vendredi 16 septembre 2011

Les courses de la semaine

Tétèou ?
Ben… ici. J'ai pas bougé.
J'te cherche partout.
J'suis resté ici. Avec le Caddie®.

Parce que quand on fait les courses ensemble au supermarché, Chérie et moi, c'est généralement moi qui pousse le chariot. Et Chérie qui le remplit. Dans ces conditions, le contraste peut devenir surprenant entre une abeille butinant à gauche et à droite d'un rayon à l'autre et venant déposer rapidement à la ruche les trésors récoltés ; et un gros bourdon commis à la garde de ladite ruche et s'efforçant de l'emmener à la bonne place, à savoir celle où la butineuse serait déçue de ne pas la trouver à l'instant opportun.

Parce que ça n'a l'air de rien, comme ça, mais manœuvrer un lourd chariot entre des rayons surchargés et dans des allées encombrées, ça exige une bonne condition physique, de la patience et du doigté. Trois qualités qui me resteront à jamais inaccessibles.

Et tout d'abord, pourquoi est-il si lourd, ce foutu panier à roulettes ? Eh bien c'est simple : parce qu'il y a des trucs lourds dedans. Par exemple, les deux packs de six bouteilles de deux litres d'eau minérale (Chérie n'aime pas l'eau de distribution), les canettes de Coca Zéro® (Chérie surveille sa consommation de calories) et quelques menues bouteilles de pinard (je ne bois pas d'eau en bouteilles, et même pas d'eau du tout, sauf un peu d'eau de distribution avec de l'aspirine en cas de nécessité).

Et pourquoi est-il si difficile à manœuvrer, cet engin ? Eh bien parce que non seulement les lois de la physique (inertie, force centrifuge…) sont aussi difficiles à contourner que les ménagères et leur chariot planté en dépit du bon sens entre les rayons, mais aussi parce que j'ai souvent l'art de prendre le Caddie® qui ne roule pas bien, celui qui marche en crabe parce qu'une de ses roulettes coince tous les deux tours et demi.

Dans de telles conditions, j'opère à la manière de bon nombre de mes semblables commis aux manœuvres : je réduis les mouvements à mesure que la bête se laisse gaver. Alors que quelques minutes auparavant, je slalomais gaiment entre les premiers étalages et les palettes de produits en promo nous ayant accueillis dès l'entrée franchie, je reste à présent bien tranquillement planté dans l'allée centrale où stationnent, outre quelques collègues d'infortune, une série de chariots sans conducteur.

C'est alors que, deux ou trois allées plus loin et s'élevant sur la pointe des pieds pour mieux me repérer, surgit Chérie qui rapplique d'un pas vif, les bras chargés de victuailles, tandis que, dans une tentative de démarrage, mes semelles dérapent vaillamment sur les traces mal essuyées d'un défunt pot de mayonnaise.

Tétéou ? me lance-t-elle courroucée.
Ben… ici. J'ai pas bougé.
J'te cherche partout.
J'suis resté ici. Avec le Caddie®.
Tu pourrais me suivre, quand même ! Je sais plus où mettre tout ça.
T'en as de bonnes, toi !

Inutile de discuter. Ma tactique de l'enclume ne convainc pas.

Parfois, dans un souci de bien faire, j'essaie d'anticiper. Chérie, virevoltant d'un pas allègre entre vingt-deux caddies stationnés comme des autos tamponneuses au moment où leurs occupants se préparent à enfoncer le jeton, vient de disparaître entre les rayonnages. En ressortira-t-elle un peu plus loin, au-delà des cageots de salades ? Reviendra-t-elle tout simplement sur ses pas ? Me souvenant que ma tactique enclumesque n'est pas payante, je tente le coup d'audace : avancer de huit mètres. Et puis j'attends. Nouvelle enclume, certes, mais néanmoins aux aguets tel le suricate aux abords du terrier familial. J'épie, je suppute, je tourne la tête dans toutes les directions au risque de me dévisser le cou façon Linda Blair dans « l'Exorciste ». Mais étant plutôt sœur Anne ne voyant rien venir, je finis par avancer d'encore quelques mètres, puis j'abandonne le chariot et pars en mission de secours. Après tout, les victuailles ne risquent rien tant qu'elles n'ont pas été payées.

Je retrouve Chérie qui a effectué un savant crochet par le rayon des tee-shirts démarqués.

Regarde, me dit-elle avant que j'aie le temps de dire un mot. Il est beau celui-là, hein ?
Heu…
Et pas cher.
Heu…
Et j'ai pris ça aussi.
Heu…

Et elle recommence à fouiner sans plus m'accorder un regard. Je m'accorde une petite escapade trois mètres plus loin dans les chaussettes de sport (je mets de chaussettes de sport, même sans faire de sport), fouille un peu pour trouver ma pointure, hésite entre le 41-43 que je risque d'étirer un peu trop et le 44-46 dans lequel je serais peut-être trop à l'aise, puis dépose le tout et fais volte-face. Chérie ayant disparu du rayon tee-shirt en promo et brillant par son absence près des jeans et des pantalons de sport, j'amorce un prudent repli vers le chariot que je récupère dans l'allée centrale au moment où une grosse dame y dépose un chou-fleur.

