dimanche 18 décembre 2016

L'âne brait, mais dans quelle étable ?

Il m'arrive fréquemment d'être surpris par la naïveté des gens ; et encore plus depuis ces quelque dix à quinze ans ayant vu le triomphe des télécommunications, de l'Internet sans fil et des réseaux sociaux.

Lorsque nous ne disposions que de la presse, de la radio et de la télévision pour nous informer, nous étions parfois en proie au doute ou à l'incrédulité en découvrant l'une ou l'autre nouvelle sortant de l'ordinaire ; mais bien souvent, nous nous satisfaisions d'y croire en nous répétant que puisque c'était dit aux infos ou écrit dans le journal, ce devait être forcément vrai. Sauf peut-être un premier avril, à condition de nous être souvenus que c'est habituellement une journée propice aux canulars.

Autrefois, vérifier la véracité d'une nouvelle toute fraîche exigeait un petit effort, voire deux : écouter un bulletin d'information sur une autre chaîne, lire un journal différent, ouvrir une encyclopédie, sortir de chez soi et parler aux gens...

Aujourd'hui, c'est bien plus facile : Internet est à portée de doigts où que l'on soit, les chaînes d'information en continu sont disponibles dans les langues les plus courantes et tout le monde garde son téléphone sous haute surveillance, parfois même jusque dans les toilettes.

Je suis dès lors souvent surpris lorsque des gens bien intentionnés viennent me répéter quelque énormité relayée par d'autres gens peut-être bien intentionnés eux aussi, mais lancée par des personnes ayant des objectifs beaucoup moins innocents.

J'en ai déjà parlé dans un précédent article consacré aux balivernes qui atterrissent aussi bien dans ma messagerie électronique que dans les tuyaux de mes oreilles : comment est-il possible de transmettre à d'autres certaines âneries sans avoir pris la peine de vérifier le sérieux de l'expéditeur ou celui de l'information originale ?

Tout récemment, dans mon pays, les médias ont abondamment évoqué le dixième anniversaire d'un des canulars les plus célèbres jamais concoctés par la télévision francophone belge, et que l'on avait appelé « bye bye Belgium ». Très sérieusement et peu après le journal télévisé, la RTBF avait interrompu ses programmes pour diffuser une « édition spéciale » au cours de laquelle le présentateur nous expliquait, images à l'appui, que la Flandre venait de proclamer son indépendance.

C'était gros. Très gros. Comme tout le monde, je fus d'abord fortement surpris par la nouvelle. Les images paraissaient crédibles, le journaliste aussi. Et nous n'étions pas un premier avril.

Passées les premières minutes de surprise, je m'empressai alors de changer de chaîne télé (en écoutant brièvement Bel-RTL, très au fait de l'actualité belge), puis d'allumer la radio. Dame ! Une nouvelle d'une telle importance ne pouvait être que relayée par les autres médias nationaux ! Mais non. Rien. Le train-train.

L'évidence me sauta aux yeux : c'était un canular ! Je me mis à suivre avidement les informations qui se succédaient, hilare face à la qualité du montage (des images et des morceaux d'interviews tirés de leur contexte) et à l'énormité de certaines scènes (des barrières sur les rails du tram bruxellois et les voyageurs stoïques descendant du véhicule pour embarquer dans un autobus flamand).

Pourtant, la RTBF s'empressa d'afficher en bas de l'écran un bandeau indiquant que le reportage était une fiction ! Apparemment, beaucoup de téléspectateurs s'étaient laissé prendre et réagissaient en sens divers, les plus féroces étant ceux qui, incapables de comprendre assez vite qu'il s'agissait d'une fiction, s'offusquaient de ce que la chaîne soit sortie de son rôle (qui est d'informer, selon eux, et pas de distraire ou de s'interroger sur ce qui pourrait se produire dans un futur plus ou moins proche).

C'est un peu comme quand vous faites une bonne blague à quelqu'un d'autre : son sens de l'humour ne va pas toujours jusqu'à rire de s'être laissé prendre. En quelque sorte, quand on a l'air con, ce n'est pas parce qu'on est con, mais parce que quelqu'un d'autre en est un.

Dix ans plus tard, je reste étonné par la naïveté de beaucoup de gens, lors de la diffusion de ce reportage. Bien sûr, c'était il y a bien longtemps, sans doute avant les réseaux sociaux, les smartphones dans les mains et Internet partout et à toute heure ; mais quand même !

