jeudi 8 septembre 2011

On joue la montre !

Jouer la montre.
En football, c'est courant. Quand le score est favorable (ou acceptable) à quelques minutes de la fin du match, on temporise. On gagne du temps en perdant du temps. On joue l'horloge. Bien sûr, dans les tribunes, ça siffle, mais à quelques minutes de la fin du match, c'est de bonne guerre. Parfois, l'arbitre brandit le bristol jaune à la face de celui qui exagère dans l'antijeu.

Il arrive que certaines équipes commencent à jouer la montre à vingt minutes de la fin. Là, ce n'est pas bien. Dans les gradins on siffle, on hue, on rouspète, on fulmine. C'est tout juste si ne fusent pas des appels pour le remboursement des billets.

J'ai déjà vu, même si c'est rare, deux équipes jouer la montre dès le coup d'envoi. Quand, dans un tournoi comme, par exemple, la coupe du monde, un nul blanc arrangerait bien les affaires des parties en présence : tout le monde est qualifié, tout le monde est content, on ne se fatigue ni ne se blesse dans la perspective de poursuivre la compétition avec les meilleurs atouts. On se livre à un simulacre de match de football.

En Belgique, on en est là. Pas en football*, mais en politique. On joue la montre depuis la vingtième minute de la première mi-temps, et la seconde vient à peine de s'entamer. Toute une mi-temps encore à s'emmerder ferme en attendant qu'il se passe quelque chose.

Comment la Belgique en est-elle arrivée là ? Comment expliquer ces longs mois d'immobilisme politique ?
Afin d'essayer de mieux le faire comprendre, je vais oser une comparaison avec l'Union européenne.

Chaque pays membre, lors des élections européennes, choisit ses représentants. Ceux-là deviendront parlementaires européens en charge de défendre les intérêts de leur propre pays au sein de l'Union. La politique européenne commune, les décisions qui seront prises, seront affaire de compromis entre les souhaits des uns et des autres. Si les représentants d'un pays posaient des exigences totalement inacceptables par leurs partenaires et refusaient d'en démordre sous prétexte que c'est le programme qu'ils ont présenté à leur électorat et se sont engagés à réaliser, c'est toute la stabilité et la viabilité de l'Union qui seraient mises en danger ; parce que le refus du compromis sonne inévitablement le glas de toute négociation.

En Belgique, c'est un peu ce qui se passe. Chaque Région (flamande, wallonne, bruxelloise) élit ses propres représentants qu'elle envoie au parlement fédéral : en charge pour eux de trouver des accords pour former un gouvernement.
Certains ont fait des promesses délirantes et abordent les négociations avec des exigences et des tabous dont ils ne veulent pas démordre sous prétexte que c'est le programme qu'ils ont présenté à leurs électeurs. Que ces exigences soient inacceptables par ceux qui se mettent avec eux autour d'une table pour négocier, ils s'en moquent. Ils refusent jusqu'à l'idée d'un compromis. C'est donc la stabilité et la viabilité de l'État belge qu'ils mettent en danger.

Pour arriver à un compromis, il faut faire des concessions. Toutes les parties prenant part à la discussion doivent faire des concessions, et lesdites concessions doivent être d'égale valeur pour que le compromis soit équilibré. Le principe même d'un compromis, c'est d'être équilibré.

Certains abordent les négociations en posant des exigences, et considèrent qu'ils font déjà des concessions s'ils renoncent à une partie de ces exigences. C'est de la malhonnêteté. Renoncer à une exigence n'est pas une concession. Il est trop facile de redescendre, magnanime, une barre qu'on a sciemment placée beaucoup trop haut.
Faire des concessions, c'est accéder à des demandes de son interlocuteur. C'est accepter de discuter de choses dont il demande qu'on discute.

Quand Pierre dit « Je veux que tu me donnes mille balles » et que Paul lui répond « Hors de question. Je n'ai même pas mille balles » ; ce n'est pas en revoyant ses exigences à la baisse que Pierre fera une concession. S'il dit « Alors, donne-moi cinq cents balles » et que Paul accepte, c'est Paul qui fait une concession. Même si les deux prétendront qu'ils ont perdu cinq cents balles dans la négociation.


Sans vraies concessions, pas de compromis. Et un véritable compromis, c'est quand les parties en présence font des concessions d'égale valeur.

En Belgique, nos politiciens ne veulent plus faire de concessions. Ils ne veulent donc plus de compromis. Alors, pour justifier quand même leurs émoluments et éviter de rappeler aux urnes les citoyens, ils font comme si…

Ils font comme s'ils mettaient tout en œuvre pour négocier, pour arriver à une solution, un compromis équilibré. Un compromis comme celui-là, ça doit exister, quelque part à mi-chemin des exigences et des tabous des uns et des autres, mais personne n'en veut. Tout compromis serait perçu comme une lâcheté annonciatrice d'une cuisante défaite aux prochaines élections.

Alors, on continue de faire comme si. On essaie de montrer sa bonne volonté, tout en essayant de faire comprendre que si ça bloque, c'est à cause des autres. Il faut sauver la face, se montrer ferme et surtout, surtout, éviter les concessions. Et espérer que les autres, de guerre lasse, se décident à en faire. Mais ils n'en feront pas. Tout le monde attend l'automne 2012, obstinément, hypocritement, parce qu'il ne faut pas, surtout pas renvoyer les citoyens aux urnes avant les élections communales de 2012. Alors on gagne du temps. Il faut tenir. Un an, encore. Oui, un an de plus sans gouvernement de plein exercice, dans l'attente des élections communales de 2012 qu'on pourra combiner avec des législatives pour prendre, une fois de plus, l'électeur pour un con. Un an, c'est long. Tiendront-ils la distance ?