Heu…
Pardon ! Je croyais que c'était mon chariot. Bon. Ilèou, lui ?

Pendant que la dame cherche son Caddie®, son homme ou les deux, je finis par repérer Chérie qui renifle les melons.

Kèstufzè ? attaque-t-elle aussitôt.
Heu…

Inutile de discuter. Pas plus que la tactique de l'enclume, celle de l'exploration ne convainc.

Au moment de passer aux caisses — j'évite de choisir la file moi-même, car je prends toujours celle qui n'avance pas. Quand c'est Chérie qui choisit, c'est aussi celle qui n'avance pas, mais au moins ce n'est pas de ma faute mais celle de cette empotée de caissière.
En réalité, les files sont faites pour qu'on ait le temps d'ajouter en dernière minute les chocolats, le chewing-gum ou les piles qu'on aurait oublié d'acheter (on ne sait plus pourquoi, mais il faut des piles).

Soudain, Chérie est prise d'un remords. On a oublié quelque chose d'important. De si important qu'elle s'esquive en vitesse en disant « j'arrive » mais sans préciser ce qu'on a oublié qu'elle est partie chercher.
Entretemps, la file avance et je dépose les marchandises. Le tapis roule, j'entends les « bips » du lecteur de codes-barres. Où reste Chérie ?

Ah ! fais-je en la voyant arriver au moment où la réglette « client suivant » arrive devant la caissière (cette empotée).
Oh ! Hé ! répond Chérie en se faufilant entre la file de chariots et la caisse voisine pour venir déposer le truc super important devant la caissière (cette empotée qui répond par un regard noir).


Parfois, Chérie me donne la liste et je vais, seul, au supermarché. Afin de réduire les risques d'erreurs, manquements et confusions, je lis soigneusement, avant de l'empocher, ce qu'elle a noté sur le papier. Invariablement, je m'assois à table pour ce faire. C'est plus confortable pour ajouter quelques annotations. Chérie a l'habitude de désigner certains produits par leur marque. Les produits d'entretien, par exemple. Sur la liste, quand elle a écrit « Machin », elle savait que c'était du « Machin » liquide à la javel, spécial WC, en bidon d'un litre ; et pas de la poudre à récurer en boîte de cinq cents grammes, pas du savon liquide à la lavande pour la salle de bain, pas du déboucheur à la soude caustique pour canalisations récalcitrantes. Préciser avant de partir m'évite la honte de m'immobiliser, perplexe, devant ce foutu rayon des détergents, et de lui téléphoner (comprenez : la déranger) pour lui demander ce que je devrais pourtant savoir. J'ouvre d'ailleurs une parenthèse pour signaler que, parfois, c'est elle qui me téléphone (ce qui ne doit absolument pas m'importuner) pour que j'achète l'une ou l'autre denrée supplémentaire. Parfois même quand je suis déjà sorti du magasin (voir pourquoi ci-après). J'ajoute qu'il m'arrive parfois, avant de partir, de recopier la liste sur un autre feuillet afin de mettre les denrées dans l'ordre des rayons du magasin.

Généralement, quand je rentre (et ça n'a rien de sexuel), Chérie me dit, surprise et admirative : « taétévite ». Suivent ensuite, à mesure que je range les marchandises, les « tapapris » et « tapapenséa ». Auxquels je réponds invariablement : « cétèpasurlaliste ».

Parce qu'il y a une différence fondamentale entre la manière qu'ont les hommes et les femmes de lire et comprendre la « liste des courses ». Pour Monsieur, c'est ce qu'il faut acheter. Donc, Monsieur suit les rayons et place dans le chariot les marchandises indiquées sur le papier. Il s'autorisera parfois l'un ou l'autre extra, quitte à s'entendre dire ensuite « ifalèpa », mais sans perdre de temps dans le magasin. D'où la réaction de sa femme, au retour : « tèdéjalà ? »
Madame, par contre, se sert dans les rayons et vérifie ensuite, avant de passer à la caisse, qu'elle n'a rien oublié de ce qui se trouvait sur la liste. C'est alors qu'elle se rend compte qu'elle a oublié la liste en question sur la table de la cuisine.

Chérie, elle fait comme ça. Une liste. Et puis elle oublie la liste. Et en rentrant, elle constate que non seulement elle n'a rien oublié qui était sur la liste, mais qu'en plus elle a songé à rapporter des choses indispensables qui ne s'y trouvaient même pas.

Respect.

4 commentaires:

  1. Sauf mention contraire, tout ce que je raconte sur mon blog est authentique.

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  2. Je dois être l'exception qui confirme la règle : je fais une liste en prenant soin de respecter l'ordre des rayons pour ne pas perdre de temps, et surtout, cette liste, je ne l'oublie jamais.

    C'est divertissant aussi les anecdotes de l'autre côté du tapis.

    J'espère que mes conseils dans "Les réflexions d'une hôtesse de caisse" vous seront utiles.

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  3. Je l'espère aussi.
    Dans la même veine, ne manquez pas ceci :
    http://ludovicmir.blogspot.com/2010/12/aldi-vous-souhaite-de-joyeuses-fetes.html

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