Pourtant, lorsque je songe à certains messages ayant atterri un jour dans ma boîte courriel, comme celui censé m'apprendre qu'un réfugié recevait, à l'époque, trente-cinq euros par jour (ce qui était scandaleux et devait être répété partout), alors qu'il s'agissait en réalité de la subvention accordée quotidiennement à la commune assurant son hébergement (information vérifiée en une paire de minutes), plus rien ne devrait m'étonner.

Mais si. Ça m'étonne encore.

Ce qui m'étonne, ce n'est pas que de telles énormités soient diffusées, c'est que des gens apparemment bien éduqués, scolarisés, matures et responsables puissent encore, aujourd'hui, se satisfaire d'ignorer dans quelle étable se cache l'âne qu'ils ont entendu braire.

Mais, puisqu'il est question d'âne et d'étable, je m'en voudrais de ne pas terminer sur une note positive en vous souhaitant, à tous, d'agréables fêtes de fin d'année !

À bientôt !

samedi 19 novembre 2016

Actus alitées

En ce moment, on parle beaucoup d'élections : celles qui ont eu lieu, celles qui auront lieu. Avant elles, on suppute, on sonde, on projette, on promet ; après elles, on se gratte le crâne, on se réjouit ou on se désole, on s'interroge sur les causes et sur les conséquences, on essaie de comprendre pourquoi ça n'a pas marché comme on le souhaitait, comme on l'escomptait, comme les sondages l'annonçaient.

Les experts apparaissent, pareils aux milliers d'entraîneurs installés dans les gradins ou devant leur télé pendant le match, qui étalent leur science lorsque la partie est terminée, car après coup, c'est plus facile.

En ce moment, en parlant d'élections, on se rend compte que notre Monde est malade de sa démocratie, handicapé du suffrage universel. Les gens n'aiment pas leurs gouvernants et souhaiteraient du changement, mais les taux de participation médiocres aux élections sont bien souvent le reflet de l'apathie d'une majorité silencieuse qui choisit de subir en râlant plutôt que de faire l'effort de se rebeller, même pacifiquement dans un isoloir.

Certains « experts » de tout bord incriminent souvent l'abstentionnisme. Il faut d'abord inciter les gens à aller voter, à marquer leur avis et à le glisser dans une urne ; et quand ça ne marche pas, quand à peine la moitié des électeurs s'expriment, on accorde souvent une importance considérable à ceux qui se sont intéressés, au moment crucial, à autre chose qu'à l'avenir de leur pays. Dans chaque camp, on compte et on se dit que ceux qui ne se sont pas exprimés étaient certainement et majoritairement ceux qui auraient fait le bon choix, si seulement ils avaient eu l'envie de le faire.

Que pensent donc les silencieux ? Pour qui voteraient-ils ?

En Belgique, certains se posaient, depuis quelques années, la question inverse : à qui profiterait l'abstentionnisme ? Parce qu'en Belgique, comme dans une minorité de pays, le vote est non seulement un droit, mais aussi un devoir : il est donc obligatoire sous peine de sanctions.

Chez les libéraux, le projet avait été émis de rendre le vote facultatif. D'après leurs estimations (qui, comme beaucoup d'estimations, ne valent pas un pet de lapin), l'abstentionnisme leur aurait été probablement profitable...

Ils ont renoncé au projet, pour le moment tout au moins. Ouf !

Moi, le vote obligatoire, je trouve que c'est une bonne chose. J'en ai déjà débattu avec d'autres personnes, qui m'ont opposé leur conviction que s'abstenir d'aller voter constitue un acte politique. Bien que je respecte leur opinion, j'estime que l'abstention n'est un acte politique que dans la mesure où elle s'exprime par une action concrète : voter nul, voter blanc, manifester ouvertement son rejet du système ou, à tout le moins, de l'ensemble des candidats qui se présentent au suffrage. Pourquoi ne pas choisir ce jour-là pour aller manifester, pour aller distribuer devant les bureaux de vote des tracts invitant les électeurs à rejeter l'ensemble de la classe politique ?

Choisir ce jour-là pour rester dans son lit, aller à la pêche, faire du tourisme ou quoi que ce soit n'ayant rien à voir avec l'actualité électorale ne constitue pas, selon moi, l'expression d'une opinion politique. C'est de la paresse, de la désinvolture, de l'ignorance, de l'irresponsabilité... Les termes ne manquent pas !

