Alors que j’étais tout petit, Maman m’avait prévenu :
— Touche pas à ça, tu vas te brûler !
Elle, elle savait. Et elle essayait de m’épargner la douloureuse expérience qu’elle avait faite elle-même en n’écoutant pas sa maman qui lui disait qu’il ne fallait pas toucher à…
— Ouiiiiin…
— Ah ! Ben oui ! Voilà. Je t’avais dit de ne pas toucher à la casserole de carbonnades !
— Ouiiiin…
— C’est le Bon Dieu qui t’a puni !
J’ouvre ici une parenthèse pour signaler que je ne tiens pas à polémiquer sur l’existence de Dieu. Chacun ses convictions. D’ailleurs, moi, ça ne me dérange pas qu’on croie qu’il existe ou qu’on prétende qu’il n’existe pas. Limite, je m’en fous. Ce qui m’inquiète, c’est qu’on puisse penser qu’il mérite encore son épithète « bon ». Et je referme la parenthèse.
Revenons à un grand classique :
— Ouiiiin…
— Je t’avais dit de souffler ! La soupe est chaude !
— Ouiiiin…
— Ça t’apprendra !
— M’enfin, ne l’engueule pas, tu vois bien qu’il a mal…
Ben oui ; mais rien ne remplace l’expérience !
Mais des « tu vas te brûler » aux « tu vas te couper », en passant par les « tu vas tomber » et les « si tu continues, tu vas être puni », point n’est besoin de tout expérimenter pour comprendre que certains actes, certaines paroles doivent être évités.
Je ne vais quand même pas me couper la jambe ou me tirer une balle dans le crâne pour vérifier que c’est douloureux et même mortel (en plus d'être complètement con) !
Parce que si rien ne remplace l’expérience, il n’est pas indispensable de ne faire confiance qu’à sa propre expérience. Celle des autres est souvent bonne à prendre.
Ainsi, la guerre, par exemple. Moi, je n’ai pas fait la guerre. On m’a appris à me servir d’un fusil, mais je n’ai pas dû tirer sur des gens. Et, franchement, je n’en ai pas envie. La guerre, c’est mal. C’est une horreur. Une accumulation d’horreurs. Et non seulement je n’ai pas fait la guerre, mais je ne l’ai pas vécue. Pas directement. Je n’ai jamais eu à subir un aussi grand malheur. Mais je connais des gens qui ne peuvent pas en dire autant.
Parce qu’aujourd’hui, en Europe occidentale, on en est là. À moins d’avoir opté pour une carrière militaire et d’avoir été expédié en mission humanitaire ou de pacification dans une lointaine contrée où des gens se tirent dessus ; la guerre, c’est loin. On ne l’a pas faite, on ne l’a pas subie, on ne la connaît pas. La dernière s’est terminée il y a plus de soixante ans ; et ceux qui la racontent encore pour l’avoir vécue en direct ne sont plus des jeunes premiers !
La guerre qu’ont vécue nos parents, nos grands-parents ou arrière-grands-parents ; cette chose épouvantable dont ils disaient « plus jamais ça » ; nous oublions petit à petit de nous en souvenir. Quand les derniers témoins auront disparu, quand « l’homme qui a vu l’ours » aura définitivement laissé la place à « l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours », nous serons mal barrés. Et quand « l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours » décidera, volontairement ou non, de cesser de parler de l’ours, on finira par minimiser et même nier l’existence de la bête.
« On » ? Qui est donc ce « on », pronom impersonnel crapuleux ?
Voyez autour de vous.
Écoutez.
Écoutez les discours haineux, revanchards, négationnistes ; écoutez les slogans protectionnistes, les jugements à l’emporte-pièce, les idéologies du chacun-pour-soi ; regardez les poings se lever, les index se tendre pour désigner les coupables, les brebis galeuses, les boucs émissaires…
Écoutez, voyez et réfléchissez.
N’expérimentez pas la haine : l’expérience des autres doit suffire.
Cette expérience que rien ne remplace, vous la trouverez dans l’Histoire. Celle du monde moderne. Celle des cent dernières années écoulées.
Vous verrez que quand survient une crise socio-économique et que dans chaque pays des voix s’élèvent pour réclamer des mesures radicales, la haine n’est jamais loin.
La haine de l’autre, de ce parasite, de ce profiteur qui cause tous nos malheurs et qu’il suffirait de renvoyer chez lui ; la haine de celui qui n’est pas comme nous parce qu’il ne parle pas la même langue, n’a pas la même couleur de peau, la même religion, la même culture, la même nationalité, le même niveau social, la même santé, le même âge, le même sexe, les mêmes idées…
Alors, quand vous entendrez, quand vous lirez encore des slogans comme « la France aux Français », « pas d’argent flamand pour les chômeurs wallons », « chacun chez soi », « not in my backyard », « on ne peut pas porter sur nos épaules toute la misère du monde »… quand on vous proposera toutes ces solutions si simples, si évidentes qu’elle commencent par « y a qu’à » et font se demander pourquoi on n’a pas encore pensé à les appliquer ; méfiez-vous ! Relisez l’Histoire. Croyez dans l’expérience des autres au lieu de songer à expérimenter vous-même. Et n’oubliez pas que quand on appliquera les solutions toutes simples, la guerre sera toute proche.
Parce que les cœurs secs, c’est comme le bois mort : ça brûle facilement.
Eh ben pas d'article sur la politique belge ?
RépondreSupprimerGag !