattes et le bec ?

Exactement.

Pour qu'il s'en sorte – pas pour son bien-être ni pour le nôtre – sans trop de maladies et atteigne son poids d'abattage avant d'être mort d'épuisement, on lui donne des antibiotiques. Tout plein d'antibiotiques. Et si vous avez déjà pris des antibiotiques, vous savez certainement quels sont leurs effets secondaires ?

Exactement.

Dernièrement était programmée une émission sur le cochon. Dans le cochon, tout est bon, c'est bien connu chez les non-musulmans. Je n'ai pas regardé. Mais j'ai aisément imaginé la manière dont on élève ces pauvres bêtes dans la recherche d'un profit maximal, et j'ai aisément deviné la teneur de ce qui finit par atterrir dans leur auge avant d'en faire de même avec nos assiettes. Et vous ? Avez-vous deviné ?

Exactement.

Je vais devenir végétarien. Manger les fruits et légumes de mon jardin – quand même un peu pollués avec tout ce qui nous retombe du ciel – et les œufs de mes poules. Et continuer à faire moi-même mon pain.

Et quand j'aurai mangé et digéré tous ces bons produits, que restera-t-il, à votre avis ?

Exactement.

Mais celle-là, ce sera la mienne.

3 commentaires:

  1. Aaaahhouuum !
    Jean-Pierre Coffe, sors de ce corps !

    Ha ha !

    Mais c'est vrai, y a pas mal de saletés dans pas mal de trucs, oui. Et dans l'idéal, comme tu dis, il faudrait acheter des trucs frais directement chez les producteurs (maraîchers, par exemple ; ou éleveurs) chez qui tu peux vraiment aller voir comment ça se passe.

    Mais on peut vraiment aller plus loin, et dans presque tous les domaines. L'eau, par exemple. Globalement, si tu veux te faire peur, tu regardes un reportage sur l'eau du robinet. Et ensuite un autre qui t'explique que les bouteilles d'eau de source dans des bonnes grosses bouteilles en plastique, ben...


    Boaf... Après, j'ai tendance pour ma part à détester la plupart de ces reportages dont l'un des buts me semble être le terrorisme. Du gentil terrorisme, hein, mais juste faire peur aux gens.

    Par contre, je suis d'accord que si on en a les moyens, l'idéal est de pouvoir manger des choses plutôt sûres, ou au minimum contrôlables et fiables. Mais comme tu dis, ça coûte des thunes.

    Alors, finalement... que faire ?

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  2. Réponses
    1. Oui, buvons.
      D'ailleurs, si je vois qu'on annonce un reportage intitulé "Bière trappiste, qu'y a-t-il réellement dans votre verre ?", je fuis à tout berzingue.

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