Les gens qui se conduisent de la sorte, ceux qui ne s'expriment pas clairement ce jour-là, ceux qui ne profitent pas de leur droit de vote... ceux-là devraient perdre, jusqu'aux prochaines élections, le droit de râler contre les mesures prises par ceux qui auront été élus grâce à leur indifférence.

Enfin, droit ou devoir, réjouissons-nous de vivre dans des pays où le suffrage universel est une réalité. Il en est d'autres où c'est un rêve inaccessible.

dimanche 30 octobre 2016

Scandaleusement débile !

Sur notre Terre, il existe des gens (peu nombreux) scandaleusement riches et d'autres (très nombreux) qui sont scandaleusement pauvres. Entre ces deux extrêmes, nous en trouvons de très nombreux aussi qui aimeraient bien faire partie du premier groupe tout en redoutant de tomber dans le second.

Chez nous, la Loterie nationale use et abuse, dans ses messages publicitaires, de l'expression « devenez scandaleusement riche ». Au singulier, sans aucun doute, bien que les messages soient adressés à un certain pluriel. À un pluriel le plus vaste possible, naturellement, histoire d'attirer des mises de plus en plus folles et de pouvoir annoncer des montants de gains qui ressortent du fantasme.

Et, effectivement, ce très vieux jeu de hasard qui consiste à faire tomber des billes numérotées se pratique si couramment et rencontre un tel succès dans les pays d'Europe qu'on a imaginé, au sein de l'Union, une nouvelle loterie impliquant tant de joueurs et de pays pour une probabilité de gain individuel si prodigieusement faible que les supercagnottes de plusieurs dizaines de millions d'euros ne sont vraiment pas rares. Et, bien sûr, ça fait saliver. Ou rêver. Même si c'est toujours quelqu'un d'autre, bien loin dans un autre pays, qui emporte la timbale.

Tout récemment, pourtant, deux joueurs belges ont vu le sort leur être si favorable que l'un a remporté quelque cent soixante-huit millions d'euros ; et l'autre, cinquante millions. Ça fait tout de suite beaucoup moins pour le second que pour le premier, mais c'est quand même considérable. Combien d'années faudrait-il travailler pour gagner tout cela ? Ne calculez pas : beaucoup. Et, pour le travailleur moyen de nos pays de l'Union, toute une vie de labeur n'y suffirait pas.

Évidemment, les heureux gagnants demandent que leur anonymat soit respecté. Chose promise d'ailleurs par la Loterie. Mais comment voulez-vous que de tels nouveaux riches – scandaleusement riches – passent inaperçus ? Obligés de disparaître loin, très loin, afin d'échapper aux harceleurs. De se brouiller sans doute avec leur famille, leurs amis... parce qu'ils ne distribueront jamais assez de leur fortune, parce que certains parmi leurs proches, leurs collègues, leurs voisins... considéreront que leur argent est « sale ». Un peu comme s'ils l'avaient volé.
Et en outre, comme le libraire qui a validé le ticket gagnant a été identifié, il est lui-même harcelé, menacé...

Tout cela est donc prodigieusement débile.

Personne ne devrait emporter des sommes pareilles, du jour au lendemain, par tirage au sort. Plutôt que de donner une centaine de millions d'euros à un zigue qui, tout compte fait, n'en demandait pas tant (même s'il ne va pas cracher dessus), ne seraient-ils pas mieux inspirés de faire une centaine, un millier d'heureux ? Un million d'euros, ça ne suffit pas ? Et cent mille ? C'est bien, tout de même, non ?

Mais ça va sembler trop peu. Trop peu pour motiver les gens à jouer. Et pourtant, miser quelques euros et en remporter cent ou deux cent mille en retour ne permettrait-il pas déjà de réaliser quelques rêves ? De mettre en route un projet que l'on doit normalement repousser de plusieurs années ? Quelque chose de raisonnable mais qui change quand même la vie, comme un nouveau logement, par exemple ?

Mais hélas ! On n'en est pas là. Ce qui fait fantasmer, c'est l'inaccessible, le truc qui n'arrive qu'à une poignée de veinards. Pas le petit coup de pouce du destin qui permet de réaliser un rêve raisonnable.

Alors, moi, ces jeux-là, je n'y joue pas. J'y ai joué autrefois, de petites sommes, quand la Loterie européenne n'existait pas encore et que les gains, déjà parfois considérables, ne donnaient pas encore le tournis. Mais à présent, je n'y joue plus. Je trouve ça débile. 
Scandaleusement débile.