vendredi 13 juillet 2012

Tour de France et café des sports

— Ginette, tu nous remets ça ?
— Ça marche !
— Hé, Jeff ! Pas pour moi, hein ! J'conduis !
— Ben, moi aussi, j'conduis !
— Justement.
— Un dernier pour la route.
— OK, OK. Mais c'est bon pour une fois...
— Sûr. Qu'est-ce qu'on s'est emmerdés, aujourd'hui !
— Ça, tu peux le dire. Et au bout du compte, même pas une victoire française !
— On s'habituait, faut dire. Pinot, Voeckler, Rolland...
— Ouais, mais aujourd'hui, la merde. Et qu'est-ce que c'était pelant, comme étape ! La plus longue, diffusée en entier, et pour voir quoi ? Rien. Pfff... Allez, santé !
— Santé !
— C'était plus marrant hier.
— Ah, ça !
— Et j'dis pas ça pour la victoire de Rolland, hein !
— Ben non, j'avais compris.
— Mais enfin, c'était intéressant, comme étape, quoi ! Des attaques, du suspense...
— Des attaques... Pas celle d'Evans, quand même !
— Au moins, il aura essayé. Et les autres aussi. Nibali, Van Den Broeck...
— Trop forts, les Sky.
— Ouais. Trop forts. Tu trouves pas ça bizarre, toi ?
— Qu'is sont trop forts ?
— Ouais.
— Ça arrive, des trucs comme ça.
— Ouais. Festina, USPostal... Ils étaient forts aussi. Mais tu sais quoi, hein !
— Bah ! Faut pas accuser sans preuves.
— Non, non, j'accuse pas. Je dis juste que c'est bizarre. T'as vu qu'à un moment, presque la moitié du groupe « maillot jaune », c'était des Sky. Alors, un ou deux au-dessus du lot, je dis pas, mais la moitié de l'équipe qui pète le feu...
— Ouais. Sont forts. Sont bien entraînés. Bien préparés. Un grand tour, ça se prépare, si on veut gagner.
— Sûrement !
— Moi, ce que j'ai vu, c'est que le Froome, là, c'est le plus fort. Plus fort que son leader.
— On dit ça...
— Ben quoi ? T'as vu comme moi, non ? L'attaque, puis l'oreillette, tout ça. Si son directeur sportif ne l'arrête pas, Chris Froome, il part gagner l'étape et Wiggins l'a dans le fion.
— Ouais, p'têt ben.
— Ça crève les yeux, qu'il se retient, non ?
— C'est ce qu'on dit, oui. T'as les reporters qui disaient encore, il y a un jour ou deux : « je m'demande si le plus fort, c'est pas Froome... »
— Eh ben maintenant, ils sont fixés.
— Oui et non. Froome, c'est un malin.
— Ouais ? Je le trouve un peu con, moi. Il aurait dû foncer et s'en foutre de son patron.
— Non, ça, il peut pas. Y a du pognon en jeu, un contrat, tout ça... Non, si je dis que c'est un malin, c'est parce qu'il sait qu'on dit de lui qu'il est peut-être bien le meilleur. Et il sait que même si c'est vrai, il doit bosser pour Wiggins. Alors, qu'est-ce qu'il fait ? Il désobéit. Mais juste un peu, hein !
— Ben oui, c'est ça qu'est con.
— Au contraire, c'est malin. Je suis sûr qu'il l'a fait exprès. Il savait bien que dès qu'il ferait ça, ça allait gueuler dans l'oreillette. Alors, il l'a fait et ça a gueulé dans l'oreillette. Et il s'est arrangé pour que tout le monde le voie, qu'il obéissait aux instructions. Parce que ça se voyait, hein !
— Ah ! Pour ça, oui.
— C'est ce qui me fait dire qu'il l'a fait exprès. Vraiment exprès pour se faire rappeler à l'ordre devant tout le monde. Et si ça se trouve, il est même pas plus fort que Wiggins.
— Tu crois ?
— Ben tiens ! Il sait que s'il démarre, ce sera pas pour longtemps. Donc il te pète un démarrage canon, mais après, il aurait dû ralentir un peu. On peut pas faire tout à cette allure. Et Wiggins aurait sans doute recollé au train, comme il l'a fait avec Nibali et Van Den Broeck !
— Tu crois ?
— Ben tiens ! Je te dis : par contrat, c'est Wiggins le chef. Froome sait qu'il doit s'écraser, même si tout le monde suppose qu'il est au moins aussi fort que son chef. En faisant ce qu'il a fait hier, tout le monde va croire qu'en fait, c'est lui le meilleur et que ses patrons l'empêchent de gagner.
— C'est pas con, ce que tu dis là.
— Et l'an prochain, tu vas voir le contrat qu'il va se faire offrir ! Il restera pas avec Wiggins. D'autres équipes vont mettre le paquet pour l'avoir, même s'ils doivent racheter son contrat chez Sky. L'an prochain, c'est un des coureurs les mieux payés du peloton. Et si ça se trouve, il est même pas le meilleur.
— Ouais. C'est possible... Hé ! Ginette ! Tu nous remets ça ?
— Hé ! Plus pour moi, hein !
— Pour la route...
— Justement. Déjà que j'tiens plus debout !
— T'es assis pour conduire, non ?