En gagnant du temps, ils font de la Belgique la honte de l'Europe. Un pays où la démocratie est foulée aux pieds. Où des bourgmestres démocratiquement élus en 2006 ne sont toujours pas nommés. Où un premier ministre et son gouvernement démissionnaires sont toujours en place alors qu'ils ne représentent plus la majorité de l'électorat. Où les vainqueurs du dernier scrutin législatif sont sur le banc de touche. Où on refuse de ratifier la convention-cadre européenne sur la protection des minorités. Où on ne respecte pas davantage les majorités. Où des extrémistes tiennent à l'égard de certains de leurs compatriotes des propos qui seraient punissables par la loi s'ils étaient dirigés vers des Étrangers ou des gens d'une autre race.

En « jouant la montre », nos politiciens profitent de l'inertie des masses, de la relative passivité d'un peuple très « bon enfant » qui aime les bonnes choses de la vie, la paix et la tranquillité. Un peuple raisonnable, travailleur, honnête, épris de simplicité.

Oui, la Belgique est un pays peuplé de gens simples et raisonnables, mais dirigé par des gens hypocrites et compliqués.


* Ne parlons pas du football belge, c'est déjà assez pénible comme ça avec la politique.

4 commentaires:

  1. Qui élit des gens qui ne veulent pas s'entendre? Qui sinon "ces gens simples et raisonnables"? C'est quand même bien plus compliqué que ce que veut bien dire votre conclusion....

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  2. Oui, Paniss, mais il ne faut pas perdre de vue que pour les Belges, le vote est obligatoire. On vote donc pour ce qu'on nous présente. Et nous, on n'a pas voté pour qu'ils n'arrivent à rien. On les a élus pour qu'ils fassent ce qu'on a toujours fait chez nous : des coalitions (puisque les scrutins sont "à la proportionnelle") et des compromis.
    Il existe chez les politiciens des gens qui osent dire que "les électeurs se sont trompés". C'est faux. L'électeur ne se trompe jamais. On le trompe, ça oui, mais lui ne se trompe pas. Ce n'est pas l'électeur qui gouverne, c'est ceux qu'il choisit pour le faire. Il vote pour un programme. S'ils ne le réalisent pas, l'électeur n'y peut rien, il peut juste faire un autre choix quand on lui demande à nouveau son avis.
    Quel pays au monde survivrait pendant plus d'un an à ce genre de situation ? C'est en ça que les Belges sont raisonnables ; et c'est de ça que nos élus usent et abusent : de notre patience et de notre tendance à dédramatiser.

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  3. Mais au fait il n'y a aucune chance que à terme la Belgique ne finisse par exploser ?

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  4. Au cours de l'Histoire, les frontières bougent, des États naissent, d'autres disparaissent, fusionnent, se morcèlent… La Belgique a été créée de toutes pièces, il y aura bientôt deux cents ans, pour servir de « tampon » entre d'anciens belligérants.
    Il est clair qu'on va vers une disparition de la Belgique telle qu'elle est actuellement. Mais ce ne sera pas une explosion. Nous sommes comme un couple qui n'a plus grand-chose à se dire, mais pour qui il est encore plus compliqué de divorcer que de vivre ensemble. Chaque crise est une étape vers un divorce qui ne pourra se faire qu'à l'amiable. Pour l'instant, il faut gagner du temps. Les Flamands sont financièrement prêts à franchir le pas, mentalement aussi, mais il leur faudra encore du temps pour admettre qu'ils ne pourront pas quitter la Belgique sans abandonner Bruxelles. À ça, ils ne sont pas prêts. Ils veulent garder Bruxelles, qu'ils continuent de proclamer « capitale de la Flandre », mais savent que c'est impossible. Ils accepteraient à la rigueur de ne pas emmener Bruxelles, mais à condition de ne pas la laisser aux francophones. En faire une sorte de district européen, oui, mais ne pas l'abandonner aux francophones.
    Côté wallon, on n'est pas prêts. Ni mentalement, ni financièrement. Mentalement, l'idée fait son chemin. Les gens se disent que même s'ils sont plus pauvres au début, les possibilités de redressement sont bien réelles. C'est vrai que le redressement économique de la Wallonie est en cours, mais on est encore trop « en retard », donc on doit gagner du temps aussi.
    Le véritable enjeu de cette crise est socio-économique. Les problèmes linguistiques ne concernent que peu de gens, mais ont une haute valeur symbolique derrière laquelle il est confortable de se réfugier quand on ne trouve pas d'accord sur le socio-économique.
    Les questions sont : que met-on encore dans le pot commun (la Belgique) et comment le redistribue-t-on aux régions ? « Le moins possible », diront les Flamands, qui sont plus nombreux (60 %) et plus riches, alors que les Wallons réclament « le maintien de la solidarité » parce que c'est jadis avec l'argent wallon que la Flandre a bâti son industrie. De leur côté, les Bruxellois ne sont pas riches, mais rappellent que c'est à Bruxelles que les autres viennent bosser avant de rentrer chez eux avec le pognon.
    S'il n'y avait Bruxelles, historiquement en Flandre mais à 90 % francophone, la Belgique aurait déjà « explosé ». C'est Bruxelles qui empêche cet éclatement et imposera, si divorce il y a, que ce divorce se fasse à l'amiable.

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