lundi 10 février 2014

Délires pré-électoraux

Cette année, en mai, nous retournons aux urnes. C'est comme ça tous les cinq ans, pour les législatives, et l'on espère cette fois qu'il ne faudra pas des mois de palabres d'après-scrutin, comme pendant plus de cinq cents jours en 2010-2011, pour qu'un gouvernement de plein exercice soit constitué.

En attendant, nos génies politiques affûtent leurs incisives et, pour se rendre intéressants et faire causer d'eux dans les médias, rivalisent d'idées plus farfelues les unes que les autres. L'important, c'est d'attirer le chaland, même à coups de propositions surréalistes ou carrément débiles.

Bien sûr, c'est la crise, et une bonne manière de faire des économies tout en relançant la croissance serait, si l'on en croit certains, de lutter contre le chômage et, accessoirement, contre les chômeurs, ces paresseux qui profitent honteusement du système et pillent les caisses de l'État.
En privant du droit aux allocations de chômage quelques milliers de sans-emploi de longue durée, on va inciter ceux-ci à enfin se mettre au travail pour gagner leurs sous. Ainsi, au lieu d'être à la charge de la collectivité, ils se prendront en mains, gagneront de l'argent et relanceront la consommation. Si, si. C'est vrai. C'est eux – certains politiciens à la solde du patronat – qui l'affirment. Et ils savent de quoi ils parlent, parce que du côté de la droite ultralibérale, les affaires d'argent et la manière d'en gagner, on connaît.

Dans un tout récent débat télévisé, certains ont même courageusement dit tout haut ce que les gens pensent tout bas : il n'y a qu'en Belgique qu'on se montre aussi généreux avec les chômeurs âgés ou « de longue durée », les jeunes à la recherche d'un premier emploi, les vieux travailleurs qui aimeraient bien prendre une retraite anticipée et tous ces gens dont on n'a pas parlé au cours du débat comme les réfugiés, les sans-papiers, les demandeurs d'asile... Ceux-là, on n'en a pas parlé parce que ce n'était pas le sujet, mais ça revient au même. Ce sont des parasites. Ce n'est pas moi qui le dis, mais des tas de gens autour de moi et des politiciens qui aimeraient bien que ces tas de gens votent pour eux et qui, n'osant pas parler de « profiteurs », de « paresseux » et autres noms peu flatteurs, préfèrent dire tout simplement « qu'il n'y a qu'en Belgique qu'on fait ça ».

On présente comme une tare, une maladie honteuse, le fait de refuser de laisser totalement de côté les plus démunis. La Belgique est sociale et ça ne se fait pas. Voyez nos partenaires européens : chez eux, pas de chômeurs de longue durée, alors que chez nous, il y a des chômeurs « à vie ». C'est quand même un signe que ça ne va pas, en Belgique.

Non, ça ne va pas. À cause de tous ces gens qui pompent le fric des honnêtes travailleurs, le Belge moyen vit mal. La Belgique est à la traîne du peloton européen. La crise, chez nous, est terrible. Les agences de notation n'arrêtent pas de dégrader notre note. La dette publique s'accroît sans cesse. Les banques ne nous font plus crédit alors qu'on leur a fait crédit quand elles étaient dans le caca. Tout le monde s'en va à l'étranger où tout fonctionne mieux...

Bon, tout ça, c'est du second degré. En réalité, la Belgique ne va pas si mal. Elle serait même parmi les bons élèves de l'Europe ; et quand on sait qu'elle y parvient en préservant encore – contrairement à ce qui se passe dans beaucoup d'autres pays – la plus grande part des acquis sociaux, c'est une performance. Et un cinglant démenti à la droite ultralibérale qui voudrait nous démolir la sécu, rendre les pauvres plus pauvres et les riches plus riches.

Parce que le pauvre, c'est l'ennemi. Pas la pauvreté. Ne confondons pas. Il ne faut pas lutter contre la pauvreté, mais contre les pauvres. Je vous invite d'ailleurs à lire cet excellent article sur le sujet.

Mais je m'en voudrais de consacrer toute cette bafouille à un seul des délires de nos politiciens, alors que d'autres sont tellement intéressants. Comme l'idée d'un des leaders libéraux d'entreprendre de grands travaux dans et autour de Bruxelles. C'est vrai : notre capitale est engorgée par des millions de navetteurs, parmi lesquels d'innombrables automobilistes créant quotidiennement des kilomètres de bouchons routiers et autoroutiers.

Alors, pour remédier à ça, une bonne solution : rajouter des routes. Un périphérique pharaonique souterrain, qui permettrait aux voitures de circuler plus rapidement et de dégager de la place en surface... pour accueillir encore plus de voitures. Avez-vous déjà entendu une idée aussi débile en matière de lutte contre la pollution, les problèmes de mobilité, le stress, le coût des infrastructures ?

Pour lutter contre tout ça, il faut moins de bagnoles. Et plus de transports en commun rapides, confortables, prioritaires et ponctuels.

En Belgique, nous sommes environ onze millions d'habitants, parmi lesquels près de deux millions de retraités qui, en principe, ne roulent plus beaucoup en voiture et certainement pas pour entrer à Bruxelles aux heures de pointe. Nous comptons aussi environ deux millions de jeunes n'ayant pas encore atteint l'âge leur permettant de tenir un volant ailleurs que sur les kermesses, et un million de jeunes de plus de dix-huit ans étant encore aux études et n'ayant pas, en principe, les moyens financiers d'être automobilistes.

Malgré tout cela, il circule en Belgique – en ne comptant que les véhicules immatriculés chez nous – environ cinq millions et demi de voitures particulières. Une voiture par ménage, approximativement, le terme « ménage » désignant aussi bien des familles que des isolés.

J'ai l'impression qu'il y a bien assez de bagnoles en circulation sans leur créer à grands frais des voies de circulation supplémentaires. Qu'on commence par entretenir et réparer celles qui existent !

Mais les délires ne s'arrêtent pas là, puisque dans une cacophonie dont nos élus ou aspirants élus semblent détenir le secret, des intentions d'installer un péage aux entrées de la capitale pour dissuader les navetteurs de s'y rendre en voiture, des projets d'immenses parkings de dissuasion, des idées de taxation au kilomètre parcouru... fleurissent tous azimuts.

Si nous nous chauffions avec les idées farfelues, les débats stériles, les phrases assassines, les allusions mesquines, les rancunes tenaces, les arrangements d'arrière-cuisine, les préaccords électoraux et les retournements de veste de nos politiciens ; et si nous faisions tourner des éoliennes avec tout le vent qu'ils produisent, nous n'aurions pas beaucoup de problèmes d'énergie.

1 commentaire:

  1. et oui, que ce soit en Belgique, en France ou ailleurs, le pauvre est l'ennemi à abattre, le parasite qu'il faut détruire... (merci pour le lien)

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