mardi 10 juillet 2012

Tour de France et propos de comptoir


Je vais profiter, cher lecteur, de la première journée de repos des coureurs et accompagnateurs du Tour de France pour dresser, à ma façon, le bilan d’une grosse semaine de course que j’ai trouvée plutôt chiante.

Sans avoir pour habitude de faire ma langue de pute, je dois bien reconnaître qu’à une rare exception près (la victoire française lors de la courte étape suisse), le spectacle est resté, sur le plan du suspense, particulièrement ennuyeux ; les deux seules questions étant de connaître les noms des coureurs faisant partie de la poignée de fuyards qui fausseraient compagnie au peloton dès le premier kilomètre pour se faire rejoindre à quelques bornes de l’arrivée après avoir compté cinq minutes d’avance, et celui du triomphateur de l’emballage final.

Quand j'étais gamin, les images à la télé belge étaient celles de fin d'étape, et l'heure de prise d'antenne dépendait du bon vouloir des organisateurs et du respect de l'horaire par les concurrents. En cas de retard, on voyait une roue de bicyclette sur l'écran, nantie d'une inscription « Tour de France vers telle heure... », et le chiffre parfois était modifié toutes les cinq minutes !

Aujourd'hui, les reportages télévisés sont longs : environ trois heures (quand ils ne couvrent pas l'intégralité d'une étape). Les commentateurs ont bien du mérite ! Heureusement, l’hélicoptère vient fréquemment à leur secours pour leur apporter matière à deviser, survolant tantôt la foule en délire brandissant des calicots, tantôt les assemblages colorés à la gloire du tour et du folklore local et, surtout, l’église Saint-Troufignon si chargée d’histoire avec son clocher du douzième siècle ; quand ce ne sont pas les ruines du château des barons de la Crottaucul, vilainement saccagé par les sans-culottes, les vikings, les troupes du roi de France et autres vandales ayant émaillé l’histoire de leur divertissante présence.

Mais revenons sur terre au vingt et unième siècle…

À un reporter interrogeant quelques personnes dans la foule qui se pressait le long des routes empruntées par le peloton, plusieurs spectateurs ont répondu qu’ils venaient voir… la caravane publicitaire. C’est vrai qu’elle roule aussi vite que les coureurs, mais le quidam peut espérer collecter sur son passage autre chose que des bidons vides et des relents de sueur. Et puis, c’est rigolo. En dehors de ça, par contre…

Bien sûr, il y a eu les deux exercices contre le chrono : les six kilomètres du prologue et les quelque cinquante de l’étape d’hier. D’aucuns pourront trouver ça spectaculaire – voire excitant s’ils aiment les athlètes en maillot moulant, équipés de lunettes de skieur et d'un casque à pointe –, mais côté suspense, une fois encore, nous aurons été chichement servis ; la plus grosse inconnue restant le nombre de minutes mises dans la vue des grimpeurs par les spécialistes de l’épreuve en solitaire.

Les chutes, c’est rarement drôle, surtout pour ceux qui en sont victimes. Et des chutes, nous y avons eu droit. Comme chaque année, dirons-nous ; en précisant cependant que cette fois-ci, aucune voiture d’accompagnement n’a encore pris de part active dans les joies du roulé-boulé dans les barbelés, ce qui n’a pas empêché certains malchanceux de l’édition passée de rempiler lors de l’actuelle.

Andy Schleck n’est pas tombé, puisqu’il n’est pas là. Son absence ne semble toutefois pas avoir donné les coudées franches à son frère, qui nous a offert le spectacle hilarant du cycliste cherchant désespérément après sa bicyclette après une chute collective ayant emmêlé la moitié du peloton !

Quand on songe aux propos de bistrot de juillet 2011, qui prétendaient qu’aucun des deux frangins luxembourgeois ne gagnerait le Tour tant qu’ils courraient dans la même équipe, ça laisse rêveur ! Aujourd’hui qu’il n’y en a qu’un, ça ne marche pas mieux. Leurs partisans les plus indéfectibles rétorqueront que le meilleur, c’est Andy. Soit. C’est vrai qu’il a déjà remporté une fois l’épreuve, mais on ne peut quand même pas déclasser le vainqueur chaque année !

Et tant qu’on est dans les considérations de comptoir, ne trouvez-vous pas Thomas Voeckler bien discret ? Il attend la haute montagne pour se montrer à son avantage*, sans doute… Enfin, moi, ce que j'en dis, hein...

Et pendant ce temps-là, Lance Armstrong réfute toutes les accusations portées contre lui. Remarquez qu’en général, il ne prétend pas ne jamais s’être dopé. Il se contente de répondre que tous ces vilains propos le concernant sont diffamatoires, puisque ses contrôles ont toujours été négatifs. Et même si… Comment le déclasser a posteriori et à qui offrir l’une ou l’autre de ses victoires ? À Ulrich, peut-être ?

Sans jouer les langues de pute – encore une fois –, je me dois de préciser que j’ai toujours trouvé étrange la domination de plusieurs coureurs issus de la même équipe. Les équipiers de Lance, par exemple, pétaient souvent le feu. Mais c’était parce que l’équipe était bien préparée. La preuve : une fois partis dans d’autres équipes, ces lieutenants de luxe n’en touchaient plus une ! S’ils avaient connu la recette, ils l’auraient reproduite, non ? À moins qu’il ne s’agisse de secrets de préparateurs physiques et de médecins d’équipe ? Un coureur connaît-il toujours précisément la composition de ce qu’on lui fait avaler ou sniffer ? Sait-il pertinemment bien ce que contient la seringue avec laquelle on le pique ?

Cette année, Bradley et ses potes semblent survoler la mêlée. Ils sont bien préparés, ça ne fait aucun doute. Un Tour de France, ça ne s’improvise pas.

Espérons en tout cas un peu plus de suspense pendant les deux dernières semaines, parce que ça m’ennuierait que le Tour soit déjà plié après le prologue, quelques côtelettes et un contre-la-montre.




* En effet ! (Édit. 11/07)

mercredi 4 juillet 2012

La rentrée

Puisque nous venons d’entamer un juillet que nous espérons tous moins pourri que les deux mois qui l’ont précédé, il serait plus logique de parler de grandes vacances que de rentrée ; mais voilà : pour moi, c’est la rentrée, puisque j’ai pris mes congés en juin. Des congés au soleil, donc loin de chez moi, cela va de soi.

Évidemment, en me recollant au boulot, j’ai eu droit aux questions habituelles des collègues, toutes empreintes d’une ironie sous-jacente destinée à me rappeler que « c’est fini » et que « bientôt ce sera notre tour » :

— Ça s’est bien passé ?
— T’as eu du beau temps ?
— Pourquoi tu nous as pas rapporté le soleil ?
— C’est toujours trop court, hein ?
— Alors, bien reposé ?

Et la liste n’est pas exhaustive.

La rentrée, c’est aussi l’occasion de renouer avec l’actualité, qui n’était certes pas en veilleuse en mon absence, mais sur laquelle j’avais clos les yeux et les oreilles au cours de nombreuses siestes bienfaisantes.

Bien sûr, j’avais eu l’occasion de voir quelques images de football, au détour de visites au bar, mais sans avoir jamais eu le cœur de m’installer durablement au sein de la foule des hardis supporters de l’écran géant.

Bien sûr, les résultats du second tour des élections législatives françaises m’avaient subrepticement emprunté les trompes d’eustache, mais rien de plus que cela, tout compte fait.

De retour au pays, impossible par contre d’ignorer les bouillonnements d’une actualité poussée aux fesses par nos élus impatients de goûter bientôt aux vacances parlementaires et soucieux de boucler, avant leurs valises, quelques douloureux dossiers communautaires.

Mais déjà, plus prosaïquement, de nombreux parents s’interrogent : comment occuper leur progéniture pendant les mois d’été ? C’est que tout le monde ne bénéficie pas de deux mois de relâche, saperlipopette !

Les stages, c’est une solution, pour qui n’est pas embrigadé dans le scoutisme. Il y a des stages de chant, de théâtre, de danse en tout genre, d’initiation à la pêche à l’espadon, de yoga, de physique quantique et même de sport pour les plus vaillants. Sans oublier les séances de rattrapage de matière non maîtrisée destinées à ceux qui, faute d’avoir bien bossé pendant l’automne, l’hiver et le printemps, se trouvent soudain fort dépourvus quand la canicule est en vue.

Au détour d’un bulletin, non pas scolaire ni météorologique, souvent si mauvais, mais d’information, j’ai entendu que des illuminés organisaient des stages pompeusement appelés « d’art urbain ». C’est pour apprendre à notre belle jeunesse comment réaliser de magnifiques graffitis. Oui, des graffitis. Pas des tags, hein ! Faut pas insulter le prophète ! Parce que badigeonner les murs de la ville d’inscriptions vaguement en rapport avec une musique qu’on adore, ce n’est pas taguer, selon eux : c’est faire de l’art urbain.

Désolé d’avoir à le dire aux gentils organisateurs de ce stage, mais leur art, c’est de la foutaise. Du vandalisme organisé. Le graffiti discipliné, imaginé et réalisé dans le respect du bien d’autrui, c’est une vue de l’esprit. L’essence même de cet « art », c’est justement la transgression, la dégradation du bien public ou privé au nom d’une liberté d’expression qui ferait presque regretter l’intransigeance d’un régime totalitaire.

Bande de cons !

Et à la radio et à la télé, ils n’ont rien d’autre à raconter ? Ce n’est déjà pas suffisant, le télescopage des événements sportifs ? Football, tennis, automobilisme, athlétisme, cyclisme… la seconde quinzaine de juin et la première de juillet se bousculent pour nous fourguer l’urticaire du dossard, l’indigestion de la baballe et l’overdose de « chers téléspectateurs » !

Ah, si ! Ce matin, c’était le boson. Une expérience capitale faisant intervenir un accélérateur de particules destiné à traquer l’infiniment petit, si j’ai bien compris. Un truc de physiciens qui, paraît-il, pourrait donner les clés de l’Univers, du « big bang » et de nos origines et, accessoirement pour les intrépides découvreurs, l’un ou l’autre prix Nobel. Au prix que ça coûte, toutes ces recherches, ce serait bien qu’elles nous guérissent en passant de tous les cancers du sein, du côlon et de la prostate. Et tant qu’à faire, qu’elles nous débarrassent aussi des moustiques, des mélanomes malins et des requins de la finance, tout en assurant la retraite des vieux et le remboursement des dettes de la sécu.

Ben quoi ?
On a encore le droit de rêver, non ?